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Informations générales

Événement : 80e Congrès de l’Acfas

Type : Colloque

Section : Enjeux de la recherche

Description :

L’œuvre d’art appelle à être reçue. Elle prend son sens dans cette complémentarité essentielle entre le créateur qui la met au jour et le récepteur qui la consomme, l’interprète, la fait résonner avec ses propres acquis et affects. Michel Tournier exprime cet apport du récepteur, en parlant du lecteur : « Un livre écrit, mais non lu, n'existe pas pleinement. Il ne possède qu’une demi-existence. [...] À peine un livre s’est-il abattu sur un lecteur qu’il [...] fleurit, s’épanouit, devient enfin ce qu’il est : un monde imaginaire foisonnant, où se mêlent […] les intentions de l’écrivain et les fantasmes du lecteur. » Ainsi, dans ce partage entre créateur et récepteur, une nouvelle œuvre se crée.

Ce constat nous amène à questionner le rapport du créateur à son récepteur. Livrant son œuvre au public, le créateur subit attentes, questionnements, découvertes. Où se place-t-il dans cet immense réseau ? Depuis les mains du consommateur pur à celles du critique, en passant par celles de l’analyste et du professionnel académique, l’œuvre prend et perd du sens, le créateur et son intention prennent et perdent de l’importance.

Cette table ronde veut encourager l’échange de réflexions sur la pratique artistique qui, à l’époque qui est la nôtre, subit moult transformations. L’œuvre existe en effet grâce à différents supports, en mode instantané ou permanent. Elle s’inscrit dans plusieurs contextes possibles. Et sa réception se voit accorder une place privilégiée, encouragée par un univers médiatique foisonnant. En réunissant créateurs, chercheurs ainsi que chercheurs-créateurs et étudiants aux cycles supérieurs dont les intérêts concernent plusieurs formes d’art, nous interrogerons la création et la réception des œuvres de manière large et selon des angles variés : le lien entre le créateur et les attentes, le rapport entre le lecteur-créateur et sa propre création, la relation entre le contexte et le texte, ou même la norme artistique, l’effet de censure, etc.

Date :
Responsables :

Programme

Communications orales

Une union plurivoque : auteur et lecteur en interaction

  • Mot de bienvenue
  • Entre prose et poésie : portrait du lecteur en funambule
    Gabriel Marcoux-Chabot (Université Laval)

    Comment un écrivain peut-il arriver à communiquer au plus grand nombre sa vision personnelle du monde ? C'est à cette question qui hante au quotidien mon travail d'écriture et qui motive l'essentiel de mes recherches que je tâcherai de répondre par le biais d'une réflexion inspirée par la pensée du philosophe Owen Barfield. Considérant à sa suite qu'existent deux façons antagonistes d'investir le langage, l'une pouvant être qualifiée de poétique et l'autre de prosaïque, je mettrai en lumière la nature radicalement différente des rapports entre créateur et récepteur que suppose chacune de ces approches. Je montrerai comment la prose favorise la communication entre l'écrivain et son lecteur à l'intérieur d'un monde partagé,
    déjà connu et conceptualisé par le langage, un monde dont les mots servent à rendre compte de la façon la plus transparente possible, alors que la poésie permet d'exprimer l'expérience singulière du créateur, sa vision personnelle d'un univers que les mots ne sauraient entièrement recouvrir et que le récepteur peut ou non être en mesure de recevoir comme une révélation. Partant du fait que ces approches ne sont nullement exclusives et que tout texte s'inscrit dans une tension constante entre prose et poésie, je postulerai qu'un écrivain conscient des ressources à sa disposition peut mettre à profit cette tension et, par un jeu d'équilibres et de déséquilibres, espérer être en mesure de communiquer à un vaste public ses idées les plus singulières.

  • Dans l'angle mort de l'écrivain : son récepteur
    Christiane Lahaie (UdeS - Université de Sherbrooke)

    Depuis la publication des travaux de Bourdieu, de Jauss et d'Eco, lesquels proposent de prendre en compte le rôle du lecteur dans la constitution de l'œuvre littéraire, les recherches fondées sur une approche pragmatique des textes abondent. Or, peu d'études de cas ont été effectuées sur les rapports qui unissent l'écrivain à son lectorat, pas plus qu'on a creusé suffisamment la question de la non-réception des œuvres (pourquoi telle ou telle œuvre n'est-elle acclamée que longtemps après la mort de l'auteur, ou pourquoi des textes fort méritoires sur le plan littéraire passent-ils inaperçus ?). Certes, les écrivains se prononcent parfois sur les liens qu'ils entretiennent avec leurs lecteurs, ainsi que sur le rapport
    amour-haine qui les relie à la critique d'humeur ou à la critique savante. Mais, dans l'absolu, que se passe-t-il entre l'écrivain et son récepteur ? L'écrivain est-il en mesure de jauger
    son public de manière à répondre à ses attentes ? Doit-il ou non chercher à répondre à ces mêmes attentes ? L'écrivain ne devrait-il pas demeurer le récepteur privilégié, et premier, de son œuvre ? Si oui, quels sont les risques qu'il encourt ? Car, à trop vouloir plaire, l'écrivain ne va-t-il pas « vendre son âme » ? Bref, celui qui se tient dans l'angle mort de l'écrivain, c'est peut-être, justement, son récepteur…

  • L'auteur et son lecteur : méditation sur un mariage arrangé
    Dominique Robert (Éditions Les Herbes rouges)

    La théorie de la réception témoigne de l'importance du lecteur dans l'expérience littéraire. Elle place la littérature dans une perspective nouvelle : moins centrée sur l'auteur que la
    perspective biographique traditionnelle, moins centrée sur le texte que la perspective structuraliste. Le lecteur devient le nouveau pôle de référence de l'expérience littéraire. Sans lui, il y en a même pour affirmer que le texte n'existe pas.

