Informations générales
Événement : 80e Congrès de l’Acfas
Type : Colloque
Section : Section 600 - Colloques multisectoriels
Description :La société de consommation contemporaine a promu l’objet « flambant neuf » immaculé, l’objet « toujours neuf » de l’obsolescence programmée, l’objet « plus neuf que le tien » pris dans la rivalité mimétique, comme horizon indépassable des aspirations individuelles. Assujettis à cette politique du neuf, les individus se modèleraient ainsi sans considération pour les histoires singulières émanant de leurs usages et des objets qui meublent leur vie. L’histoire du design au XXe siècle est intimement mêlée à la promotion de cette subjectivité contemporaine, lisse et étincelante. À l’aube de la démocratie participative, dans le sillage du web 2.0, et alors que s’édifie une société de la durabilité, le design est-il ainsi condamné à créer du neuf et à enfermer les aspirations individuelles dans ce mode de renouvellement de soi?
Ce colloque cherche à explorer les rapports entre le design et des démarches de subjectivation créatives à partir d’une critique politique du « neuf » qui couvre les polarités du nouveau et de l’ancien, du vierge et du recyclé, du frais et du périmé, du propre et du sale, etc.
Deux axes d’exploration seront proposés. Le premier axe abordera le lien entre design et subjectivation à l’aune du déplacement actuel du centre de gravité des pratiques de design qui s’intéressent dorénavant moins à l’objet qu’aux systèmes d’usage. Comment des démarches de design peuvent-elles réinventer localement et délibérativement des styles de vie en combinant des services et de multiples objets, neufs comme usés, à l’intérieur de scénarios? Le second axe s’attachera à examiner le design dans le cadre de l’alternative entre « faire du neuf » ou ne rien faire. Quels enjeux de design sont soulevés par la valorisation de la trace personnelle laissée par l’usage sur l’environnement matériel?
Date :- Philippe Gauthier (UdeM - Université de Montréal)
- Christophe Abrassart (UdeM - Université de Montréal)
Programme
Généalogies et problématisations contemporaines du « neuf »
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Généalogies et problématisations contemporaines du « neuf » : introduction à la première sessionChristophe Abrassart (UdeM - Université de Montréal)
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L'objet grotesque : une figure du XIXe siècleNicholas Roquet (UdeM - Université de Montréal)
« … avec le kitsch, le monde des objets se rapproche de l'homme ; il se laisse toucher, et dessine finalement ses figures dans l'intériorité humaine. »[1]
Au tout début du siècle dernier, l'historien Hermann Muthesius a affirmé que l'intérieur domestique du XIXe siècle avait été infecté d'un mal incurable : la matière s'y était travestie en simulacre, la vie en reproduction mortifère du passé.[2] À ses yeux, l'intérieur qui incarnait le mieux cette « inculture » propre au siècle était le domicile londonien de l'architecte anglais William Burges (1827-1881). La communication propose une relecture de ce célèbre décor domestique, en retraçant sous ses dehors historicistes les indices d'une modernité plus radicale : se meubler, c'est conquérir une subjectivité.
La communication aborde la dialectique proposée par ce colloque (« faire du neuf » ou ne rien faire) dans une perspective délibérément historique, prenant comme parti que « l'ancien » ou le « désuet » peuvent apporter un éclairage critique sur des enjeux contemporains. Pourrait-on imaginer aujourd'hui une démarche de création qui privilégierait l'archaïque aux dépens du neuf, des logiques de réitération et d'accumulation au remplacement continuel, et le marquage biographique à la surface vierge ?
[1]Walter Benjamin, « Kitsch onirique », in Oeuvres, tome 2 (Paris : Gallimard, 2000), 7-10.
[2]Hermann Muthesius, Das Englische Haus, tome 3 (Berlin : Ernst Wasmuth, 1905), 67.
