Informations générales
Événement : 80e Congrès de l’Acfas
Type : Domaine
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :Trois sessions sont offertes cette année dans ce vaste domaine : d’abord l’éthique, avec ses dimensions fondamentales et appliquées; ensuite les recherches sur les rapports de la conscience avec les relations corps/esprit et les questions relatives à la temporalité et enfin une session consacrée aux travaux d’histoire de la philosophie, comportant une importante section de philosophie allemande (Eckhart, Benjamin, Heidegger et Gadamer).
Dates :- Dominique Leydet (UQAM - Université du Québec à Montréal)
- E. Allyn Smith (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Programme
Éthique et société
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L’éthique et la médiation : vers de nouveaux cadres de régulation et d’interventionEmmanuelle Marceau (Unité de soutien SRAP du Québec)
Le droit s’est imposé en force dans les sociétés modernes afin de baliser et coordonner les relations humaines et le vivre-ensemble (Legault, 2011). En dépit de la judiciarisation croissante des rapports humains et sociaux, le recours aux tribunaux semble ralentir au Québec depuis quelques années, laissant apparaître une crise de légitimité (Otis, 2001 et 2005). Les insuffisances du droit sont désormais dénoncées par les juristes, les philosophes et les sociologues (Lajoie, 1991; Legault, 2011; Rocher, 1989). Face à ce constat, plusieurs affirment que l’éthique et la médiation se révèlent toutes désignées pour répondre aux insuffisances du droit et contribuer à résorber la crise actuelle (Legault, 2011; Rocher, 1989; Otis, 2001 et 2005; Lacroix, 2002-03). L’éthique et la médiation permettent en effet une réflexion sur les normes, mais également sur les valeurs et les émotions. Ainsi, elles proposent des cadres régulateurs qui ne soient pas que normatifs. Au Québec, ces modes alternatifs de justice gagnent en popularité (Otis, 2001 et 2005). Mais que proposent-ils plus exactement afin de sortir le droit de la crise qu’il traverse? Sont-ils suffisants? En d’autres termes, en quoi ces modes alternatifs émergeant répondent mieux aux besoins actuels des individus et des sociétés démocratiques?
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Éléments d’une philosophie de l’intérêtAlain Létourneau (UdeS - Université de Sherbrooke)
Nous entendons constamment parler de conflits d’intérêt,
et la chose se présente souvent avec une connotation juridique et politique. Ce
sont là d’importantes préoccupations, mais l’on s’arrête tout de même très peu sur
la notion pourtant centrale d’intérêt; la présente communication vise à développer une conception
non réductrice de la notion d’intérêt. Après avoir arrêté quelques
définitions de base de l’intérêt, plusieurs contributions philosophiques d’importance
sur la notion d’intérêt seront brièvement revues, notamment Cicéron, Hobbes,
Kant, Marx et le pragmatisme classique, plus récemment Comte-Sponville, C. Larrère.
Puis il s’agira de développer plus systématiquement la notion d'intérêt, à la lumière de
certaines considérations venues des sciences sociales et de la philosophie, pensons
à Habermas relisant notamment Peirce et à G. Simmel qui resitue la question de l'argent souvent confondue avec l'intérêt. Certaines contributions importantes des sciences économiques seront prises en compte, notamment l'apport de G. Hardin et sa discussion critique par Elinor Ostrom, ce qui permettra de dégager quelques intérêts substantiels peu visibles mais néanmoins incontournables. Il s'agira aussi d'examiner au plan des discours argumentés
à tour de rôle les domaines, les lieux et les critères de l’intérêt, pour déboucher sur des remarques concernant l’opposition et la conciliation des intérêts dans la vie sociale. -
L’esthétique de l’environnement. Historique et débats actuels?Denis Dumas (Université d’Ottawa)
L’esthétique de l’environnement est une discipline philosophique qui s’est constituée et établie au cours des quarante dernières années. Dans la tradition analytique, elle jouit d’une pleine reconnaissance depuis deux décennies. – Je présenterai brièvement : 1) les principaux jalons de son évolution thématique et institutionnelle jusqu’à aujourd’hui; 2) quelques problèmes qui animent la réflexion dans cette discipline ; 3) le projet d’une philosophie anthropocentriste, inspirée par Kant, qui étudie le respect porté par les humains à la valeur esthétique des environnements. – Ce fut d’abord, à partir des années 1970, l’étude des environnements naturels puis mixtes et urbains qui a occupé cette nouvelle discipline. Elle a récemment élargi son champ à l’esthétique de la vie quotidienne et elle s’intéresse depuis peu à diverses composantes culturelles de l’expérience esthétique (notamment dans les cultures orientales). Parmi les thèmes qui alimentent cette réflexion, on retrouve la spécificité de l’appréciation esthétique de l’environnement comparée à celle de l’art, l’opposition entre les conceptions objectiviste et subjectiviste de l’appréciation esthétique, ainsi que la question du lien possible entre une esthétique et une éthique de l’environnement. Ma présentation comportera quelques références à certains auteurs importants de cette discipline (R. W. Hepburn, A. Carlson, A. Berleant, H. Rolston, Y. Sepänmaa, Y. Saito, E. Brady).
