Le Prix Acfas Gilles-Paquet 2023, pour la recherche en francophonie minoritaire, est remis à Annette Boudreau, professeure émérite au Département d’études françaises de l’Université de Moncton.
Depuis bientôt cinquante ans, la lauréate s’efforce de lutter contre les préjugés et les idées reçues sur les langues et les personnes qui les parlent, et ce, en décrivant comment les discriminations linguistiques se traduisent dans les activités quotidiennes. Elle a montré comment la plupart des personnes entretiennent une conception idéalisée du français, croyance servant à catégoriser et à hiérarchiser les francophones selon qu'ils « parlent bien » ou qu'ils « parlent mal ». Elle s’est particulièrement intéressée aux pratiques langagières des francophones vivant en milieu minoritaire au Canada, aux critères servant à définir le français légitime, et du coup, le·la francophone légitime. L’étude de l’insécurité linguistique dans la francophonie l’a amenée à mieux comprendre ces phénomènes.
Après des études en lettres à l’Université de Moncton, à l’Université Laval et à l’Université d’Aix-en-Provence, la lauréate a complété un doctorat en sciences du langage à l’Université de Nanterre. Elle a été professeure à l’Université de Moncton, d’abord au Département de traduction et des langues, puis au Département d’études françaises dans le domaine de la sociolinguistique. Ses travaux ont alors porté principalement sur les liens entre langue et identité, sur les représentations entretenues à l’égard du français, et surtout, sur l’insécurité linguistique, ses causes et ses effets. Elle a mené des recherches auprès des élèves des écoles secondaires du Nouveau-Brunswick et a pu établir que les jeunes des milieux minoritaires entretenaient des discours négatifs sur leur parler. La chercheuse a interviewé des centaines d’hommes et de femmes engagés dans des organismes et associations, pour saisir comment les personnes construisent leur identité linguistique dans des lieux où le français est minoritaire, comment elles s’accommodent ou non de la situation, comment elles négocient leur statut politique. Annette Boudreau s’est intéressée à l’accent comme lieu de discrimination ou de distinction sociale. Elle a également travaillé sur les productions culturelles acadiennes pour étudier les pratiques linguistiques des artistes; elle a ainsi examiné les stratégies mises de l’avant pour soit masquer un accent et des particularités régionales, soit les assumer et les revendiquer.
La lauréate a aussi dirigé une trentaine d’étudiant·es à la maîtrise et au doctorat qui analysaient des sujets liés à la francophonie en milieu minoritaire, et elle a été professeure invitée à l’Université de Rennes et à l’Université de Poitiers.
Annette Boudreau a écrit de nombreux articles décrivant ses recherches et a communiqué ses résultats dans des colloques savants en Amérique du Nord et en Europe francophone. Elle a publié ensuite À l’ombre de la langue légitime. L’Acadie dans la francophonie en 2016. Dans cet essai écrit à la première personne, elle revient sur son parcours universitaire et social, montre que ses travaux sont intimement liés à sa propre quête de légitimité, et explique comment se produisent les formes d’inclusion et d’exclusion opérées par les jugements sur la langue. Publié dans les Classiques Garnier à Paris, l’ouvrage a remporté le prix de la Renaissance française de l’Académie des sciences d’outre-mer. Cet essai a été suivi en 2021 par Dire le silence. Insécurité linguistique en Acadie. 1867-1970 (éd. Prise de parole). Les deux ouvrages s’interrogent sur ce que veut dire être francophone vivant dans les marges et sur la double minorisation que vivent les francophones minoritaires – celle provenant de la majorité anglophone et celle issue d’autres francophones majoritaires. Cette réflexion se poursuivra dans un troisième essai qui sera publié à l’hiver 2024 aux éditions Prise de parole. À l’automne 2023 paraît son plus récent ouvrage, Insécurité linguistique dans la francophonie, aux Presses de l’Université d’Ottawa, qui porte sur l’histoire du concept d’insécurité linguistique, ses manifestations et ses conséquences.
Comme directrice et codirectrice du Centre de recherche en linguistique appliquée (CRLA), Annette Boudreau a organisé plusieurs colloques internationaux : La construction discursive du concept de francophonie dans l'espace francophone, Cultures minoritaires et urbanité et L'écologie des langues, pour n’en nommer que quelques-uns. Alors qu'elle était directrice du CRLA, elle a programmé le colloque L'aménagement linguistique dans la communauté acadienne, qui a eu comme résultat la mise en place du Conseil pour l'aménagement du français au Nouveau-Brunswick (CAFNB). Ce dernier a joué un rôle non négligeable ensuite dans l’élaboration d'une politique sur l'affichage bilingue dans la ville de Dieppe au Nouveau-Brunswick.
Grandement inspirée par Pierre Bourdieu, la lauréate s’efforce, depuis un demi-siècle, de réduire les stéréotypes entretenus à l’égard des pratiques langagières des francophones en milieu minoritaire. En 2016, à la suite de sa retraite, une journée d'étude internationale a été tenue en son honneur, et un ouvrage dirigé par Émilie Urbain et Laurence Arrighi est paru en 2021 aux Presses de l’Université Laval, intitulé Retour en Acadie : penser les langues et la sociolinguistique à partir des marges. Textes en hommage à Annette Boudreau.