Le prix Acfas Michel-Jurdant 2022, pour les sciences de l’environnement, est remis à Roxane Maranger, professeure titulaire au Département des sciences biologiques de l’Université de Montréal.
La lauréate s’intéresse à tous les écosystèmes aquatiques, des modestes ruisseaux aux bassins versants, des lacs d’eau douce aux vastes océans. Elle explore l’univers aquatique à différentes échelles par le croisement de perspectives et de méthodes issues de multiples disciplines : biogéochimie, microbiologie, biologie des organismes, écologie, sciences sociales et autres. Ainsi passent devant son périscope une multitude d’objets de recherche : bactéries et virus, réseaux alimentaires, gaz à effet de serre, topographie, changements climatiques, qualité de l’eau et impacts des activités humaines, etc. On le voit, il y a dans l’univers aquatique beaucoup plus que de l’eau…
Née à Sudbury et élevée à Timmins, la Franco-Ontarienne effectue ses études universitaires à Montréal. Au premier cycle à l’Université McGill, ses champs d'intérêt couvrent déjà différents territoires. Hésitant entre carrière artistique ou scientifique, elle surprendra en réalisant un projet particulier : elle appliquera la théorie de l’écologie comportementale pour interpréter les relations entre les personnages dans la mise en scène de pièces de théâtre. Mais c’est un cours en écologie aquatique qui la ramène à ses racines du nord de l’Ontario, un paysage doté de lacs, rivières et milieux humides, et qui vient confirmer sa passion pour préserver les milieux aquatiques.
Sa thèse de doctorat à l’Université du Québec à Montréal, Les facteurs qui contrôlent les bactéries en milieux aquatiques, démontre que certains types d’algues photosynthétiques obtiennent leur fer en consommant des bactéries. Ces travaux prouvent l’existence d’une nouvelle voie d’acquisition du fer dans de vastes régions de l’océan où cet élément chimique est rare et limite la production algale. Roxane Maranger résout ainsi l’énigme de la croissance rapide des algues dans ces régions.
Au postdoctorat entre 2000 et 2002, on la retrouve au Cary Institute of Ecosystem Studies, dans l’État de New York. C’est au sein de cet établissement de premier rang, reconnu pour sa spécialisation dans les approches écosystémiques, que la chercheuse consolidera son approche holistique et concevra son programme de recherche future.
En 2003, elle devient professeure au Département des sciences biologiques de l’Université de Montréal et membre du Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie. Elle effectue d’abord des travaux en biogéochimie de l’azote en lien avec les émissions de gaz à effet de serre. Elle produit alors une synthèse globale sur le transfert de l’azote des océans vers les continents par la pêcherie, et sur les rôles des lacs et des barrages dans l'élimination de l'azote le long du continuum aquatique. Ces travaux l’établissent comme cheffe de file dans cette spécialité biogéochimique.
De là, sa carrière sera marquée par une grande diversité de travaux. En voici quelques exemples marquants, réalisés avec son équipe d’étudiant·e·s diplômés et de chercheur·se·s posdoctoraux talentueux ainsi que de multiples collaborateur·trice·s, tant du milieu de la recherche universitaire que gouvernementale.
D’abord, ses recherches inventorient sur 100 ans les effets des pratiques agricoles et des développements urbains sur les basses-terres du Saint-Laurent. Ce répertoire détaille les nutriments présents, passés et les enjeux relatifs à la qualité de l'eau du fleuve. Suivant toujours l’actualité, la chercheuse collabore actuellement à l’identification des points chauds de pollution en azote et phosphore dans plusieurs affluents tributaires, et ce, pour préserver nos cours d’eau du Québec de façon plus durable.
Puis, partant du fleuve, ses travaux se dirigent vers les lacs. Elle évalue l’influence des nutriments, combinée aux changements climatiques, sur la stratification thermique des lacs en lien avec la production des gaz à effet de serre, dont le méthane et le dioxyde de carbone. Le réchauffement des lacs accru et plus hâtif dans l’année, fait que les strates plus profondes perdent leur oxygène plus rapidement, ce qui favorise ainsi une plus grande production de méthane. Concernant l’oxyde nitreux, elle démontre que les lacs des vastes régions du Québec boréal séquestrent, dans leurs eaux, de l’atmosphère ce puissant gaz à effet de serre grâce aux microorganismes liés aux cycles de l’azote.
Ensuite, direction océans. Les découvertes de Roxane Maranger ont documenté comment les microorganismes enfouissent le carbone dans les eaux profondes de la mer du Labrador. Chaque hiver, un phénomène physique fait que l’eau de surface est entraînée jusqu’à 2500 m de profondeur. L’équipe de la chercheuse démontre que les microorganismes de l’océan profond, grâce à leur grande biodiversité, sont plus efficaces pour créer des molécules de carbone stables pendant des centaines d’années. Cette découverte confirme le rôle critique des microorganismes dans la création de la plus grande réserve de carbone de la planète.
En plus de ses travaux scientifiques, la chercheuse contribue significativement au développement de la recherche et à la formation d’une relève. Parmi ses multiples contributions, l’une sera particulièrement représentative de ces deux points. En 2011, sous sa direction, la Station de biologie des Laurentides (SBL) deviendra une station de recherche majeure de l’Université de Montréal. La station, presque à l’abandon à l’arrivée de la Pre Maranger, vivra littéralement une nouvelle naissance grâce à une vision inusitée d’utilisation polyvalente. Fréquentée chaque année par des dizaines de chercheur·se·s et d’étudiant·e·s à la maîtrise et au doctorat, la SBL répond à de nombreux besoins en matière de science, d'enseignement et de recherche. Elle sert également de camp de base pour l'étude de multiples écosystèmes de la région et, grâce à diverses activités destinées aux parties prenantes, elle assure la connexion entre les scientifiques et la population environnante.
Soulignons aussi que depuis 2021, la chercheuse est titulaire de la Chaire canadienne en science et viabilité des écosystèmes aquatiques, ce qui fait d’elle la première femme de l’Université de Montréal à obtenir une chaire de rang 1 en sciences naturelles.
Quant au rayonnement à l’échelle internationale de la Pre Maranger, mentionnons son rôle clé dans l'établissement à Montréal du secrétariat de Future Earth, un organisme planétaire spécialisé dans le développement durable. Entre 2020 et 2022, elle siège comme présidente élue de l'Association of the Sciences of Limnology and Oceanography (ASLO), la plus grande société scientifique au service de tous les écosystèmes aquatiques. Son leadership s’exerce à un moment où les défis se sont multipliés, dont la pandémie, les enjeux de diversité et d’inclusivité, et l’intégration des nations moins nanties.
Enfin, Roxane Maranger fait aussi figure de modèle pour les femmes dans le domaine des sciences aquatiques. Elle a formé à l'Université de Montréal nombre d'étudiantes aux cycles supérieurs qui poursuivent leur carrière en recherche. Mère de trois enfants, elle s'est également exprimée à de multiples reprises sur les défis que représente le fait d'être une mère et une femme dans le domaine des sciences.
Elle aura donc relié non seulement de multiples champs disciplinaires, mais aussi articulé les différentes échelles de la nature aquatique avec la complexité de la réalité de l’humanité.