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La fonction « éthopoétique » du discours éthique chez Wittgenstein : au-delà de l’opposition entre l’éthique théorique et l’éthique vécueMartin Arriola (UdeM - Université de Montréal)
Wittgenstein semble avoir maintenu jusqu’à la fin de sa vie une opposition entre le discours philosophique théorique sur les normes et les conduites humaines et l’éthique telle qu’elle est vécue dans nos pratiques effectives. Or, en nous inspirant du modèle stoïcien selon l’interprétation de l’historien Pierre Hadot, il est possible de dépasser cette opposition en puisant dans les ressources mêmes de la pensée de Wittgenstein et de mettre en lumière la fonction « éthopoétique » du discours éthique dont le propre est de « produire de l’ethos », c’est-à-dire ici d'opérationnaliser les valeurs morales et de guider les actions en vue du bonheur. Il s’agit d’interpréter cette opposition non pas comme une incompatibilité de principe entre le discours philosophique et l’éthique vécue, mais de faire la distinction entre un discours inadéquat et un discours adéquat à l’éthique vécue. Dans un premier temps, nous examinerons les raisons principales qui expliquent la présence d’une telle opposition dans la pensée de Wittgenstein à partir de l’interprétation de l’éthique théorique comme discours inadéquat à l’éthique vécue. Dans un deuxième temps, nous verrons qu’il y a chez Wittgenstein des ressources permettant de dépasser cette opposition au profit d’un discours en accord avec l’éthique vécue, un discours éthique à la première personne fondé sur une attitude « éthopoétique » qui permet d'intégrer le discours philosophique théorique à l'éthique vécue.
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La perception du patient dans l’évaluation des technologies médicales : le cas de la réutilisation du matériel médical à usage uniqueElsa Acem (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Le Conseil d’évaluation des technologies de la santé (CETS), devenu l'Agence d'évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé (AETMIS) en 2000, et récemment intégré à l'Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), a publié au-delà de 100 rapports qui ont influencé la pratique médicale au Québec. Malgré le rôle important de cette agence, ses rapports n'ont jamais fait l'objet d'études critiques de chercheurs en sciences juridiques. Un sujet en particulier, la réutilisation du matériel médical à usage unique (MMUU), a fait l’objet de six rapports de l’agence de 1991 à 2009. Une analyse de contenu de ces rapports révèle que la question du consentement d’un patient à l’utilisation de MMUU réutilisé a souvent été analysée de manière sommaire, ou négligée en faveur de discussions plus détaillées sur des aspects économiques ou scientifiques. Toutefois, la question du consentement éclairé, loin d’être une préoccupation mineure, est fondamentale au respect de l’autonomie des patients, et a bénéficié d’un examen plus approfondi dans le contexte de la réutilisation du MMUU dans d’autres pays. Compte tenu de l’importance grandissante qu’occupe l’évaluation des technologies médicales dans la société, cette étude permettra une réflexion approfondie sur l’opportunité d’intégrer des patients au processus d’évaluation afin de mieux représenter leurs préoccupations, ainsi que d’améliorer la protection de leurs droits en milieu médical.
