Informations générales
Événement : 80e Congrès de l’Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :Au cours des deux dernières décennies, parmi les champs d’investigations qui ont suscité un grand intérêt, notons celui de la redéfinition des catégories – pensons, notamment, aux critères pour définir les communautés religieuses, les groupes ethniques ou ethnico-religieux, les genres –, ainsi que des « marqueurs identitaires » des groupes sociaux et religieux. Les études récentes sur cette réalité vécue montrent, d’une part, que les frontières entre ces groupes ne sont pas aussi étanches qu’on le croyait, mais qu’elles sont à la fois dynamiques, évolutives et perméables en fonction des contextes spatiaux et temporels, et socio-historiques. D’autre part, les recherches permettent de prendre conscience qu’à l’intérieur de ces groupes existent différentes conceptions du monde qui se reflètent au niveau des valeurs, des croyances et des comportements, obligeant à délaisser les conceptions trop monolithiques du monde antique pour considérer la diversité des mouvements en présence. Finalement, cette diversité est le fruit d’un réseau complexe d’échanges et d’influences réciproques qui ont un impact sur les perceptions, les représentations et les définitions identitaires que les Anciens avaient d’eux-mêmes et des autres.
Dans le contexte de la recherche sur la pluralité religieuse dans l’Antiquité, ce colloque s’intéressera aux rencontres et aux conflits intergroupaux, aux perceptions et aux représentations du Soi et de l’Autre qui en découlent, aux enjeux des (re)définitions identitaires, et aux nouvelles approches méthodologiques.
Date :- Anne Pasquier (Université Laval)
- Marie Chantal (Université Laval)
- Steeve Bélanger (Université Laval)
Programme
Les mondes grec et romain : définitions, frontières et représentations dans le « judaïsme », le « christianisme » et le « paganisme »
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Mot de bienvenue
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Histoire du judaïsme et du christianisme antiquesSimon Mimouni (EHESS - École des hautes études en sciences sociales)
« Histoire du judaïsme et du christianisme antiques : Quelques remarques épistémologiques et méthodologiques »
Simon C. Mimouni – École pratique des hautes études – Section des sciences religieuses
« La tâche de l'intellectuel […] est […] de ne jamais cesser de mettre et remettre en question ce qui est postulé comme évident,
de troubler les habitudes mentales des gens, leur façon de faire et de penser les choses,
de dissiper ce qui est familier et accepté, de réexaminer les règles et les institutions… »
– Michel Foucault
Dans ces quelques remarques épistémologiques et méthodologiques sur les problèmes que posent les études historiques du judaïsme et du christianisme antiques on se penche notamment sur les phénomènes de continuité et de discontinuité dont les incidences peuvent être « redoutables » dans les élaborations idéologiques contemporaines. On parle aussi des rapports entre judaïsme et christianisme à l'époque où ce dernier n'est qu'un mouvement parmi d'autres dans le cadre du premier, et des questions de légitimités qui ont débouché sur des conflits engendrant la distinction ou la séparation et la mise en place progressive de deux religions. On donne enfin de succincts éléments d'analyse sur les Judéens en Palestine et en Diaspora qui permettent de comprendre les conceptions temporelles et spatiales sur lesquelles repose l'idée même du « peuple judéen » dans l'Antiquité et du « peuple juif » aux époques postérieures.
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Période de questions
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Traditions judéennes anciennes et catégories modernes : quand la recherche se moque de la réalité antiqueMarie Chantal (Université Laval)
On rencontre en 2 Mac, les premières occurrences contrastées de Hellenismos (4,13), pris dans un sens culturel, et de Ioudaismos (2,21; 8,1; 14,38) (Mason, 2007; Lieu, 2004; Will; Orrieux, 1986). Or, si Ioudaismos n'apparaît qu'à la seconde moitié du IIe siècle AEC, toujours en opposition au terme Hellenismos, peut-on parler de « judaïsme » lors de l'exil à Babylone ou au moment de la conquête d'Alexandre le Grand? Selon Mason (2007), ce n'est qu'à partir du IIIe siècle EC, avec Tertullien, que Ioudaismos désigne un système de pensée proche de notre définition moderne de « judaïsme » (Mason, 2007; Pasto 2002). Pourtant, dans les faits, le terme « judaïsme » est si bien établi dans la recherche moderne qu'il demeure (Pasto, 2002). Le même problème se pose avec Ioudaios. Les sources anciennes montrent qu'avant le IIe siècle AEC, Ioudaios devrait être traduit par « judéen » plutôt que par « juif » (Cohen, 2010; 1999; Collins 2010; Mason, 2007) – Mason conteste l'utilisation de « juif » pour toute l'Antiquité – pourtant peu d'auteurs adoptent cette terminologie plus fidèle à la réalité antique. Cette présentation fera le point sur les travaux récents qui abordent le problème de l'utilisation des catégories modernes (juif, judaïsme) dans l'étude des traditions judéennes de l'Antiquité.
