Lori Saint-Martin
On reste un instant dubitatif devant l’éloquence d’un tel curriculum vitae. Imaginez d’abord que, durant les années 2000 à 2012, notre lauréate aura été, à 15 reprises, finaliste ou gagnante du prix du Gouverneur général dans la catégorie traduction anglais-français. On peut à juste titre parler ici d’hégémonie, voire d’abonnement ! Et, comme quoi la répartition des talents est vraiment « injuste » en ce bas monde, cette professeure se démarque également en création littéraire et en recherche savante. Ce sont donc là trois chapeaux qui ne déparent en rien notre lauréate.
Engagée à l’UQAM en 1991 pour investir et « labourer » le champ des études féministes en littérature, cette diplômée de l’Université Laval en littérature québécoise a fait œuvre de pionnière avec son tout premier sujet de recherche. Lorsqu’elle s’est lancée en 1981, il n’existait aucune étude de fond sur l’écriture des femmes québécoises. La thèse de doctorat qu’elle allait publier huit ans plus tard, sous le titre Malaise et révolte des femmes dans la littérature québécoise depuis 1945, contribuera à combler ce vide.
« Mon engagement, écrit-elle, consiste à penser les représentations textuelles à travers le prisme du genre (gender), c’est-à-dire à poser la question de la sexuation de toute écriture. » Dans la foulée, elle créera un important concept, le métaféminisme, qui force à revoir un certain nombre d’idées reçues en la matière. Notamment celle de l’« apolitisme postféministe » des écritures de femmes, qui serait supposément devenu la norme une fois passées les grandes décennies du militantisme féminin (années 1960 et 1970). Avec son métaféminisme, madame Saint-Martin suggère au contraire, plutôt que son abandon, une intégration de ce passé militant. Le féminisme aurait non seulement survécu, mais se serait naturellement incorporé à l’écriture des auteures québécoises contemporaines.
Grâce à ses travaux, c’est aussi toute la lecture d’écrivaines emblématiques du Québec qui s’en trouve, sinon chamboulée, du moins renouvelée, enrichie. On pense ici à Gabrielle Roy, Anne Hébert et Germaine Guèvremont. Par le truchement d’ouvrages devenus rapidement incontournables, tel La voyageuse et la prisonnière. Gabrielle Roy et la question des femmes, la lauréate « revitalise les perspectives sur la littérature québécoise ». Dans deux des plus importants chantiers d’études littéraires actuellement en cours au Québec – l’édition critique des œuvres d’Anne Hébert et de Germaine Guèvremont –. Lori Saint-Martin pose aussi une pierre plus que significative. Dans le premier, elle se retrouve coresponsable de l’édition critique de deux des romans (Les Enfants du sabbat et Le premier jardin); dans l’autre, elle sera, avec son collaborateur David Décarie, la toute première éditrice des textes, entre autres, du radioroman Le Survenant (1952-1955), un corpus colossal, constitué à partir des tapuscrits originaux de l’auteure, et avoisinant les 3000 pages.
La critique féministe telle que pratiquée par Lori Saint-Martin est une critique qui ne place pas dos à dos hommes et femmes. Elle renvoie plutôt l’un et l’autre à la société et plaide pour de nouveaux rapports humains, libérateurs pour les femmes certes, mais aussi pour les hommes.
Elle a publié, plus tôt cette année, un premier roman : Les portes closes. Deux recueils de nouvelles ont aussi vu le jour dans les années 1990. Elle est en outre une habituée du concours de nouvelles de Radio-Canada, qu’elle a remporté deux fois.
Rédacteur : Luc Dupont