Corps, langage et conscience
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Le rôle du langage dans la cognition humaine : une première évaluation des enjeuxGuillaume Beaulac (Yale University)
Je formule une approche visant à comprendre le rôle du langage dans la cognition humaine en faisant ce que je soutiens être des distinctions importantes dans l’étude des capacités cognitives. En ayant comme point de départ des critiques des théories à processus duaux (théories selon lesquelles nous avons deux systèmes cognitifs, l’un automatique, rapide et inconscient; l’autre, contrôlé, lent et conscient), je me penche sur le rôle attribué au langage dans de tels cadres explicatifs en sciences cognitives. Je développe cette idée en la contrastant avec la distinction que Hauser, Chomsky et Fitch (2002) font entre les notions de faculté de langage élargie et restreinte (Faculty of Language Broad / Narrow, FLB / FLN).
Ces critiques des théories à processus duaux et l’introduction de la distinction FLB / FLN aident à mieux comprendre les capacités cognitives nécessaires au langage et le rôle du langage dans la cognition – cela nous permet également de penser aux capacités qui ne sont possibles qu’avec / à travers le langage. Nous verrons qu’un petit changement au plan cognitif peut avoir des conséquences importantes sur l’ensemble de la cognition. Je fais ainsi quatre distinctions aidant à mieux comprendre le rôle du langage dans la cognition.
Je soutiens ensuite que cette façon d’aborder le rôle du langage peut changer comment est approché le travail en psychologie et en philosophie de l’esprit – des disciplines où domine ce que j’appellerai un ‘biais langagier’.
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De l'utilité du concept de résonance en géographieRené Blais (Université de Moncton)
Le concept de «résonance» est abondamment utilisé par les chercheurs des sciences sociales et humaines autant que les spécialistes des sciences physiques. Sa polyvalence étonne. Cette qualité n'en fait-elle pas en même temps un formidable outil de dialogue entre les différents champs du savoir. Mais qu'est-ce que la résonance ? Quelle réalité recouvre-t-elle? Qu'est-ce qui explique son pouvoir de séduction-évocation auprès des penseurs ? La biologie a montré que le corps est une immense caisse de résonance. La «nouvelle» physique avec sa théorie des cordes bouleverse déjà notre conception de la matière, de l'espace et du temps. Elle propose un modèle de particules semblables à d'infinis bouts de ficelles qui entrent en résonance. La géographie doit intégrer ces nouveaux développements dans ses modèles.
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L’arbre est dans la tête : un modèle théorique et pratique de la temporalité de la conscience humaineLouise Caroline Bergeron (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La temporalité est une expérience fondamentale de l’existence humaine. Elle se confond avec le premier palier d’émergence de la conscience, soit le niveau qu’on appelle en anglais simple awareness (ou conscience immédiate, par opposition à conscience réflexive). Pour représenter le rapport de la personne au déroulement de son vécu, en contexte théorique comme en contexte d'intervention, nous proposons un modèle de la temporalité de la conscience humaine.
Sur la base d’un homomorphisme structurel, nous avons transposé le modèle arborescent de l’univers (développé par le philosophe des sciences, Storrs McCall, A Model of the Universe, 1994) à une conceptualisation opérationnelle de la nature temporelle de la conscience humaine. Cette conceptualisation se fonde dans une description neuropsychologique de l’expérience consciente du temps (Eagleman, Tononi & Edelman, John). Ceci permet de faire le pont entre la neuropsychologie et la représentation formelle de la conscience telle qu’elle apparait chez des théoriciens de la conscience, principalement dans les théorie des Multiple Minds de Robert Ornstein (1991), et que nous contrastons avec la théorie des Multiple Drafts de Daniel Dennett (1991).
Nous montrerons en quoi cette théorie de R. Ornstein est plus adéquate que celle de D. Dennett pour rendre compte de l’expérience humaine de la conscience immédiate et du temps. Nous conclurons en présentant deux applications de nos résultats, l’une en intervention, l’autre théorique.
