Le prix Acfas Pierre-Dansereau 2018, pour l’engagement social, est remis à Brian Mishara, professeur au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal.
Étudier et prévenir la mort pour mieux apprendre à protéger la vie : tel est le grand défi que s’est donné ce spécialiste en prévention du suicide et en aide médicale à mourir. Les avancées scientifiques et les progrès sociaux qui résultent de son œuvre de pionnier et de son engagement social sont pour ainsi remarquables. Son influence résonne tant sur les approches d’intervention en santé que sur les politiques gouvernementales. Soulignons, par exemple, la mise en place de bonnes pratiques d’aide aux personnes suicidaires : formation des intervenants en centre d’appel, efficacité des processus et usage de nouvelles technologies. Chercheur universitaire, enseignant, formateur, consultant, vulgarisateur, communicateur et citoyen : voici qui résume les différents versants de son engagement.
Passionné par la psyché humaine et diplômé d’un doctorat de l’Université Wayne du Michigan, l’américain Brian Mishara débarque au Canada en 1979 et se joint à l’Université du Québec à Montréal. Il y enseigne alors la psychologie du vieillissement et de la mort. En 1983, il est convié par l’un de ses étudiants à une rencontre visant à créer un centre de prévention du suicide à Montréal. Le projet se concrétise, et il prend la tête de ce qui deviendra Suicide Action Montréal. Il parvient alors à convaincre le gouvernement de miser sur la prévention à une époque où le sujet est encore tabou et où l’on refuse d’envisager autre chose qu’une approche médicale.
En 1986, il cofonde l’Association québécoise de suicidologie – devenue l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS). Cette initiative répond à un besoin flagrant de communication et de coopération dans le milieu. Un vaste réseau se met donc en place regroupant associations, syndicats, entreprises, organismes, institutions, endeuillés, citoyens, chercheurs et cliniciens.
En 1996, au sein de l’UQAM, il fonde le Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie (CRISE), maintenant appelé le Centre de recherche et d’intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie. Aujourd’hui, ce lien de recherche est devenu une référence mondiale; il regroupe une vingtaine de chercheurs et une trentaine d’étudiants aux horizons disciplinaires variés (psychologie, sociologie, épidémiologie, travail social, droit, etc.) et issus de plusieurs pays.
Soulignons aussi que les travaux du lauréat sur le suicide ont permis d’engendrer au Canada et aux États-Unis de nouvelles connaissances sur plusieurs sous-populations à risque : les hommes d’âge mûr, les autochtones, les aînés, les adolescents, les personnes en milieu carcéral, les policiers, les gens souffrant de dépression. Les approches de Brian Mishara sont tout ainsi aussi vastes qu’inclusives. Vastes par les différentes clientèles visées et inclusives parce que sa contribution multiforme et originale fait appel à la diversité des collaborateurs qu’il réunit autour d’un projet.
En parallèle à ses travaux sur le suicide, et grâce à l’obtention de la Bourse canadienne Bora-Laskin pour la recherche sur les droits de la personne en 1994, le Professeur Mishara amorce une série de recherches sur l’éthique des pratiques visant à abréger la vie des personnes mourantes, incluant l’euthanasie et le suicide assisté. En raison de son expertise, de son ouverture et de son ancrage dans la pratique, il a été convié, entre autres, à témoigner devant le comité spécial du Sénat canadien traitant de l’euthanasie et du suicide assisté, et devant l’Assemblée nationale du Québec, sur la question de « mourir dans la dignité ».
Tant par ses études originales et rigoureuses que par ses collaborations riches et percutantes, Brian Mishara dépasse, sans surprise, largement le cadre québécois et canadien. Par exemple, il a travaillé avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), d’abord comme Président de l’Association internationale pour la prévention du suicide, puis comme consultant et collaborateur en évaluation des programmes de prévention en Amérique centrale, en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie. Par exemple, il a été consultant pour le développement des premiers centres de prévention du suicide au Liban et en Ouganda, et il y a formé les intervenants; cette formation était une première au Somaliland et dans d’autres milieux. Dans le cadre de l’un de ces mandats, le chercheur a participé à la rédaction du premier rapport de l’OMS sur le suicide et sa prévention dans le monde. Le professeur Mishara a ainsi formé, en prévention du suicide, plus de mille intervenants à l’international.
Depuis près de quarante ans, la capacité du lauréat à établir des ponts entre les disciplines distingue véritablement son parcours intellectuel. La pertinence sociale de ses recherches est indéniable et l’une de ses grandes forces est d’envisager ce champ de recherche globalement. Ses travaux ont ainsi touché différents membres de la société et l’ensemble des acteurs impliqués – chercheurs, intervenants des milieux de la santé, organismes et milieux décisionnels.