Le prix Acfas – André-Laurendeau 2015, récompensant un scientifique s’étant distingué dans le champ des sciences humaines, est remis cette année à Joanne Burgess, professeure-chercheuse au Département d’histoire de l’Université du Québec À Montréal.
La lauréate porte un intérêt indéfectible et passionné à Montréal. Cette apparente monogamie cache une multitude de déclinaisons. Spécialiste de l’histoire économique et sociale de Montréal au 19e et 20e siècles, ses travaux impressionnent par le nombre de sujets abordés, de méthodes utilisées, de chercheurs impliqués, de partenariats avec les musées, et, enfin, de publics touchés. Car depuis près de trente ans, la lauréate fait le don, exceptionnel, du récit historique de Montréal, aux Montréalais. La ville a beau être documentée par une poignée de chercheurs, son histoire est d’abord celle de ses habitants.
Suite à de brillantes études pavées par l’obtention de bourses et de prix, Joanne Burgess est nommée professeure d’histoire à l’UQAM en 1981. L’excellence académique aurait pu lui suffire, mais la lauréate refuse de réduire l’histoire à une discipline scientifique, cantonnée aux publications et aux colloques. Elle prend le parti, audacieux, de placer l’histoire et l’historien sur la place publique, en engageant des coproductions avec les musées.
La lauréate travaille d’abord avec l’Écomusée du fier monde à Montréal et reçoit, en 1991, le Prix publication de la Société des musées québécois pour l’ouvrage collectif Exposer son histoire. Elle dirige la recherche historique et coscénarise l’exposition Paysages industriels en mutation en 1996, puis Le jardin mécanique en 2002. Toujours au même musée, la lauréate s'investit dans deux autres expositions qui connaitront de vrais succès populaires, en tant que commissaire et responsable de la recherche historique pour la première, Une pinte d’histoire. Le lait à Montréal, en 2002, puis comme responsable de la recherche pour Run de lait, en 2010, qui partira en tournée.
Dès lors, le cloisonnement artificiel entre l’université et le musée, tous deux lieux de science, s’effrite; histoire fondamentale et histoire appliquée se complémentent. C’est dans cet état d’esprit qu’en 2004, Joanne contribue à mettre en place la maîtrise en histoire appliquée à l’UQAM, qu’elle dirigera de 2004 à 2014. Le musée Pointe-à-Callière d’histoire et d’archéologie de Montréal est un des premiers à accueillir les étudiants en partenariat. Tandis qu’ils contribuent au contenu scientifique du musée, celui-ci les forme à l’élaboration de récits, à la scénarisation et au maniement de nouveaux supports.
Au long d’une carrière foisonnante de collaborations et de projets publics, la lauréate a déterré des pièces indispensables et oubliées de la grande mosaïque qu’est l’identité historique montréalaise. Les nombreux projets de recherche qu’elle a menés portent sur des sujets aussi variés que l’histoire du port de Montréal pendant la Deuxième Guerre mondiale, les maisons de chambre, la culture ouvrière, le marché Sainte-Anne, les magasins-entrepôts du Vieux-Montréal ou encore la place du lait dans l’alimentation et la santé. Joanne Burgess se démarque également par la variété des médias utilisés tels les sites et parcours Web, les expositions virtuelles, les modélisations 3D/4D, cartographie, témoignages…
C’est indéniable, la lauréate a fortement contribué à rendre vivante l’histoire économique de Montréal et à réconcilier les Montréalais avec plusieurs pans oubliés de leur passé. Cependant, son accomplissement le plus notoire, porté par sa manière collaborative de faire de l’histoire, est de montrer aux historiens le rôle qu’ils doivent tenir dans le monde actuel, la demande sociale à laquelle ils doivent répondre, et l’importance des dimensions émotionnelle et esthétique de leur discipline.
Joanne Burgess continue dans sa lancée, pour le plus grand bonheur de ses pairs et du public. Le Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal, qu’elle dirige depuis 2006, héberge Montréal, plaque tournante des échanges : histoire, patrimoine, devenir, un grand projet qui réunit quatorze chercheurs et de nombreux partenaires, soutenus par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). De quoi enfiler, le temps d’une visite, les habits rugueux et les souliers usés d’un débardeur acheminant des caisses de thé et des sacs de farine entre le Vieux-Port et le canal de Lachine, tout droit sorti des gravures de la collection Walker.