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Alain Cuerrier
Multidisciplinarité

Alain Cuerrier

Université de Montréal

Le Prix Acfas Jacques-Rousseau 2023, pour la multidisciplinarité, est remis à Alain Cuerrier, professeur associé au Département des sciences biologiques de l’Université de Montréal.

La relation qui existe entre le monde végétal et les êtres humains, voilà l’univers du lauréat. Alain Cuerrier a tout particulièrement exploré ce lien en collaboration avec des Premiers Peuples d’ici – Cri, Inuit, Innu et Naskapi –, mais aussi Anishnabeg, Wobanakiak et Squamish. Il a également œuvré auprès de nombreuses nations autochtones d’Amérique centrale et d’Afrique dans une perspective d’ethnologie comparée. La multidisciplinarité qu’il privilégie mêle adroitement des approches complémentaires. On songe ici à l’ethnoécologie, devenue centrale avec les changements climatiques, ainsi qu’à l’écologie numérique, l’ethnolinguistique et l’anthropologie sociale. À cette confluence disciplinaire, on lui reconnaît un esprit de synthèse remarquable et un leadership scientifique rassembleur.

Alain Cuerrier est botaniste depuis plus de vingt ans au Jardin botanique de Montréal et membre de l’Institut de recherche en biologie végétale. Chez lui, la multidisciplinarité se déploie, entre autres, par des méthodes mixtes faisant appel à de très nombreuses approches. Du côté quantitatif, il a recours aux méthodes numériques, aux analyses phytochimiques, aux bio-essais ou aux indices de consensus. Du côté des méthodes qualitatives, il utilise les interviews, les groupes de discussion et le logiciel NVivoOutil d’analyse de textes issus d’entretiens avec des personnes-sources..

Ses recherches en ethnobotanique surprennent, entre autres, par leur niveau de complexité. Se fondant, par exemple, sur des discussions menées avec les aîné·es cris de différentes communautés, Alain Cuerrier a entrepris une étude visant à mesurer à l’intérieur de végétaux la concentration de substances actives (métabolites secondaires) et l’expression génique de molécules-clés en rapport avec leur gradient latitudinal. Ce gradient présente la correspondance entre les éléments composant un végétal, d’une part, et le degré de latitude où on le retrouve, d’autre part. Conclusion du chercheur : les plantes poussant plus au nord révèlent, dans ce cas précis, une plus grande concentration de substances actives pouvant induire des effets bienfaisants, ce qui vient en outre avaliser un savoir traditionnel.

Dans une autre étude, c’est en ciblant une maladie chronique fortement présente chez les autochtones du Canada, le diabète, que le chercheur s’est distingué. Il a développé un indice qui mesure non seulement la corrélation quantitative entre certaines plantes et la maladie, mais également l’importance des symptômes qui en découlent.

La multidisciplinarité qui fonde l’ethnobotanique permet de tracer plusieurs ponts. Certes, les plantes médicinales et leurs usages dans la médecine traditionnelle sont encore « visités » par ces spécialistes. Cependant, les problématiques d’aujourd’hui et les nouvelles technologies ont aussi ouvert des sentiers inexplorés qui incarnent bien les sensibilités et les besoins actuels.

Alain Cuerrier ne craint pas de rattacher ce vaste champ qu’est l’ethnobotanique à des environnements technologiques parfois assez inattendus. Par exemple, il participe à des projets qui impliquent forêts, autochtones et ethnoécologie, auxquels s’ajoute la réalité augmentée et virtuelle, comme en fait foi sa collaboration avec le laboratoire de Leila Sujir, une chercheuse de l’Université Concordia. Avec ses étudiant·es, il a aussi été invité dans le cadre d’événements qui ont lieu dans des contextes tout autres, comme les projets de la chercheuse Rachel Bouvet de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui rapproche la littérature du monde végétal.

De même, avec son collègue français, l’anthropologue Damien Davy, Alain Cuerrier a mis sur pied un projet nord-sud afin de mieux cerner les similitudes et les différences dans les perceptions qu’ont les Premiers Peuples de la médecine traditionnelle. L’expérience a été menée chez les Cris et les lnnus du Québec ainsi que chez les Palikurs de la Guyane française. Jusqu’à ce jour, peu d’études ont été effectuées dans une perspective d’ethnologie comparée, impliquant des nations autochtones du Nord et du Sud. Dans ce cas-ci, l’équipe de recherche a pu établir que les mêmes enjeux circulaient bel et bien à l’intérieur des deux hémisphères, mais que l’aspect politique venait brouiller cette ressemblance. Dans ce même esprit, l’approche comparative a facilité des rencontres entre les autochtones de la Guyane française et ceux du Québec, sur leurs territoires respectifs.

Sur un autre front, enfin, Alain Cuerrier peut s’enorgueillir d’avoir élaboré un nouveau concept : les sites culturellement importants ou cultural keystone places. Ce concept a été mis en pratique dès 2014 par sa collègue et co-auteure Nancy Turner de l’Université de Victoria. Celle-ci l’a fait valoir devant la Cour suprême du Canada dans la cause qui opposait la Nation Tsilhqot’in à la Colombie-Britannique quant aux droits liés au territoire.

Les rapports qu’ont eus, et qu’ont encore, les humains avec les végétaux constituent une formidable masse de connaissances accumulées sur le temps long. En déployant ainsi la multidisciplinarité à l’intersection de l’ethnobotanique, Alain Cuerrier marche au plus près du sentier tracé par un illustre prédécesseur, pionnier en la matière, celui-là même qui a donné son nom au prix : Jacques Rousseau (1905-1970).