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Le naturalisme biologique de John Searle et le problème corps/esprit dans l’optique d’une étude de la conscienceDavid Meunier (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
La problématique des relations entre le corps et l'esprit a fait l'objet, au cours de l'histoire de la philosophie, de nombreuses tentatives de résolution de la part d'un nombre relativement grand de philosophes. Malheureusement, la plupart adopte un vocabulaire technique conduisant généralement à les enrégimenter dans une position traditionnelle ou une autre, que l'on songe aux différentes formes de dualisme ou de réductionnisme. Searle récuse ces deux extrêmes et propose, après l'analyse des traits spécifiques à la conscience, une troisième voie, celle du naturalisme biologique. Le sujet de notre présentation sera la position que Searle adopte concernant les relations de la conscience et du cerveau.
Nous retrouvons chez Searle une forme de naturalisme qui est à la fois ontologique et méthodologique, qui admet une version du réductionnisme dite causale et sous-entendant une définition non-événementiel de la causalité, qui rejette toute forme de réduction ontologique des états mentaux subjectifs à des entités ontologiquement objectives mais supporte une survenance des propriétés causales des états mentaux sur les propriétés causales des états neurophysiologiques, et plaide en faveur d’une conception émergentiste des relations entre la conscience et le cerveau. Le but de notre présentation sera de démontrer comment ces différentes caractéristiques de la position de Searle s'articulent et de quelle manière elles le conduisent à redéfinir notre conception de la conscience.
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L’expérience du corps dans l’anorexieGenevieve Houde (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Les dernières années ont vu fleurir de nombreux travaux portant sur les soins de santé dans le champ de la phénoménologie du corps (Vinit, 2007 ; Courtine, 2011, etc.). À l'instar de ces travaux, notre étude vise à étudier le phénomène de l'anorexie en y introduisant la question de la corporéité. En nous rattachant aux développements apportés par la tradition de la phénoménologie du corps (Merleau-Ponty, 1964 ; Patočka, 1985), notre contribution se veut l'amorce d'un travail reliant la dimension de la corporéité, pensée comme condition permanente de l'expérience (Merleau-Ponty, 1945), à la problématique de l'anorexie. Le corps est pensé comme un objet par le modèle médical, voire comme une chose, c’est-à-dire qu’il apparaît comme dévitalisé et coupé de la dimension psychique. Bien que l’efficacité des méthodes scientifiques aient fait leurs preuves dans le traitement des pathologies touchant le corps, la méthode phénoménologique apparaît comme une voie prometteuse pour penser les enjeux de l’anorexie et de son traitement, en particulier parce qu’elle permet de prendre en compte la dimension de l’expérience. Nous entendons ainsi toucher cette dimension en nous appuyant sur le concept de corporéité entendu comme une modalité d’ouverture potentielle au monde et à son investissement. Partant de là, une avenue de réflexion sur l'anorexie est de la concevoir comme un dérèglement de cette modalité d'ouverture passant par le refus de s'alimenter.
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L’interprétation de la ponctuation dans les logiques sous-structurellesGwennaël Bricteux (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Les logiques sous-structurelles sont un ensemble de logiques non-classiques définies par des variations sur les règles structurelles distinguées dans le calcul des séquents de Gentzen (1934). Dans son livre An Introduction to Substructural Logics (2000), Greg Restall effectue une première synthèse de ces différentes logiques, en développant une grammaire formelle qui sert de base commune à leur formalisme. Nous examinons la présentation unifiée des logiques sous-structurelles proposée par l'auteur, en nous concentrant plus spécifiquement sur l'interprétation de la ponctuation dans le formalisme des séquents, fondamentale à l'entreprise. Nous critiquons certaines notions logiques élémentaires laissées vaguement définies par l'auteur et proposons de les réinterpréter dans une perspective constructiviste, en utilisant certaines conceptions de la grammaire formelle au fondement de la sémiotique peircéenne. Nous envisageons finalement les conséquences générales de cette réinterprétation en ce qui a trait au développement d'une approche unifiée des logiques sous-structurelles.
