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Informations générales

Événement : 80e Congrès de l’Acfas

Type : Colloque

Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines

Description :

Josée Yvon (1950-1994) est une des voix les plus singulières de la littérature québécoise. Interrompue de façon prématurée par son décès des suites du sida, son œuvre s’inscrit à la fois dans la contre-culture et le féminisme. À mi-chemin entre la poésie et le récit, et mettant en scène des personnages marginaux (lesbiennes, transexuels, danseuses), son écriture interroge les marges du genre sexuel et du genre littéraire, donnant la parole à des personnages féminins comme on en retrouve très peu dans la littérature américaine francophone.

Les enjeux qu’elle soulève, bien qu’ils s’inscrivent dans un contexte historique et politique précis, possèdent une actualité bien réelle. Les récentes théories sur le queer, le kitsch, l’américanité, l’hétérogénéité, le plurilinguisme, l’intermédialité et le performatif permettent de jeter un éclairage nouveau sur l’œuvre de Josée Yvon. Des titres comme Filles-commandos bandées, Travesties-kamikazes ou Maîtresses-Cherokees font figure de pionniers par rapport à ces questionnements qui habitent la critique et la création littéraires depuis quelques années.

Les livres de Josée Yvon placent le lecteur dans une position d’inconfort. Son écriture est inhospitalière, profondément dérangeante. Ce trouble, qu’on aurait tort de réduire à une simple volonté de provocation héritée du rock ou du mouvement hippie, constitue la charge à l’œuvre chez cette écrivaine que plusieurs apprécient sans oser l’avouer haut et fort. L’écriture cruelle de Josée Yvon est une des rares qui bousculent véritablement ceux et celles qui en font la lecture. Personne ne saurait être chez soi dans son œuvre. Nous y sommes, comme l’écrivait Jean Royer, dans « un monde qui meurt du poids de sa tendresse ». Ces fortes tensions, constitutives de l’écriture de Josée Yvon, en font une œuvre puissante, qu’il importe de considérer à sa juste valeur.

Date :
Responsables :

Programme

Communications orales

De la virulence à l'amour

  • Une poésie de l'inhospitalité
    Catherine Mavrikakis (UdeM - Université de Montréal)

    La poésie d'Yvon est féroce, elle mord, elle éructe. Elle constitue un attentat à la pudeur et à l'intimité du lecteur. Mais dans sa virulence de haut-parleur, dans sa voix de crécelle, n'est-elle pas pour autant extrêmement fragile ? Ne met-elle en elle le principe de génération et de dégénération de la langue ? Ne fait-elle pas signe à la fois à la fin et l'origine de la culture, à sa propre naissance et à sa propre mort?

    Cette alternance entre l'apocalypse et le commencement des temps poétiques configure un espace fracturé, inhabitable pour le lecteur. Personne ne saurait être chez soi dans l'œuvre d'Yvon. C'est à un inconfort vital que la poète nous invite dans ses livres où nous ne pouvons qu'être mal accueillis, de façon cavalière ou encore par intermittence. C'est cet inconfort qu'il faut garder intact. À la poésie d'Yvon, on ne peut, on ne doit surtout pas s'habituer.

  • L'aveuglement de Josée
    Carole David (Cégep du Vieux Montréal)

    Entre l'ombre et la lumière, Josée Yvon a été metteure en scène de son propre mythe. Son oeuvre est autant sa vie que ses livres. Du personnage de la Fée des étoiles en passant par celui de la Fée du cuir et des médicaments que ses compagnons de l'époque lui ont fabriqués, Yvon crée peu avant sa mort son alter ego Manon la nuit, personae mélancolique avec laquelle elle plonge définitivement dans les ténèbres. L'écrivain, le personnage et sa vie représentée ne font plus qu'un. Dans cet atelier sans lumière et sans issue, l'écrivaine réinvente sa biographie. La genèse de cette descente aux enfers s'écrit sous nos yeux au fil des titres publiés; il n'y a de différences entre sa poésie et sa vie qu'entre la maladie du corps et de l'âme.

  • Josée Yvon, par effraction
    Amélie Aubé Lanctôt (UdeS - Université de Sherbrooke)

    Dans un style créatif qui dialogue avec l'œuvre de la poète Josée Yvon, cette communication montrera comment les récits et poèmes de cette auteure comportent des personnages de femmes marginales ; soit des prostituées, des danseuses, des délinquantes, toutes issues des bas-fonds de la société et dont le mode de vie se caractérise par la démesure. Bien que, par leur violence, ces textes fassent écho aux thèmes de la contre-culture, cette communication propose de se pencher plus spécifiquement sur le féminisme singulier (qualifié de « kamikaze », en lien avec le titre d'un des recueils) de Josée Yvon. Il sera donc démontré comment cette poète a mis en récit un pan de la féminité qui avait été occulté, et ce, à l'encontre des écrivaines des années soixante-dix qui s'étaient plutôt donné comme mission de revaloriser le féminin.

