À première vue, la carrière de la lauréate accompagne l’histoire des luttes sociales au Québec. L’inverse est encore plus vrai : au cours des trente dernières années, la lutte de nombreux groupes sociaux pour leurs droits n’aurait pu se faire sans le travail universitaire et militant de la chercheuse. Il en est de ce métier-là, qui, par préférence ou par contrainte, ne quittent pas les quatre murs de leur laboratoire. La lauréate est d’une tout autre trempe. Pour elle le droit est un outil puissant s’il est accompagné d’actions auprès des institutions, à travers les médias et avec les citoyens.
Diplômée de l’École du Barreau en 1974, elle exerce la profession d’avocate jusqu’en 1988, défendant les droits des personnes incarcérées. Rigoureuse, abordable et engagée dans la société civile, elle représente un nouveau type de juriste au Québec, qui sait soutenir des argumentaires complexes par des discours simples et persuasifs auprès de pairs, de clients et du public. Lucie Lemonde est un nom associé à la naissance du droit carcéral.
La lauréate rejoint les rangs de l’UQAM pour poser la première pierre universitaire du droit carcéral, cette discipline qu’elle a contribué à fonder sur les bancs de la cour. L'habeas corpus en droit carcéral, son travail de maîtrise paru en 1990 aux Éditions Yvon Blais, dépose la première pierre en langue française au pays. Dans un système pénitentiaire alors peu réglementé, la chercheuse plaide pour le droit fondamental d’être traité équitablement garanti dans la Charte canadienne des droits et libertés en 1982. En 1995, Lucie Lemonde obtient son doctorat de l’Université de Montréal parallèlement à son enseignement au Département des sciences juridiques de l’UQAM. Ses étudiants, anciens et actuels, louent sa passion et sa générosité à les intégrer pleinement dans ses travaux de recherche, ainsi que sa conception, contagieuse, du droit comme outil de changement social.
Membre de la Ligue des Droits et Libertés (LDL), qu’elle préside de 1994 à 2000, son implication a permis la reconnaissance de nombreuses violations de droits dans une variété de situations : sa dénonciation d’une justice qui transforme les mineurs en sujets de contrôle plutôt qu’en sujets de droit entraîne une modification de la Loi sur la protection de la jeunesse en 2006; ses travaux sur les poursuites-bâillon engendrent l’amendement du Code de la procédure civile au Québec. Enfin, son rapport Répression, discrimination et grève étudiante sur les évènements de 2012 est un modèle de travail collaboratif, de diffusion d’informations, de sensibilité et d’objectivité.
Fierté nationale, la juriste s’exporte. Le Seuil de l’intolérable, rapport qu’elle dirige en 1996 pour la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et portant sur la situation des demandeurs d’asile en France, lui offre l’oreille des politiques français et des journalistes de grands médias européens. Vice-présidente de la FIDH de 1997 à 2004, elle intervient au Togo, au Bénin, en Roumanie et en Colombie sur les droits, les libertés et l’impunité. Enfin, le rapport qu’elle dirige sur les abus policiers lors du G20 de 2010 à Toronto suscite des questions sur les agissements du Canada par la Commission interaméricaine des droits de l’homme.
La liste est longue. Énumérer les engagements de la lauréate ne rendrait pas justice à la rigueur et à la qualité de ses accomplissements. Retenons la déroutante capacité qu’a Lucie Lemonde de donner corps au droit à la fois comme une discipline scientifique et comme un moyen formidable de défendre son pluriel, c’est-à-dire les droits des individus comme des groupes menacés.