Histoire de la philosophie
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La noétique de Thierry de Freiberg et l’émergence médiévale du motif transcendantalPierre-Luc Desjardins (Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1))
L’attribution à l’intellect humain d’un pouvoir constitutif sur le réel - que l’historiographie tend à considérer comme un philosophème appartenant en propre aux développements philosophiques postérieurs à la critique kantienne de la métaphysique – plonge ses racines dans le questionnement philosophique médiéval, majoritairement préoccupé par les problèmes appartenant aux domaines de l’ontologie et de la noétique. Rigoureusement soutenue par le maître dominicain Thierry de Freiberg (1250-1318/20), une telle fonction active et causatrice de l'intellect sur la réalité matérielle confère à la connaissance intellectuelle une antériorité ontologique par rapport à la chose « donnée » aux sens - antériorité qu’une lecture concordiste des conceptions aristotélicienne et augustinienne de l’intellect permet à Thierry de penser. La tâche que nous nous proposons consiste à exposer les aspects de la noétique du Fribourgeois permettant d'établir entre celle-ci et les philosophies transcendantales développées à l'époque moderne par des penseurs tels que Kant et Husserl une certaine filiation qui, par-delà les changements de paradigmes et la diversité des conceptualités, témoigne d'une continuité dans le discours noético-ontologique. Ce qu'il sera question de relever sera une certaine continuité entre la philosophie transcendantale kantienne ou postkantienne et une certaine tradition augustinienne que Thierry de Freiberg incarne à son époque.
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La sagacité aristotélicienne comme modèle du savoir éthiqueDoyon François (UdeM - Université de Montréal)
La plupart des éthiciens modernes et contemporains tentent de faire de l’éthique une science rigoureuse. Les différentes variantes contemporaines du conséquentialisme sont de bons exemples de cette tendance. Je me propose de montrer que cette recherche d’un fondement de type scientifique à la morale relève d’une méconnaissance de la nature même du savoir moral et conduit à des apories insurmontables. À partir de l’interprétation que donne Hans-Georg Gadamer du concept aristotélicien de sagacité (phronésis) dans Vérité et méthode, je tenterai de montrer qu’il est possible d’éviter le relativisme éthique sans qu’il soit nécessaire de fonder la morale ou de disposer d’un critère moral absolu. En effet, d’après Gadamer, l’exigence de fondation absolue en morale n’est que l’importation illégitime du modèle épistémique des sciences de la nature. Selon l’interprétation gadamérienne d’Aristote, la vie humaine est trop complexe pour qu’il soit possible de la soumettre à des règles générales, ce qui ne veut pas dire pour autant que tout soit relatif en morale. Nous verrons avec Aristote qu’on ne peut jamais trancher théoriquement un dilemme moral, mais qu’on peut se laisser guider par la sagacité acquise par une longue expérience de la vie pour savoir reconnaître ce qui apparaît comme étant le plus juste.
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Néant et détachement dans l’expérience de l’être : entre Maître Eckhart de Hoheim et Martin HeideggerPierre-Luc Desjardins (Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1))
Si l'entreprise philosophique de Martin Heidegger se caractérise majoritairement par la tentative de destruction et dépassement de la pensée métaphysique telle que l'a connue l'histoire de la philosophie occidentale, son rapport à une certaine tradition médiévale est en vérité plus complexe qu'on ne peut généralement le croire. Bien que le paradigme aristotélico-thomasien se trouve largement critiqué par Heidegger, une certaine orientation néo-platonisante à tendance mystique du penser médiéval incarnée principalement par Saint Augustin et Maître Eckhart a su influencer abondamment l'ontologie heideggérienne, autant dans ses premiers développements qu'au cours du tournant entrepris après la publication d'Être et temps. Prenant pour ligne directrice de notre lecture la thèse soutenue dans l'ouvrage du philosophe américain John D. Caputo The mystical element in Heidegger's thought, nous exposerons quel rôle a pu jouer dans la pensée heideggérienne la notion de néant et quel type de filiation cette importance du néant dans le discours ontologique instaure entre les pensées de Heidegger et de Maître Eckhart. Notre objectif sera de comparer le traitement qu'il est fait du néant et l'importance accordée à la néantification de l'étant au sein de la construction de l'expérience spirituelle dans certains ouvrages-clés du corpus heideggérien tels que Être et temps, "Introduction à la métaphysique" et Le principe de raison ainsi et dans les Traités et sermons de Maître Eckhart.