  • Ennui et contre-culture : étude de la correspondance amoureuse de Josée Yvon
    Geneviève Dufour (Université Laval)

    La littérature intime de Josée Yvon n'a encore fait l'objet d'aucune étude. Par mon travail, axé spécifiquement sur la correspondance amoureuse, j'espère dresser le portrait du sujet intime, sujet distancié du stéréotype de l'écrivaine brutale. À la lecture des lettres, on peut déceler des motifs et procédés récurrents qui évoquent l'esthétique de la contre-culture (Proulx) : l'hétéroclite, le grotesque et le collage. Des idéaux propres à ce mouvement sont également décelables (individualisme, anarchisme, etc.). Toutefois, il s'y dessine une autre esthétique : la « complainte du réel », annonçant le lyrisme de la poésie intimiste des années 1980 au Québec. Je souhaite donc investiguer les topoï de la séparation et de l'ennui afin de déterminer comment ils se manifestent dans chacune des lettres (deux d'entre elles serviront la démonstration). Deux ethos distincts (Maingueneau) se construisent dans le discours de l'épistolière (soit qu'elle s'adresse à Raymond Cloutier ou à Denis Vanier). Le sujet se montre tantôt dévoué, habité par une volonté de réenchanter le monde (non sans rappeler l'idéalisme de la contre-culture dans son versant hippie) et tantôt fusionnel, en décalage volontaire avec l'univers social qu'il rejette complètement (qui procède d'une compréhension plus radicale du mouvement contre-culturel). C'est cette esthétique de l'intimiste à laquelle je me consacrerai, esthétique mâtinée des idées contre-culturelles.


Communications orales

Cicatrices de luttes et de tendresse

  • Une dangereuse tendresse : la réception critique de Josée Yvon
    Jonathan Lamy Beaupré (Inter, art actuel)

    Témoigner de ce que nous font les livres de Josée Yvon est une tâche ardue. Son œuvre s'inscrit dans trop de cases et dans aucune case à la fois. Trop « bandée » pour être féministe, trop féministe pour être contre-culturelle, trop « recherchée » pour n'être qu'une bum, trop marginale et trop violente pour tout le reste. L'œuvre de Josée Yvon est androgyne. Elle a tous les genres, littéraires et sexuels, et aucun à la fois. Sorte de docu-fiction littéraire, son écriture tient de la poésie, du récit, mais aussi du théâtre, du cinéma, de la performance, du show, du manifeste, du reportage. Camarade de toutes les révolutions et de toutes les marginalités, elle peut être la sœur – ou la maîtresse – de tout le monde, que ce soient les écrivaines lesbiennes de la Californie, les marxistes ou les amazones, les beats d'Amérique, les drogués de partout et de nulle part, les homosexuel(le)s, travesti(e)s et transexuel(le)s, les punks, les femmes battues, les assistés sociaux, les révoltés à naître, les sans-abris, les sans-nom. Le mot « tendresse » n'est pas certainement pas celui auquel on pense spontanément pour qualifier l'écriture kamikaze de Josée Yvon. Pourtant, il s'agit d'un des termes qui reviennent le plus souvent dans les commentaires sur son œuvre. Ceux et celles qui aiment son écriture l'apprécient justement parce qu'elle nous laisse sans voix, secoués, parce que sa tendresse, dangereuse, fait mal.

  • Une autre voie pour la Cycle Slut from Hell
    Marie-Hélène Charron-Cabana (UdeM - Université de Montréal)

    Josée Yvon entasse des corps de femmes dans son œuvre. Des corps abjects, à moitié morts, pourrissants, brûlants et parfois survivants. Au milieu des débris humains formant un amas d'abjection pouvant paraître immonde et fatal, quelques-unes de ces femmes se dressent, différentes. À partir d'un texte que j'ai écrit sur la figure de l'écrivaine trash, je vais continuer la réflexion sur la figure de la guerrière qui traverse les pages de Josée Yvon et ouvre la possibilité de la construction d'une vie en dehors et au-delà de l'abject. Qu'elle soit kamikaze, maîtresse, révolutionnaire, sœur rock, chienne, commando, espionne, fille-missile ou ancienne otage ayant pris les armes, la guerrière, avec la violence qu'elle suppose, crée une voie qui permet d'entrer en guerre, d'abattre les cloisons, les limites et de mettre fin à l'absurdité, à la pauvreté, voire à la mort. Je vais aussi questionner ce qu'il advient de ces personnes considérées comme mortes avant de l'être, en quoi et comment elles sont des héroïnes et pour qui elles sont dangereuses. J'interrogerai enfin les idéaux qu'elles défendent et la question de la violence comme moyen de les affirmer, afin de dégager la pensée et le lieu que Josée Yvon leur redonne dans le langage et la littérature, qui est alors un endroit où vivre, se rappeler et se battre.

