Le prix Acfas IRSST – Santé et sécurité du travail – Doctorat est remis à Caroline Duchaine, de l'Université Laval
Le Canada connaît un vieillissement démographique accéléré. On estime qu’en 2030, le pourcentage de la population âgée de 65 ans et plus passera de 15 à 23 %. C’est là un défi majeur pour la rétention de la main-d’œuvre, plaçant la santé des travailleurs âgés au cœur des préoccupations. Un léger déclin cognitif peut avoir un impact sur les activités quotidiennes, sur le bien-être et sur le travail même. Des études ont montré que l’exposition à des stresseurs psychosociaux au travail est associée à des problèmes de cognition touchant la mémoire, l’attention, l’apprentissage et le langage. La lauréate veut évaluer l’effet de ces stresseurs sur la santé mentale de 9 000 travailleurs et travailleuses du Québec suivis depuis 25 ans. Elle s’attardera aussi aux impacts biologiques à l’aide de marqueurs d’inflammation et d’oxydation mesurés dans le sang.
En 1991-1993, quelque 9000 travailleurs et travailleuses cols blancs provenant de 19 organismes publics et parapublics de la région de Québec ont été recrutés pour participer à un projet de recherche relatif à l’effet des stresseurs psychosociaux au travail sur la santé cardiovasculaire. À la suite de la prise de données initiales, on a procédé à deux autres « temps de mesure », après 8 et 25 ans. Les stresseurs ont été mesurés à l’aide de modèles bien connus : la demande-latitude-soutien (DLS) et le déséquilibre efforts-reconnaissance (DER). Selon le modèle DLS, une demande psychologique élevée combinée à une latitude décisionnelle faible au travail, une condition appelée job strain, entraîne un stress psychologique et physiologique important engendrant des problèmes de santé chez les travailleurs. Une troisième composante, le faible soutien social au travail, peut venir amplifier l’effet de néfaste de ce stress sur la santé. Selon le modèle DER, un déséquilibre entre les efforts investis au travail et la reconnaissance économique, sociale ou organisationnelle obtenue en échange peut aussi avoir de telles conséquences néfastes. Ces mesures ont été prises au moyen de questionnaires auto-administrés. La fonction cognitive a été évaluée par entrevue au dernier suivi (25 ans) avec un test de dépistage de déclin de cette fonction. Des marqueurs d’inflammation et d’oxydation ont été mesurés à l’aide de prélèvements sanguins au suivi à 25 ans chez 3 000 participants sélectionnés aléatoirement. Rappelons que l’inflammation et l’oxydation sont des réactions associées à plusieurs maladies chroniques et à une moins bonne fonction cognitive. Certains stresseurs au travail ont été associés à des concentrations élevées de ces marqueurs.
...un déséquilibre entre les efforts investis au travail et la reconnaissance économique, sociale ou organisationnelle obtenue en échange peut aussi [des] conséquences néfastes.
L’exposition aux stresseurs cumulée sur plusieurs années est reconnue pour avoir un impact plus grand sur la santé des travailleurs qu’une exposition sur une plus courte période. À ce jour, ce phénomène a été évalué par une seule étude. Cependant, celle-ci affichait un faible taux de participation lors des suivis, l’analyse selon le genre était absente, et un seul modèle évaluant les stresseurs au travail était utilisé. L’étude de la lauréate apportera une solide contribution à cette question, grâce à plusieurs facteurs : la production de données de meilleure qualité – et propres au Québec –, de bons taux de participation au recrutement (75 %) et aux suivis (85 %-90 %), des résultats présentés séparément selon le genre, et l’utilisation des deux modèles reconnus d’évaluation des stresseurs psychosociaux. De plus, cette étude est la première à évaluer l’effet cumulé des stresseurs sur trois marqueurs d’inflammation et d’oxydation, d’une part, et l’effet intermédiaire de ces marqueurs dans la relation entre les stresseurs au travail et la fonction cognitive, d’autre part.
Considérant que les stresseurs psychosociaux analysés ici sont fréquents et modifiables, l’étude de suivi à long terme de la lauréate génèrera des données probantes qui appuieront la conception d'interventions futures favorisant la prévention du déclin cognitif chez les travailleurs. De plus, ces données pourront favoriser la rétention des travailleurs âgés dans le milieu du travail et un vieillissement actif et satisfaisant.