Adolescente, la jeune montréalaise de l’Ouest de l’île prenait l’autobus en catimini. Partant au hasard vers l’Est, en territoire étranger, elle se retrouvait en pays francophone, désorientée, mais surtout fort stimulée. De ce choc créatif entre sociétés, elle fera son objet de recherche. Naviguant entre traduction, littérature et identités, ses travaux ont depuis renouvelé le discours historique et culturel sur la société québécoise en faisant ressortir la densité et la richesse de sa diversité.
Par ses travaux, Sherry Simon a fait de la traduction un élément essentiel du domaine des études culturelles, et c’est là l’une de ses grandes réalisations. Ses ouvrages, Le Trafic des langues : traduction et culture dans la littérature québecoise et Translating Montréal : Episodes in the Life of a Divided City ont en effet démontré que l’étude de la traduction permet une observation fine des mutations s’étant produites au sein de la société québécoise au cours des dernières décennies. Aussi, par ses analyses en traductologie, elle s’est penchée sur l’effort d’interprétation de la réalité littéraire québécoise par ceux qui sont étrangers à cette culture. De plus, elle fait avancer sur le plan théorique et méthodologique la science de la traductologie par l’analyse du texte traduit et l’hybridité de l’écriture montréalaise. Sous sa plume, l’acte de traduire est devenu un espace d’échange et de réflexion interculturelle.
Sherry Simon a démontré que les changements sociologiques et culturels des quarante dernières années chez les francophones du Québec ont eu un impact important sur les parlants anglais et sur les membres des autres minorités de Montréal. « L’intérêt de l’histoire culturelle récente de Montréal réside pour moi dans la manière dont le français est devenu une langue suffisamment forte et accueillante pour s’ouvrir à de multiples réalités culturelles », écrit-elle dans son ouvrage Traverser Montréal : une histoire culturelle par la traduction, paru en 2008. « Pour connaitre Montréal, dit-elle, il faut – plus que pour d’autres villes, l’écouter », dit-elle aussi. Dans cet essai sur la polyphonie linguistique et littéraire de Montréal, elle explore l’évolution qu’a connue la langue française à Montréal de 1960 à nos jours. Elle s’intéresse, entre autres, à l’interaction entre les langues, et à l’inscription de cette interaction dans l’espace urbain et culturel collectif. Bref, il s’agit d’un véritable tableau de la circulation des langues à Montréal.
La lauréate a aussi exploré le rôle du genre en traduction. Par exemple, son livre Gender in translation constitue la première étude complète et approfondie portant sur les enjeux féministes entourant la traductologie. Aussi, elle s’est intéressée aux dynamiques interculturelles dans plusieurs villes multilingues : Barcelone (Espagne), Kolkata (Inde) et Trieste (Italie). Aussi, depuis 1997, elle a été invitée à différentes universités à titre de professeure ou de chargée de cours, notamment à l’Université d’Innsbruck en Autriche et à l’Université de Richmond en Virginie. Pour l'année 2010, elle est titulaire de la Chaire de traductologie du Centre de traduction (CETRA) de l’Université catholique de Louvain en Belgique.
Hors du milieu universitaire, la chercheuse se dévoue à vouloir inspirer de nouvelles générations d’intellectuels à étudier la culture et l’identité québécoises ainsi qu’à travailler avec la langue française en les exposant à ces thématiques. Elle a organisé de nombreux événements publics, et a contribué à titre de membre de comités de rédaction et d’associations professionnelles à des thématiques liées à la mutation de la société québécoise. Elle a aussi participé à nombre d’émissions radiophoniques à Radio-Canada pour parler de l’hybridité culturelle.
Ainsi, sa plus grande contribution demeure la manière dont elle a pensé la ville dans le choc et la stimulation des rencontres : entre sexes ou entre ethnies, ou encore entre groupes religieux, linguistiques et culturels.