  • Dispositifs typographiques de la rupture et de la suture dans l'œuvre de Josée Yvon

    Notre communication s'intéresse aux dispositifs typographiques mis en œuvre dans les trois premiers recueils de Josée Yvon, à savoir Filles-commandos bandées, La chienne de l'Hôtel Tropicana et Travesties-kamikaze. Au sein de ces ouvrages, le motif de la cicatrice est omniprésent, tant sur le plan des images poétiques que dans la conception typographique des textes. En effet, de l'incipit de Filles-commandos bandées, «mal aux poignets ce matin de tant d'aiguilles», à la bordure typographique représentant une interminable suture qui longe toutes les pages de Travesties-kamikaze, la cicatrice s'expose. Ligne de force entre la vulnérabilité et la violence, la cicatrice s'ouvre à une lecture bidirectionnelle des transactions entre l'intérieur et l'extérieur, l'intime et le public. Tout au fil de notre lecture, nous verrons comment cette dynamique d'échange et d'inversion des rapports est déployée au sein d'un efficace appareillage typographique.


Communications orales

Une armée bandée

  • La « bande » selon Josée Yvon
    Marie-Hélène Larochelle (York University)

    Forte et inconfortable est l'écriture de Josée Yvon, qui renouvelle les lieux de la provocation en investissant les registres d'un quotidien underground. La contre-culture et le féminisme des années 70 sont ici fracassants, et l'onde de choc ébranle encore le lecteur d'aujourd'hui. Respectant cette tourmente, ce sont les articulations de l'esthétique provocante que je souhaite interroger maintenant en disséquant les codes du monstrueux dans l'œuvre de Josée Yvon. Il s'agira de privilégier les dimensions spectaculaire et théâtrale de l'écriture qui se mon(s)tre pour la comprendre selon l'angle de la violence performative.

    Il faudra d'abord voir comment la matière de l'héroïne est malléable chez Josée Yvon. En effet, l'identité des personnages encourage les rapports de correspondance entre les récits, et ce va-et-vient est la structure même du sens. Aussi analyserai-je ensuite l'écriture-invective comme une saillie (ou une érection) et l'observerai dans sa dynamique pour en comprendre la source, la destination, le tracé et l'onde de choc. La parole de Josée Yvon performe, elle exerce une action sur le lecteur, devenu complice. Aussi va-t-on le secouer, l'ébranler, le retourner pour s'assurer que l'esthétique-invective a porté fruit. C'est enfin ce processus d'incarnation que je propose d'étudier pour mieux saisir les enjeux de la mise en écrit, de la mise en esthétique de la violence.

  • Le clignotement de Josée Yvon
    Martine Delvaux (UQAM - Université du Québec à Montréal)

    Cette commnunication abordera la poésie de Josée Yvon – en particulier Danseuses-Mamelouk, La chienne de l'hôtel Tropicana et Filles-missiles – du point de vue de la terreur. Le monde de Josée Yvon est un monde de femmes qui surgit comme une armée insoupçonnée. Le ventre du livre-cheval s'ouvre sur une communauté de filles, femmes-poupées qu'on a l'habitude d'ignorer et de laisser mourir. Ici, la rue et la maison des femmes éclatent à la face du lecteur, la poupée se réveille d'entre les morts, Josée Yvon la faisant exister comme « éventreuse contre un peuple débandé pour la routine ». Son écriture se révèle ainsi une prise d'armes pour préserver l'intérieur, ce qu'elle appelle l'intimité. La langue explose, elle est orale, dure, impitoyable, elle est la poésie passée au crible des noms de filles comme autant de trous percés par la douleur.

  • Josée Yvon entre Montréal et ailleurs
    Ceri Morgan (Keele University)

    Malgré le fait qu'elle reçoive peu d'attention de la part des critiques, Josée Yvon reste l'un de plus importants personnages du féminisme et de la contre-culture du Québec. Les rares critiques québécois qui ont commenté son œuvre l'ont trop souvent considérée comme simple reflet de la vie mouvementée de l'écrivaine. En fait, l'écriture d'Yvon témoigne d'une vision beaucoup plus sophistiquée. Collaboratrice pour la revue Mainmise, où elle offrait des critiques de la littérature états-unienne, Yvon démontre l'influence des tendances culturelles internationales sur son oeuvre, tout en gardant un lien très proche avec le Québec et, surtout, sa ville natale.

    Son roman Danseuses-Mamelouk s'inspire de Carnival Strippers de Susan Meiselas, série de photographies d'effeuilleuses qui travaillaient dans des carnavals de petites villes aux États-Unis. Yvon transforme ces femmes en guerrières montréalaises, rendant le lien avec la ville à travers des photos du Red Light, des références aux endroits spécifiques tels que la rue Sainte-Catherine et l'hôpital Saint-Jean-de-Dieu, et par l'emploi de joual. L'utilisation de ce dernier dans la littérature québécoise est surtout identifiée en tant que stratégie masculine. Sa reprise par Yvon assure que la violence symbolique de cette langue populaire assume une dimension sexuée, tout en nous rappelant que l'identité n'est pas seulement définie par le genre sexuel mais aussi par la classe sociale et la vie communautaire.