Anne De Vernal
Le prix Acfas Michel-Jurdant 2011, qui récompense un ou une scientifique s’étant particulièrement démarqué-e- en sciences environnementales, est remis à Anne De Vernal, professeure au Département des sciences de la Terre et de l'atmosphère à l’Université de Montréal.
« Étudier le passé pour comprendre le présent et prévoir le futur... » Voilà qui résume les travaux de la lauréate, pionnière en paléoocéanographie. À partir de l’analyse d’assemblages de microfossiles organiques, elle retrace les circulations océaniques et les conditions climatiques des hautes latitudes de l’hémisphère Nord, sur des périodes s’étendant sur plusieurs milliers d’années. Ses données permettent à nombre de modélisateurs de par le monde de peaufiner leurs modèles de prévision climatique.
Anne de Vernal fait partie des chercheurs qui ont initié la paléocéanographie, cette science qui étudie le passé des océans, en tenant compte de leur circulation, de leur chimie et de leur biologie. C’est notamment un des premiers chercheurs à avoir utilisé les kystes de dinoflagellés fossiles comme bio-indicateurs des conditions environnementales du passé et la première à les avoir utilisé à partir d'approches statistiques pour quantifier les changements des conditions hydrographiques à la surface des océans, en relation avec les changements climatiques du globe.
Les dinoflagellés sont des algues unicellulaires qui produisent des kystes, suite à leur reproduction sexuée. Sous cette forme, ils entrent en dormance et se déposent au fond des océans. Les kystes d’environ 15 à 20 % des dinoflagellés sont constitués d’une membrane organique extrêmement résistante et « fossilisable ». On les retrouve ainsi, plusieurs milliers d’années plus tard, dans les carottes de sédiments marins. C’est l’assemblage des différents microorganismes qui permet de connaître les conditions hydrographiques et environnementales de l’époque.
L’utilisation et la maîtrise de ces bioindicateurs demandent une rigueur et un investissement extrêmes. Anne de Vernal s’est employée dès le début de sa carrière à une identification rigoureuse des kystes de dinoflagellés, à l’étude de leur distribution géographique comme de leur évolution dans le temps, ainsi qu'à la détermination de l’écologie des espèces les plus caractéristiques. La chercheure développe en parallèle, depuis une vingtaine d’années, une base de données exceptionnelle reliant les assemblages de dinokystes actuels et les propriétés physico-chimiques du milieu dans lequel ils se trouvent. Cette base de données compte d’ores et déjà 1400 « points », recueillis dans les océans et les mers des hautes latitudes.
L’étude de l’assemblage des dinoflagellés et autres microfossiles a permis à la chercheure de quantifier les changements de température et de salinité des eaux de surface, donc de leur densité, ainsi que les variations de l'étendue et de la saisonnalité de la glace de mer. En découlent deux contributions majeures à la paléocéanographie et à la paléoclimatologie. La première concerne les conditions de la circulation océanique générale, au cours d’épisodes du passé, circulation qui permet de réguler le climat en redistribuant la chaleur des tropiques vers les pôles, par les courants océaniques. L’autre contribution concerne la glace de mer, dont la variabilité dans le passé était très mal connue jusqu’alors. Il s'agit d'un paramètre très important du climat car cette glace détermine l’albédo, c'est-à-dire la quantité d'’énergie réfléchie plutôt qu’absorbée à la surface des océans. La circulation océanique générale comme l’albédo sont des paramètres primordiaux pour le calcul des bilans d’énergie de la Terre dans les modèles climatiques.
Anne de Vernal a participé à de nombreuses campagnes océanographiques dans la Mer du Labrador, notamment dans le cadre du leg 105 de l’Ocean Drilling Program (ODP) et de l’expédition 303 de l’Integrated Ocean Drilling Program (IODP). Or, l’étude d’une séquence sédimentaire de près d’un million d’années forée au large du Groenland a mis en évidence des variations considérables des flux de pollen, en fonction des conditions climatiques sur les continents voisins. Les implications de ces travaux sont énormes : au cours d’une période interglaciaire datant d’environ 400 000 ans, au moins une partie du Groenland n’était pas sous la glace puisque couverte d’une forêt de résineux! S’en suit une publication dans la prestigieuse revue Science, en 2008, qui retient l’attention de la communauté scientifique. La vulnérabilité de la calotte glaciaire du Groenland au réchauffement climatique est en effet plus importante que ce que l’on imaginait. C’est une source d’inquiétude considérable, car la fonte de celle-ci entrainerait une augmentation de 7 mètre du niveau de la mer.
Experte scientifique connue et reconnue, Anne de Vernal a été appelé en 2008, à prendre la direction du consortium canadien qui assure la participation du pays au prestigieux programme international IODP. Plus récemment, c’est le consortium européen ECORD (European Consortium for Ocean Research Drilling) qui l’a invitée à siéger auprès de son comité exécutif. Anne de Vernal a également de hautes responsabilités dans la sphère académique puisqu’elle dirige depuis 2006 le GEOTOP qui est un regroupement stratégique du Fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies (FQRNT). Notons également sa participation active à des groupes de travail internationaux oeuvrant dans le domaine des changements du climat tels Past4Future et PAGES (Past Global Changes).
En termes de diffusion des savoirs, Anne de Vernal est reconnue et appréciée pour ses talents de pédagogue, la qualité de ses présentations orales et sa remarquable contribution à la formation des jeunes chercheurs. Elle est également régulièrement sollicitée par les médias, en tant que figure scientifique majeure.