Marc Lucotte
[À lire aussi, l'entrevue réalisée par Le Devoir]
Concerné par les relations étroites entre les milieux aquatiques et terrestres, le lauréat a constaté dès le début de sa carrière un fait qui lui parut singulier : il existait très peu d’interactions entre les scientifiques de ces deux domaines de recherche. En outre, il mesura le profond manque de synergie entre les deux solitudes que constituent les sciences biophysiques et les sciences sociales. En homme d’action – caractéristique pour lui indissociable de la fibre scientifique –, il a répondu à ces hiatus en créant à l’échelle pancanadienne et internationale d’ambitieux réseaux de recherche basés sur l’approche écosystémique, intégrant de façon originale la dynamique des systèmes aquatiques et terrestres et promouvant avec conviction la collaboration entre des collègues de disciplines habituellement isolées. On lui sait gré en Europe, particulièrement en France où il entretient depuis toujours de nombreux partenariats, d’avoir su développer ces idées et ces concepts de l’interdisciplinarité pour un passage de la science à l’action.
Ce faisant, Marc Lucotte poursuivait l’idée qu’avait lancée, à la fin des années 1950, Pierre Dansereau, ayant compris que la discipline qu’il contribuait à mettre au monde, les sciences de l’environnement, était par essence une synthèse d’approches.
Les nombreux collègues français du professeur Lucotte ont semblé particulièrement goûter cette vision d’une recherche environnementale totale. Au point d’accorder au chercheur, par voie ministérielle, une invitation à siéger pour deux mandats en tant que personnalité scientifique étrangère au conseil scientifique du Comité national pour la recherche scientifique (CNRS), une nomination à titre de président au conseil scientifique et technique de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA, anciennement CEMAGREF) toujours en France et une nomination pour siéger sur le conseil de perfectionnement de l’École nationale supérieure en agriculture de Toulouse (ENSAT). Ceci étant, on ne s’étonnera pas d’apprendre que parmi les 18 étudiant(e)s de doctorat et les 46 étudiant(e)s de maîtrise qu’il a d’ores et déjà accompagnés jusqu’à l’obtention de leur diplôme, le tiers était français!
Marc Lucotte est expert dans la dynamique des écosystèmes affectés par de multiples perturbations anthropiques (mise en eau de réservoirs, activités minières, coupes forestières ou agriculture). Il est présentement actif dans deux des environnements les plus sensibles de la planète : le Moyen Nord québécois et le vaste bassin de l’Amazonie.
Dans une série de projets en collaboration avec Hydro-Québec, puis financés par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG), sur la production et l’émission de gaz à effet de serre depuis les systèmes aquatiques boréaux, son association avec des hydrologues, des modélisateurs et des géographes a mené à comprendre les mécanismes reliés à la persistance de ces émissions depuis les réservoirs hydroélectriques pendant des décennies et à démontrer entre autres l’impact des coupes forestières sur l’accroissement de ces émissions.
De fait, Marc Lucotte a, depuis, importé son approche plurielle avec lui, dont cette Amazonie où les populations, soumises à de grands bouleversements de déforestation, sont sujettes à des agressions croisées de contaminants : substances chimiques et micro-organismes pathogènes. Le déplacement de ses travaux en milieu brésilien aura été l’occasion pour lui d’inaugurer une dimension supplémentaire à ses entreprises : amener les populations amazoniennes à collaborer à la recherche, ce qui lui a permis d’accéder littéralement à des expériences grandeur nature! Il a aussi conçu et monté des cours intensifs sur le terrain, tel un cours phare sur le développement durable en Amazonie avec son collègue Robert Davidson du Biodôme de Montréal, sur des sujets de pointe faisant appel à l’esprit d’observation et de synthèse des étudiant(e)s.
Après avoir dirigé l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM pendant près de 10 ans, et orchestré plusieurs grands projets interdisciplinaires de recherche, Marc Lucotte a réalisé à quel point l’intérêt et l’inquiétude ressentis par les scientifiques de toutes disciplines à propos des problématiques environnementales complexes qui affligent actuellement notre monde représentaient un formidable potentiel de mobilisation d’une forte équipe de professeurs.
L’originalité et la portée sociétale des recherches de Marc Lucotte lui ont aussi valu plusieurs honneurs dont un doctorat honorifique de l’Université de Toulouse. Enfin, Marc Lucotte n’en est pas à sa première distinction de la part de l’Acfas. Le prix Michel-Jurdant, qui récompense un chercheur issu des sciences de l’environnement, lui a été attribué en 2004.
Rédacteur : Luc Dupont