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Du neuf pour exister : designer l'existantStéphanie Cardoso (Université de Bordeaux)
Du neuf pour faire propriété, exister et s'identifier au sein d'une société. Le neuf permet de mieux se montrer, d'apparaître, ou de commencer à être, de devenir visible au cœur d'une société valorisant la surconsommation et le paraître. L'humain à travers son corps faillible et périssable devient lui aussi obsolète et objet à l'image des modèles sur papier glacé, une identité à sculpter (Orlan, Self hybridations, 1998-2002). Ces corps périmés, ramenés à l'état neuf par le biais de la chirurgie esthétique, se risquent à perdre à la gloire du neuf, âme, mémoire et filiation. Le corps lissé et rénové propose une image renouvelée du soi, une image façonnée à l'essaim de ces artefacts brillants. Intimement lié à un marché économique individualiste et hédoniste, le neuf mène à une obsolescence programmée. Au cœur de cette conjoncture où la production et la consommation de signes sont remises en question, il ne s'agit plus pour le design de concevoir du neuf mais bien d'innover dans une logique de pointe (A. Hatchuel, 2006). Cette opération ne se limite pas à créer de nouvelles valeurs mais à créer de nouveaux êtres, commencer à être : de nouveaux modes à partir du neuf comme de l'usagé. A l'heure des technologies pervasives et de l'homme augmenté (B. Claverie, 2010), le neuf se créé en réseau dans une multi-dimensionnalité et une démocratie participative : une autopoïèse pour le design.
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Neuf, innovation, hapax : le cas des objets prothétiques et dispositifs technologiques implantables dans le cadre du cancerMarine Royer (ENSCI - Les Ateliers)
La miniaturisation des biotechnologies ont permis à une nouvelle catégorie d'objets des soins (prothèses, chambres implantées, pompes) de reporter une partie des pratiques médicales hospitalières dans la sphère domestique, en lien avec les nouvelles politiques de prise en charge des patients. Tout en rendant les traitements plus précis et moins invasifs, ces objets « embarqués » à même le corps restent, à bien des égards, envahissants et stigmatisants. La nécessité de coopération des malades devenant acteurs de soins, ainsi que la cohabitation avec ces objets, représentent une nouveauté qui n'est pas d'ordre purement scientifique, mais aussi philosophique, anthropologique et social.
Ces objets implantés sont des hapax que le dialogue thérapeutique tente de saisir par le double discours de l'innovation et du soin. Prenant pour point de départ le rôle que peuvent jouer ces dispositifs biomédicaux, cette communication a pour premier objectif de mettre en lumière les recompositions qu'engendrent ces objets autour des traitements sociaux faits au corps malade « appareillé » et d'expliciter les changements auxquels nous devons faire face aujourd'hui. Le second enjeu porte sur le design comme appareil de visibilité permettant de traiter le problème de l'hyper contemporain. Ces innovations médicales questionnent le rôle que peuvent jouer les designers pour aider à l'intégration conscientisée de ces objets dans la vie quotidienne des patients.
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Le neuf, le luxe, la mode et le design : réflexions croiséesOlivier Assouly (Institut français de la mode - IFM)
Le designer face au « neuf » : situations critiques et enjeux
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Le designer face au « neuf » : introduction à la seconde sessionPhilippe Gauthier (UdeM - Université de Montréal)
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Faire du vieux avec du neuf : le paradoxe promu par la politique d'aménagement Milieu de vie dans les CHSLDSébastien Proulx (UdeM - Université de Montréal)
Les regards sur l'hébergement des personnes âgées ont beaucoup évolué au cours des dernières années. De fait, l'apport à la qualité de vie que peut avoir la mise en oeuvre de milieux attentifs aux réalités de la vie antérieure des résidents est pris au sérieux. Dans cette perspective, des politiques d'aménagement sont développées pour assister les concepteurs dans la production de tel milieu. Ainsi, la mise en place de milieux où les résidents peuvent se reconnaître, maintenir leur personnalité et développer la capacité d'habiter est valorisée. Autrement dit, les approches d'aménagement hygiéniste sont révisées. Cette transformation des hébergements s'opère par différents gestes. À cet égard, la pratique du designer devient un terrain d'enquête pour analyser la représentation d'un milieu naturel et les moyens de les recréer. Cette communication a pour objectif de montrer, par un compte rendu ethnographique, de quelle manière se traduit la conception de milieux de vie. De façon plus critique, les résultats obtenus indiquent que les designers font usage de la symbolique de l'ancien pour atteindre leurs objectifs. Or, nous montrerons que cette stratégie a des limites et ne permet pas de résoudre les problèmes spécifiques des projets d'aménagement milieu de vie. Dans l'esprit de ce colloque qui vise à mettre en lumière des alternatives à faire du neuf ou ne rien faire, nous suggérerons un déplacement vers la conception d'usage signifiant comme objet pour les designers.