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Période de questions
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Odio humani generis. Apocalypticiens messianistes et historiens intégrés à l'époque des guerres des JuifsPierluigi Piovanelli (Université d’Ottawa)
Tacite est le seul témoin explicite d'une persécution des « chrétiens » de Rome à la suite du célèbre incendie de la capitale, en 64 de notre ère, une catastrophe dont la population aurait attribué la responsabilité criminelle à l'empereur Néron, si les adeptes de cette « superstition pernicieuse » originaire de la Judée n'avaient pas été opportunément identifiés comme les coupables. Si, d'un côté, il est facile de comprendre la nécessité pour le pouvoir impérial de trouver rapidement des boucs émissaires, de l'autre, il n'est pas aisé de concevoir les raisons qui firent que le choix se porte sur les membres d'un groupe sectaire juif tout à fait marginal. Ce serait, toutefois, oublier qu'un tel épisode s'est produit à la veille de l'éclatement de la première guerre juive (66-73 de notre ère), dans un climat de tensions et de ferveurs apocalyptiques qui devaient conduire à la ruine de la Judée et à la destruction de Jérusalem et de son Temple. L'examen de quelques textes clefs de Flavius Josèphe, un historien juif au service de la maison impériale, et des écrits apocalyptiques contemporains (Apocalypse de Jean, 4e Esdras, 2e Baruch, Oracles sibyllins 5) nous permettra de mieux comprendre les attitudes des uns et des autres, quelles étaient les attentes des milieux radicaux juifs et quelle était la perception que les Romains pouvaient avoir de ceux qui, à leurs yeux, n'étaient que des agitateurs et des brigands.
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Période de questions
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Chrétiens et Judéens : rupture, séparation ou éloignement ? Nouveaux paradigmes de la recherche actuelleSteeve Bélanger (Université Laval)
La question des « identités » chrétiennes et judéennes est étroitement liée à celle de frontières qui permettraient de départager le « christianisme » du « judaïsme » antiques. Or, notre compréhension moderne de la notion de frontière comme délimitation claire entre deux éléments distincts s'avère souvent trop rigide pour correspondre aux réalités antiques, notamment pour distinguer des traditions, des pratiques, des groupes ou des mouvements religieux. Actuellement, la recherche tend plutôt à montrer que, dans l'Antiquité, de telles frontières sont des plus floues, que les multiples interactions intergroupales concourent à leur dynamisme et à leur perméabilité, et que les groupes en présence s'avèrent moins monolithiques et monophoniques qu'on ne l'a jadis considéré. Ainsi, s'il est possible d'affirmer qu'une hostilité réciproque découlant du lien que crée une commune origine va rapidement s'installer entre les Judéens et les premières communautés chrétiennes, il est plus complexe de déterminer à quel moment une véritable frontière s'est érigée entre le « christianisme » et le « judaïsme » antiques, si cette frontière peut être décrite uniquement en termes de rupture, de séparation ou d'éloignement et surtout, de savoir quel « judaïsme » s'est « séparé » de quel « christianisme ».
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Période de questions
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Dîner
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Entre synagogues de Satan et pureté rituelle. L'identité des disciples de l'Agneau dans l'Apocalypse du prophète de PatmosLouis Painchaud (Université Laval)
Les textes réunis dans ce qui est devenu le Nouveau Testament ne se savaient pas encore chrétiens au moment de leur rédaction. Lettres, évangiles, actes, apocalypse, quel que soit leur genre littéraire, ces textes sont porteurs de récits cherchant à constituer et définir autant d'identités différentes et parfois opposées, ici celle des disciples de la Voie, là celle d'une communauté de l'Agneau. Leur métissage dans le Nouveau Testament en viendra constituer une seule identité communautaire qui perdra la mémoire de sa disparate initiale et ne percevra plus la bigarrure de ses textes fondateurs. Notre communication portera sur les caractéristiques de la « communauté de l'Agneau » telle que construite dans l'Apocalypse du prophète de Patmos.