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La métaphore de la lisibilité dans la pensée de Walter BenjaminSteve Bourget (Université Laval)
Notre exposé cherche à dégager la nature et le rôle stratégique de la métaphore de la lisibilité du monde dans l'économie de la pensée benjaminienne et son importance pour l'élaboration d'une métaphorologie (Blumenberg, 1960)
De fait, la métaphore de la lisibilité du monde est le postulat qui permet de penser l'unité de sa méthode interprétative. Puisque c'est à partir d'un tel postulat que la proposition de Benjamin, exposée dans un fragment de 1917, percevoir c'est lire, peut être comprise. Si la lisibilité du monde est une métaphore, c'est bien parce que les premières formes de lecture se sont faites avant la naissance de l'écriture, dans la lecture des entrailles, dans les étoiles et dans les danses. C'est donc dire que la perception est un phénomène qui, loin d'être une réalité strictement empirique, relève en dernière instance du langage. D'ailleurs, dans un autre fragment de la même époque, il affirme que la perception est une modalité du langage. Ce qui nous permettra de comprendre sa théorie mimétique du langage comme production de ressemblance non sensible. Ces considérations nous permettront, d'une part, de démontrer que la position de Walter Benjamin permet d'écarter dans le domaine de l'interprétation deux paradigmes opposés : la stricte empiricité et la tradition herméneutique (Gadamer, 1960). D'autre part, nous démontrons que l'origine de la connaissance humaine s'inscrit dans un tissu métaphorique préalable.
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Au centre de l’émergence de l’intellectuel critique et collectif : le cas Lucien HerrDavid Clos-Sasseville (Université Concordia)
Toute bonne monographie traitant du climat intellectuel en Europe de la fin du 19e ou encore de l’Affaire Dreyfus contiendra une référence à Lucien Herr. On lui reconnait généralement la conversion au socialisme et au dreyfusisme de générations d’étudiants de l’École normale supérieure dont font parti Léon Blum et Jean Jaurès. Cependant, dans l’historiographie cette reconnaissance n’est jamais suivie d’une explication et devient plutôt un raccourci commode. L’Affaire Dreyfus étant considérée comme le moment historique de la naissance de l’intellectuel moderne en France et Lucien Herr y ayant joué un rôle central de mobilisation, notre compréhension de l’émergence de l’intellectuel peut-elle être complète sans l’analyse de ce cas? Dans le cadre de cette communication nous nous proposons donc de présenter le cas de Herr par une analyse de son engagement intellectuel, de son parcours professionnel et de ses écrits. Il s’agit de dégager une philosophie de l’engagement ancrée dans une logique de soustraction collective et de voir son impact dans ses réseaux. Cette communication, basée sur les résultats de recherches effectuées dans le cadre de la maîtrise, permettra de présenter un cas important dont les travaux précédents remontent aux années 70 et qui bénéficie maintenant des avancements récents en histoire des intellectuels. L’historiographie peut-elle faire l’économie de l’étude d’un intellectuel dont on reconnait l’importance centrale dans la mobilisation?
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Le radicalisme politique canadien-français au 19e siècle : le cas de l’anticléricalismeGuillaume Durou (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Une élite lettrée francophone a engagé une lutte contre l’Église catholique au Québec durant le XIXe siècle. L’anticléricalisme comme idéologie critique s’est buté aux biens pensants de l’Église générant une lutte sans merci où le devenir de la société était l’enjeu principal. Cette révolte intellectuelle naquit au moment même où l’Église devenait une puissance régulatrice de la société. En analysant les idéologies anticléricale et ultramontaine qui opposent deux groupes de la société canadienne-française et leur impact sur l’action politique, on est amené à conclure la disparition de l’espace politique de l’anticléricalisme à la fin du XIXe siècle. Pourquoi ? Les causes sont nombreuses : notons l’échec de l’expérience républicaine, l’apparition de la modération politique, le rejet du radicalisme. Or la raison forte réside sans aucun doute dans la transformation interne de la société vers une forme cléricalisée : s’opposer à l’Église, c’était s’opposer à la société tout entière. En proposant une nouvelle lecture sociohistorique des idéologies politiques des élites dominantes, nous sommes en mesure de comprendre le développement et le rôle puissant de l’Institution catholique jusqu’au début du XXe siècle. Notre relecture appréhende la condamnation totale et massive l’Église jusqu’à 1960. Notre étude enrichit l’histoire de l’Église et des contestations internes et place cette dynamique au cœur même du «processus de civilisation» du Canada français.