Le prix Acfas Thérèse Gouin-Décarie 2018, pour les sciences sociales, est remis à Ann Langley, professeure au département de management de HEC Montréal.
On imagine facilement le casse-tête que constitue la gestion des établissements de santé, des organisations artistiques ou encore des coopératives. Le leadership y est collectif, le pouvoir diffus et les objectifs souvent divergents. Mais c’est aussi ce qui allume la lauréate depuis ses débuts de chercheuse en gestion. De fait, elle s’intéresse tout autant à la rigueur de l’analyse formelle qu’aux aspects créatifs, politiques et humains de la pratique sociale qu’est, avant tout, la gestion. Sa connaissance des théories organisationnelles lui a permis de développer de nouvelles perspectives sur la gestion, en favorisant l’usage de données qualitatives longitudinales recueillies sur plusieurs années, une démarche peu commune en management. Sa contribution scientifique est largement reconnue, particulièrement dans trois grands domaines : l'étude des pratiques stratégiques dans les organisations, l’étude des processus de changement et de gestion dans le domaine de la santé, et la méthodologie de la recherche en gestion.
D'origine britannique et diplômée des Universités d'Oxford et de Lancaster, Ann Langley obtient son doctorat à HEC Montréal en 1987. Puis, elle débute sa carrière à l'École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal pour rejoindre en 2000, HEC Montréal à titre de professeure titulaire.
Prenant racine dans sa thèse de doctorat, ses premiers travaux traitent de la prise de décision stratégique, notamment le rôle de l'analyse formelle dans les organisations. En 1989, elle publie à ce sujet un article fort original « In Search of Rationality: The Purposes Behind the Use of Formal Analysis in Organizations », dans la revue Administrative Science Quarterly. Elle y fait part, entre autres, des liens indissolubles entre les interactions sociales et l’analyse formelle. Cette manière d’ancrer la prise de décision dans la réalité sociale a connu des développements importants suite à la création d'un mouvement international de chercheurs (notamment du Royaume-Uni, de Suisse, de Scandinavie, de France et du Canada) qui s'intéressent à la stratégie comme une pratique sociale. Dans cette lignée, Ann Langley produit un ouvrage fondateur, avec des collaborateurs, intitulé Strategy as Practice : Research Directions and Resources, publié par Cambridge University Press en 2007. Depuis 2007, elle codirige avec sa collègue Linda Rouleau le Groupe d’étude sur la pratique de la stratégie à HEC Montréal.
Le changement organisationnel et les processus de gestion dans le secteur de la santé sont aussi un axe majeur de ses recherches. De ce côté, son originalité réside dans l'analyse longitudinale des transformations majeures au sein du réseau de la santé. Soulignons ici que plusieurs de ses travaux de recherche utilisent des données qualitatives recueillies sur plusieurs années, une démarche peu commune en management. Dans cet axe, avec deux de ses collaborateurs réguliers, Jean-Louis Denis et Lise Lamothe de l’Université de Montréal, elle s’intéresse au leadership collectif dans les organisations complexes que sont celles de la santé, et à la capacité de ce type leadership à produire des changements. La direction collective est caractérisée par le partage du pouvoir et des sources de légitimité, et les membres d’un tel collectif jouent un rôle complémentaire et fondamental à la production de changements stratégiques, même s’il demeure fragile. Sur ce thème, elle réalise, toujours en collaboration, une étude de la mise en place de la cogestion médico-administrative, regroupant médecins et gestionnaires dans des postes de direction conjointe. Ces travaux ont suscité un vif intérêt de la part des professionnels, des décideurs et des gestionnaires du secteur de la santé du Québec.
Inspirée en partie par les expériences de recherche bien concrètes, Ann Langley publie en 1999 un article méthodologique « Strategies for theorizing from process data, » dans la revue Academy of Management Review, qui propose des méthodes d'analyse propices aux études qualitatives longitudinales. Cet article est devenu un classique et une référence du domaine. Ann Langley est aussi corédactrice avec Haridimos Tsoukas de l’Université de Chypre et de l’Université de Warwick d'une série de volumes intitulés Perspectives on Process Organization Studies qui promeut la pensée processuelle dans la recherche sur les organisations.
Ann Langley a dirigé ou codirigé plusieurs mémoires de maîtrise, thèses de doctorat, et supervisé des stagiaires postdoctoraux. Outre I’encadrement des étudiants gradués, elle a également contribué de façon significative à la formation de chercheurs notamment par son enseignement aux 2e et 3e cycles.
Ann Langley est aujourd’hui sollicitée internationalement pour ses formations en méthodologie de recherche qualitative. Pensons, par exemple aux séminaires qu’elle a donnés en Allemagne, en Angleterre, au Brésil, en Colombie, en France, en Norvège, en Suède et en Suisse, et elle est actuellement professeure visiteure à l’Université de Gothenburg en Suède. Elle est aussi titulaire de la Chaire en gestion stratégique en contexte pluraliste dont les thèmes de recherche sont le changement organisationnel et les pratiques de la stratégie dans les organisations pluralistes comme les établissements de santé, les organisations artistiques, les coopératives et les organismes sans but lucratif.
En résumé, Ann Langley, par l'originalité de sa démarche a apporté des contributions très significatives à l'avancement des connaissances en stratégie, en gestion des organisations de santé et en méthodologie de la recherche.