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Période de questions
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Les textes de Nag Hammadi et les rapports entre christianisme et gnosticisme dans l'Antiquité tardiveAndré Gagné (Université Concordia)
Cette présentation s'intéresse à la place qu'occupent les textes de Nag Hammadi parmi la littérature chrétienne ancienne, particulièrement en rapport aux frontières artificielles érigées entre christianisme et gnosticisme. Malgré certaines tentatives appelant à l'abolition de la catégorie du « gnosticisme » (Williams 1999; King 2003) ou à mieux définir les groupes « gnostiques » (Brakke 2010), la réception de telles entreprises fut mitigée. S'inspirant des études sur les liens entre judaïsme et christianisme dans l'antiquité (Mimouni 1998, 2004; Cohen 1999; Boyarin 2003), nous verrons comment la désambiguïsation opérée entre les identités juives et chrétiennes peut servir de modèle pour une meilleure compréhension des rapports entre christianisme et gnosticisme, ainsi que de la place des textes de Nag Hammadi dans le contexte du christianisme ancien.
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Période de questions
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Assimilation chrétienne d'éléments païens : construction apologétique ou réalité culturelle?Jean Michel Roessli (Université Concordia)
Cet exposé a pour but de revenir sur une question soulevée par Miguel Herrero de Jáuregui (« Christian Assimilation of “Pagan” Elements: An Apologetic Concept? », New Perspectives on Late Antiquity, edited by David Hernández de la Fuente, Cambridge, 2011, p. 380-392), à propos de la façon dont les historiens de l'Antiquité tardive envisagent les contacts ou échanges entre Juifs, chrétiens et païens et, plus particulièrement, l'influence culturelle des uns sur les autres. Cette question sera abordée à la lumière de la figure d'Orphée, dont Miguel Herrero se sert pour llustrer sa thèse dans le domaine de l'iconographie religieuse, alors qu'il recourt à d'autres thèmes ou motifs pour vérifier son hypothèse dans la sphère des rites et de la poésie. La question soulevée est de savoir si l'opinio communis selon laquelle certains éléments de la culture païenne ont été « assimilés » à et par la culture chrétienne (et peut-être juive avant elle) est une représentation biaisée qui se fonde sur une construction apologétique plus ou moins inconsciente ou s'il s'agit d'une réalité culturelle historiquement attestée.
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Période de questions
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Le sermon Dolbeau 26 d'Augustin (M 62) : entre négociation et délimitation des frontières identitairesAnne PASQUIER (Université Laval), Anne Pasquier (Université Laval)
Le sermon provient d'un manuscrit de Mayence de la 2e moitié du XVe s. qui contient 62 textes d'Augustin dont certains étaient inconnus jusqu'à maintenant ou presque. C'est le cas du D. 26, d'où son intérêt. Il aurait été prononcé lors des calendes de janvier, soit un premier janvier d'une année comprise entre 400 et 404, probablement lors de cette dernière année de 404.
