Valérie Albert
L’incidence au travail des troubles musculo-squelettiques (TMS) est énorme. Bon an mal an, elle constitue, pour la CSST, entre 30 et 40 % des lésions indemnisées. Les ergonomes sont des professionnels qui peuvent jouer un rôle important dans la prévention des TMS, mais il manque des pièces essentielles à ce puzzle – notamment la participation des entreprises à la recherche – que la lauréate s’efforce, en ce moment, de mieux baliser.
Amorcé en septembre 2012, le travail de Valérie Albert porte sur l’identification des stratégies d’intervention permettant aux ergonomes de mobiliser les acteurs du milieu de travail, afin que puissent se ficher dans l’entreprise des moyens de prévention des TMS qui soient à la fois efficaces et durables. Pour relever ce défi, l’étudiante a réuni pour sa recherche deux compétences fondamentales : une solide base en intervention ergonomique, et un savoir en évaluation des interventions en santé.
Ce type d’approche, à mi-chemin entre l’ergonomie appliquée et son évaluation in situ, est ici crucial. Bien que la « jurisprudence » scientifique reconnaisse l’apport des interventions ergonomiques en entreprise, la façon précise de réaliser ces interventions, en les adaptant le mieux possible au contexte particulier de chaque entreprise, reste encore peu étudiée. Cela même pourrait expliquer l’inefficacité de nombreuses actions qui ne tiennent pas suffisamment compte des particularités de chaque milieu de travail. En outre, les stratégies adoptées par les ergonomes, pour réussir à mobiliser les entreprises et favoriser des actions menant à des transformations réelles et pérennes, demeurent très peu décrites.
Aussi, est-ce parce que « l’étudiante » compte à son actif sept années de pratique – elle œuvrait déjà, avant d’amorcer son doctorat, comme ergothérapeute clinicienne en réadaptation auprès d’adultes atteints de TMS – ou parce qu’elle est davantage consciente de la complexité des facteurs limitant l’efficacité des actions en milieu de travail ? Toujours est-il que Valérie Albert a décidé de mettre plus particulièrement l’accent, dans sa recherche, sur la façon dont les actions atteignent leurs objectifs. Dite ainsi, la chose peut paraître infiniment banale… Il n’empêche que « ceci » pourrait très bien expliquer « cela »…
Il se trouve en effet que les retombées des interventions ergonomiques participatives (c.-à-d. qui impliquent activement et tout au long de l’intervention divers acteurs du milieu de travail – travailleurs concernés par les TMS, gestionnaires, spécialistes techniques, etc.) sont difficiles à cerner à l’aide de devis expérimentaux traditionnels, qui ont tendance à évacuer complètement le contexte de l’entreprise où les interventions se déroulent. Ceci compromettrait largement la compréhension des mécanismes qui en assurent l’efficacité.
Or, c’est précisément à ce niveau-là qu’entre en jeu la double compétence de Valérie Albert, à savoir qu’elle ajoute, aux constatations globales du contexte où s’est produite la lésion musculo-squelettique, ses connaissances en évaluation de l’intervention en santé. Car là est le but de la recherche évaluative : mieux comprendre les relations existant entre le déroulement, le contexte et les effets d’interventions complexes en milieu de travail. Il s’agit en quelque sorte de fournir une espèce « d’écologie systémique » favorisant l’efficacité et la durabilité de telle ou telle mesure de prévention des TMS.
Ainsi se trouvent mises en lumière deux importantes « zones grises » inhérentes au processus même de prévention des TMS en entreprise : l’importance de la participation de l’entreprise aux actions préventives et l’évaluation minutieuse devant nécessairement suivre les changements mis en place.
Cette spécialisation croisée, que Valérie Albert a pu matérialiser dans sa recherche, a bénéficié d’un « terreau » on ne peut plus adéquat pour son développement : un doctorat dit interdisciplinaire en santé et société, avec une codirection de thèse qui a accru davantage son amplitude. Le tout, enfin, évoluant dans un environnement de recherche où se retrouvent actuellement d’importants acteurs académiques en la matière, notamment le Centre d’action en prévention et réadaptation de l’incapacité au travail (CAPRIT) de l’Université de Sherbrooke, le lieu même où elle a réalisé sa maîtrise, ainsi que le Centre de recherche interdisciplinaire sur la biologie, la santé, la société et l’environnement (CINBIOSE) de l’UQAM, son port d’attache doctoral.
Rédacteur : Luc Dupont