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De l'exécuteur testamentaire au curateur : pour un design dilettanteNicolas Boutan (Université de Bordeaux)
A l'heure des critiques de l'obsolescence programmée et de la gestion problématique des déchets se dessine un champ d'action directement orienté vers la suggestion du neuf : celui de la sélection. Face à la masse d'informations s'impose une sélection intelligente et stratégique : la curation. Les curateurs n'hésitent plus entre « faire du neuf » ou ne rien faire et étendent leurs services à tous les domaines saturés. Le commissaire d'exposition (exhibition curator) est un de ceux-là. Il exerce au cœur du musée d'art contemporain un pouvoir de désignation parmi les possibles et propose une lecture subjective des œuvres d'art conservées dans un souci patrimonial. Si la curation consiste à « prendre soin » des objets ou des œuvres et à les organiser en des narrations intelligibles, on peut cependant s'interroger sur les mobiles et déviations d'un tel souci car il prend bien souvent les habits d'un manifeste ou d'une illustration politique. En favorisant l'apparition de navigations possibles à travers des données en perpétuelle augmentation et promises à la désuétude, les curateurs s'imposent aussi sur Internet où ils transforment et actualisent des flux en scenarii séduisants.
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Communiquer le durable dans l'industrie de l'éphémère : étude de cas des identités visuelles d'une agence de communication engagéeKaren Brunel Lafargue (La Sorbonne)
Nous proposons ici d'étudier le cas de l'identité visuelle, ou plutôt des identités visuelles, de l'agence de communication Inoxia basée à Bordeaux (France) depuis 1995. Cette dernière vient juste de se doter d'un nouveau logo, son cinquième depuis sa création. La particularité de cet objet d'étude est le paradoxe qui apparaît quand on sait que, l'agence est « engagée depuis 2000, en faveur d'un développement durable, Inoxia revendique et exprime au quotidien son parti pris en faveur d'une communication plus responsable”.
Il nous semble intéressant d'aborder cette critique politique du neuf à travers cet exemple prélevé dans la communauté de production. Un exemple qui concentre, cette contradiction inhérente à notre époque de transition écartelée entre la quête du neuf de la pureté et de son absence d'usure, et la quête vitale du durable, alimentée par la nécessité pressante de préserver nos ressources. En procédant à une analyse sémiotique de ces identités visuelles successives, nous tenterons de mieux appréhender le (ou les) sens que peu(ven)t avoir la notion de durable dans le contexte du métier de communication.
