Le prix Acfas Pierre-Dansereau 2022, pour l’engagement social, est remis à Claude Villeneuve, professeur au Département des sciences fondamentales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
Le lauréat a d’ores et déjà transmis à l’ensemble de la société québécoise un legs plutôt rare, la création d’un nouveau métier : l'écoconseil. Grâce à lui et à nombreux collaborateurs, on forme désormais au Québec des personnes capables d’accompagner des entreprises, des individus ou des gouvernements désireux d’intégrer pleinement à leur développement économique et social, les enjeux éthiques, énergétiques et environnementaux nécessaires à la vitalité planétaire. Voilà un scientifique d’emblée convaincu que l'éducation est bien la seule manière pacifique et constructive d’amener les humains à exprimer le meilleur de leur Nature.
Dès 1983, avec Des Animaux malades de l’Homme? et par la suite avec ses cours par correspondance sur l’environnement québécois, Claude Villeneuve outille les consciences pour changer les choses. Il s’engage à l’échelle internationale avec le Programme international d’éducation relative à l’environnement et le Programme de l’homme et la biosphère (MAB) de l’UNESCO. En 1988, fort d’un mandat de l’UNESCO, il crée un premier cours universitaire sur le développement durable à l’UQAC. En 1990, Claude Villeneuve publie le premier des cinq ouvrages tous publics qu’il écrira sur la question des bouleversements climatiques, intitulé Vers un réchauffement global? Il a compris, il agira. Dès 1991, il amorce cette grande aventure que constitue, pour une université, la création en ses murs d’un contenu académique nouveau et original en organisant les Universités d’été internationales sur le développement durable, où l’on invite des étudiant·e·s de toute la Francophonie. En France, déjà loin du prêt-à-penser, il dirige l'Institut Éco-Conseil de Strasbourg. Il propose à son retour au Québec de faire de l’UQAC le lieu de développement et de formation de ce nouveau métier. Les autorités universitaires saguenayennes instaurent ainsi au tournant des années 2000 le Diplôme d'études supérieures spécialisées (DESS) en écoconseil, qui compte aujourd’hui quelque 200 diplômé·e·s.
L’aventure ne fait que commencer! À partir des développements de la recherche conduite dans le cadre de la Chaire en écoconseil qu’il a aussi créée en 2003, le Pr Villeneuve propose à l'UQAC d’ajouter « à sa carte » (en 2008 et 2010) deux programmes courts de cycles supérieurs, l’un en écoconseil et l’autre en gestion durable du carbone forestier. Et comme rien ne l’incite à s’arrêter en si bon chemin, trois autres programmes viendront successivement sertir l’offre de l’université en la matière : Développement durable appliqué, Enjeux énergétiques et écoconseil, Analyse systémique de durabilité. C’est d’un vaste programme universitaire dont il s’agit ici, qui attire aujourd’hui au Québec de jeunes praticien·ne·s de toutes provenances disciplinaires et géographiques.
Le détail des réalisations de ce grand écologue, notamment sur le plan de la finesse des outils conçus spécifiquement pour ces apprentissages, révèle chez lui un sens aigu de ce que peut être, dans les meilleurs cas, une formation pratique. La Chaire en écoconseil, par exemple, outre les recherches qu’elle abrite, est également un organisme habilité à réaliser des mandats pour des organisations, tant privées que publiques. Claude Villeneuve a souhaité que les étudiant·e·s et diplômé·e·s des programmes en écoconseil participent pleinement à ces activités, se familiarisant ainsi avec les enjeux de l'intégration du développement durable dans les opérations des organisations. Le lauréat a aussi fait en sorte qu’une large partie des revenus de ces mandats soit versée en rémunération étudiante – aux assistant·e·s de recherche et au personnel technique –, témoignant ainsi d’une vision ambitieuse de la formation en écoconseil. De plus, il a prévu, dans la structure même de financement de la chaire de recherche, la pérennité de son existence. Ainsi, à partir des revenus générés par les prestations de la chaire, un million de dollars a été capitalisé au Fonds de développement de l'UQAC de manière à rapporter des intérêts annuels destinés notamment à l’allocation de bourses pour encourager des écoconseiller·ères·s à poursuivre leurs études au doctorat.
La naissance de Carbone boréal en 2008 s’est avérée un autre moment fort démontrant le génie pratique du lauréat. Carbone boréal est à la fois un programme de compensation de gaz à effet de serre par la plantation d'arbres (concept novateur au moment de sa mise en œuvre) et un projet de recherche mené par des scientifiques de l'UQAC.
Ce projet transforme en un laboratoire naturel des plantations destinées à la recherche, afin de tester des hypothèses à long terme concernant le rôle de l'afforestation de landes, et ce, dans une perspective de lutte et d'adaptation aux changements climatiques. Autrement dit, les plantations sont aménagées en dispositifs expérimentaux permettant d'en apprendre plus sur le rôle des arbres et de la forêt boréale dans la lutte aux perturbations actuelles du climat. Carbone boréal va même jusqu’à rejoindre des personnes désirant compenser leur production de gaz à effet de serre. Comment? Tout simple : en leur offrant de « sociofinancer » cette recherche universitaire. Aujourd'hui, Carbone boréal dispose de 1,5 million d'arbres protégés au bénéfice de la recherche, et on en comptera plus de 2 millions en 2024 selon les ententes convenues avec le ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs du Québec, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, et des producteurs agricoles du Lac-Saint-Jean.
L’un des livres collectifs auxquels Claude Villeneuve a participé, Forêts et humains : une communauté de destins, indique bien la ligne commune qu’il a partagée depuis le début de sa carrière avec les pionniers de l’écologie scientifique. Parmi eux, bien sûr, se trouvait Pierre Dansereau, qui avait publié aussi son lot d’ouvrages, notamment Terre des hommes et le paysage intérieur, titre que son éditeur anglophone avait magnifiquement traduit par Inscape and Landscape. Dans une entrevue qu’il accordait au Magazine de l’Acfas en 2010, Claude Villeneuve disait de ce grand mentor qu’il avait « ouvert l’univers de l’écologie à la perspective de l’humanisme ».
Les deux hommes ont en commun d’avoir assumé, tout au long leur vie professionnelle, une posture intellectuelle publique.