Tel qu'il nous est parvenu, le texte comporte trois grandes parties. Alors que dans la première, il est question de la fête des calendes, des banquets et des activités qui y sont associés, mais aussi du théâtre, de l'amphithéâtre et des jeux du cirque, la seconde partie est consacrée à la philosophie savante, ce que l'on appelle le néoplatonisme et les cultes théurgiques. Et entremêlé à ce débat avec les sages, une critique du culte des martyrs et des saints dans le christianisme, culte qui selon Augustin peut donner prise aux objections des
païens. C'est cette partie que nous aborderons principalement dans notre exposé.S'adressant à des chrétiens cultivés, Augustin indique que son enseignement doit leur permettre de rester forts face aux sages. Ce sont vraisemblablement des chrétiens
récemment convertis et venus de ces milieux philosophiques. Stratégies de négociation entre deux systèmes religieux, tout autant que de dissociation des deux, on peut constater, à la lecture du texte d'Augustin, que la christianisation ne peut être réduite au couple habituel de l'assimilation et de la résistance. -
Période de questions
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Pause
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Les réformes provinciales et les communautés religieuses – causes ou effets?Christian Rudolf Raschle (UdeM - Université de Montréal)
L'augmentation du nombre de provinces durant l'Antiquité tardive semble avant tout réponde aux défis militaires et administratifs de l'État romain. Parmi les communautés religieuses de l'Empire, c'est surtout l'Église chrétienne qui est la plus marquée par ces réformes parce qu'elle adapte la structure de ses circonscriptions et la hiérarchie épiscopale selon ces nouvelles subdivisions. De plus, la reconnaissance du christianisme et l'intérêt pour la Terre Sainte développent une sensibilité pour la topographie et la géographie religieuse de régions particulières. À partir de ces constatations, nous proposons de montrer pourquoi les chercheurs ont tenté d'expliquer certaines divisions provinciales par des motivations « religieuses » de l'administration centrale. Nous analyserons notamment les cas des provinces « Salutaires » comme la Phrygie, la Galatie et la Syrie, puis celui de la Palestine en nous demandant si sa tripartition sous la dynastie théodosienne est due à une ségrégation planifiée des contrées majoritairement chrétiennes envers les contrées plutôt juives. On s'interrogera ensuite sur les effets de ces divisions provinciales caractérisées parfois par des conflits économiques et dogmatiques entre évêques. Par l'analyse de ces deux séries d'exemples des causes et des effets, on se demandera jusqu'à quel degré le christianisme pouvait influencer ou même guider les décisions étatiques de retracer les frontières entre les provinces et les peuples de l'empire tardif.
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Période de questions
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Les « détracteurs » de l'isiasme durant l'Empire romainStéphanie Briaud (UdeM - Université de Montréal)
C'est une histoire de conflits religieux qui commence lorsque que Rome accueille les cultes isiaques, qui sont les cultes « qui se diffusent hors d'Égypte, « […| d'une douzaine de divinités appartenant à un même cercle mythique, cultuel et liturgique, soit Isis, Sérapis, Anubis, Osiris […] ».
C'est une histoire qui, avec la montée en puissance du christianisme qui pousse Constantin à promulguer l'Édit de Milan en 313, perdure aux IIIe et IVe siècles, autant à travers les textes d'auteurs acharnés qu'avec des documents plus politiques comme les monnaies…
Selon les périodes et les empereurs, les attitudes officielles et littéraires envers l'isiasme ont varié entre accusations, incompréhensions, dangers politiques et louanges. Nous illustrerons ces différents comportements en montrant l'évolution des arguments des détracteurs lettrés, qui sont d'abord païens, puis chrétiens. Nous ponctuerons notre présentation par des monuments représentatifs de l'idéologie impériale, tels que les obélisques, qui peuvent être représentatifs par leurs inscriptions, leur iconographie et leur situation urbaine. Nous conclurons sur l'une des rares réponses de la communauté isiaque du IVe siècle.
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Période de questions
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Jeux spatiaux et enjeux politico-religieux : figures rhétoriques autour de χώρα dans les tragédies grecquesGabriela Cursaru (Université Laval)
Parmi les mots qui expriment l'espace en grec ancien, χῶρος et χώρα illustrent de manière très claire le processus de développement des conceptions grecques en matière de spatialité. Si χῶρος désigne un espace qui se définit par les événements qui prennent place à l'endroit concerné et par les actions qui s'y déroulent, avec les Tragiques, χώρα prend résolument le devant: il renvoie à une aire spatiale plus étendue et désigne des espaces rattachés à l'énonciateur: «le pays que voici», qu'il s'agisse du territoire de ce pays-ci auquel la personne-sujet appartient ou qu'il s''agisse du territoire de ce pays-là qu'il veut s'approprier.
Pour mieux saisir les modalités selon lesquelles s'opère le passage de χῶρος à χώρα et afin de cerner la nouvelle valorisation de l'espace, effectuée grâce aux tournures rhétoriques qui infusent les discours des héros tragiques, on peut s'appuyer sur l'exemple offert par l'OEdipe à Colone où, tandis que χῶρος ne trouve sa place que dans le discours d'OEdipe, présent à Colone à titre d'«étranger en terre étrangère», χώρα est employé en exclusivité par le choeur des Vieillards coloniates, les «gardians de ce lieu» qui leur appartient et qui est exclusivement le leur, de jure et de facto. À l'aide du maniement subtil de χώρα devenu un instrument idéologique, ils proclament leur pleine autorité politique, religieuse et rituelle sur l'endroit, source par excellence de leur identité.
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Période de questions
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Plénière
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Mot de clôture