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Paris quartier François Mitterrand : du neuf au-dessus des rails : hygiène et sécurité au temps de l'urbanisme globaliséOlivier Pégard (UPEC - Université Paris-Est Créteil (Paris 12))
Le quartier de la Bibliothèque Nationale de France « François Mitterrand » est érigé sur une armature recouvrant le faisceau ferroviaire de la gare d'Austerlitz. La voie principale traversant le quartier sur une longueur d'environ un kilomètre se décline dans la partie nord Avenue Pierre-Mendes France (dirigeant politique durant la période du Front Populaire) pour se décliner en Avenue de France dans sa partie sud. Ce tracé rectiligne et large d'une vingtaine de mètre est planté de jeunes arbres. Autour des quatre tours vitrées formant la grande bibliothèque, des bâtiments dédiés à la gestion bancaire et financière ainsi que des sièges sociaux de grandes entreprises françaises se succèdent en blocs de verre de béton et d'acier. Le long de cette longue et large ligne droite, c'est le principe de visibilité qui prévaut. Dans cette production du neuf, c'est l'espace public qui se soumet aux impératifs technologiques de la vidéosurveillance. Architectures géométriques et translucides produisant l'impression du déjà vu. Comme pour d'autres métropoles de rang mondial, Paris quartier François Mitterrand rentre dans l'esthétique des images cinématographiques mondiales offrant le théâtre de la concurrence sociale dans la ville aérienne, propre, riche et verticale.
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Un designer dans le métro montréalais : concevoir ou empêcher l'usure matérielle due aux usagesYaprak Hamarat (UdeM - Université de Montréal)
Du granit, de l'Inox, du verre, des revêtements antitaches, antitraces, antigraffitis, antirayures, antivandalismes et autres, voici certains éléments de l'environnement matériel public contemporain que le designer doit manier pour se plier aux normes de santé, de sécurité, de durabilité et d'entretien. Cette esthétique propre à la sphère publique promeut de plus en plus des espaces neutres, immaculés et aseptisés. Les équipements de transport en commun sont soumis aux mêmes règles du jeu, le designer doit concevoir un environnement pour les usagers, mais contre leurs usages. User sans usure, nul traces, marques, souillures, références doivent apparaître ! Comment l'usager peut-il exister en tant qu'individu dans cet environnement qui lui est destiné, mais hostile dans sa matérialité ? Cette communication a pour objectif d'exposer les réflexions et les analyses en cours qui reposent sur une enquête ethnographique menée dans des stations de métro montréalais. À l'aube d'un changement majeur à venir de ses équipements sur rails, et des programmes de rénovations massives, ce réseau de métro se prépare à accueillir du « neuf ». Cette artificialité crée par le designer, influence quotidiennement l'image que l'usager fait de soi, des autres et de sa société. À travers cette première étude exploratoire sur l'observation des usages, la présence et l'absence de l'usure matérielle, les caractéristiques de l'environnement matériel des transports en commun sont mises en question.
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La valorisation des marques et signes de l'usage dans le design d'ameublement : faire du neuf avec du vieuxSalma Zouaghi (Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1))
L'aménagement intérieur des espaces domestiques n'est pas figé. Il évolue en fonction des besoins et désirs des habitants. Les motivations de transformation des intérieurs sont aussi influencées par les médias, le marketing (crédit, soldes) et des leaders d'opinion sur la désirabilité sociale et l'image de soi. La mutation de l'ameublement enchaine des cycles de changements qui peuvent dépendre de la durée de vie d'un mobilier mais aussi de la raison esthétique. Notre projet de recherche étudie le second cas, dans lequel l'usager transforme ce qui a été conçu par les designers.
Comme c'est souvent le cas en phase de crise, on assiste au retour de la personnalisation du mobilier domestique grâce au bricolage qui stimule la créativité de l'usager. Ce mode d'appropriation du mobilier interroge la question du « neuf pur » et du sort du « design originel, vierge ». Le designer, doit-il s'interroger sur les meubles déjà utilisés pour mieux comprendre le phénomène de la personnalisation du mobilier ?
Dans l'optique d'une nouvelle démarche de création, nous traiterons du travail de Jeremy Edwards qui a bouleversé la hiérarchie de la production classique en fondant son approche, d'une part, sur des matériaux récupérés et usagés, et d'autre part, en redonnant une deuxième vie à ce qui a déjà vécu et qui porte les traces et les signes d'usages et d'usures.
Conférence de clôture
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Reflexions transversales : conférence de clôtureMarc Breviglieri (EHESS - École des hautes études en sciences sociales)