    Ma communication aura pour objectif de méditer la relation entre l'auteur et ce nouveau « collègue » avec lequel l'écrivain devrait se réjouir de collaborer. Mais qu'en est-il de la collaboration — du dialogue, tel que le rêvèrent Jauss ou Iser — entre l'auteur et le lecteur ? Plutôt qu'à un dialogue, vu la conjoncture marquée par la marchandisation de la culture, l'auteur n'a-t-il pas affaire à une sommation de pactiser avec son lecteur, sous peine de s'aliéner son lectorat ? En admettant que le texte n'existe que par le lecteur, que reste-t-il à l'auteur d'autonomie créatrice ? Quand le créateur est vu comme un producteur de divertissement esthétique, qu'advient-il de la dimension éthique de son travail ? Quel rôle échoit au lecteur si l'auteur choisit d'œuvrer à la construction de sa vie ? Dans ce mariage arrangé entre auteur et lecteur, la littérature dispose-t-elle de la latitude nécessaire pour contrarier l'opinion publique ? Jusqu'où l'auteur peut-il malmener l'horizon d'attente de ses lecteurs sans qu'on le bannisse du paysage littéraire ?

  • Qui parle dans le poème et pour qui ?

    Cet exposé sera pour moi l'occasion de préciser, à partir de mon expérience et de celle de quelques poètes et essayistes (Rimbaud, Valéry, Blanchot, Breton, Sartre, Miron, etc.) dans quelles exigences s'enracine le besoin de parler chez l'homme. Parler d'une parole originaire, celle qui met la conscience et la chose connue, au monde. Ce qui m'obligera à m'arrêter sur la nature de ce langage pour en préciser la nature et tenter d'en préciser les exigences et les manifestations. A préciser également qui parle dans le poème et pour qui il le fait.

  • Lire la littérature en train de se faire
    Mahigan Lepage (Université Laval)

    Avant d'être un objet fini ou clos offert au discours savant, la littérature est ce qui se fait, se crée, dans le présent de son apparition. La critique est-elle capable d'approcher la temporalité créative et durative de la littérature « en train de se faire »? En quelques décennies, on a vu émerger et se développer une critique universitaire des textes contemporains. Mais on constate que cette critique conserve la plupart du temps les habitudes objectivantes de la critique des textes du passé : elle conçoit les écrits des auteurs vivants comme ce qui est fait et non comme ce qui se fait. Or, comme l'a écrit Tiphaine Samoyault, « il me semble que l'intérêt de la lecture des oeuvres dans le présent de leur apparition consiste […] à prendre en compte leur aspect duratif, “en train de se faire” ». Comment parler des écritures contemporaines sans en arrêter le mouvement inachevé, sans clore artificiellement ce qui est encore ouvert? Cela demande sans doute de rapprocher la critique de la création, la lecture de l'écriture. Je ne parle pas d'une critique qui parlerait simplement de création, mais d'une critique qui serait elle-même créative. Cette communication veut présenter les prolégomènes de la question du temps de la création dans la critique littéraire. Elle abordera la dimension pratique de cette question, et comportera une dimension théorique, alors que quelques notions-clés de la philosophie de Bergson seront convoquées à titre d'assises conceptuelles.

  • Discussion
  • Pause

Communications orales

Le texte sous influence : auteur ou lecteur en puissance

Présidence : Pierre-Luc Landry (Université Laval)
  • Le rapport de l'écrivain à son récepteur : entre donation et effet de vie

    À l'orée d'une vie littéraire, plusieurs écrivains débutants affichent à l'idée de la lecture (à venir ou survenue) une multitude d'attentes, des empreintes de désir, dont celle qui voudrait qu'ils trouvent, automatiquement, dans la lecture de leur œuvre, la confirmation de leur intention première. Or, dans cette équation à trois êtres (écrivain – œuvre – lecteur) peu de choses peuvent faire l'objet d'une réelle maîtrise de la part du créateur, si ce n'est, justement, cette intention même dont le «remplissage» (l'épreuve réelle de la lecture) ne lui
    appartiendrait plus (ou plus tout à fait). Deux voies m'ont, récemment, semblées assez justes afin de penser ce rapport. La première, esthétique, l'«effet de vie», proposé Marc-Mathieu Münch, suggère qu'il existerait dans le phénomène littéraire une constante, par-delà tous les pluriels du beau et les relativismes esthétiques, la création, chez le récepteur, chez le lecteur d'un «effet de vie». La seconde est d'ordre éthique, s'inspire de travaux de Jean-Michel Maulpoix ou encore de Yvon Rivard, et tient du don, de l'offrande, du cadeau. Elle pose le désir littéraire dans l'horizon d'une assistance à autrui, d'une générosité, voire d'un espoir. En un sens, il me semble que ces deux possibilités ne sont pas incompatibles, mais bien plutôt, complémentaires et peuvent guider tout créateur dans son rapport, parfois houleux, parfois fragile, avec son récepteur (tout aussi fantomatique soit-il).

  • Le lecteur-constructeur : statut et rôle du lecteur devant le texte défilant
    David Bélanger (Université Laval)

    Ma communication visera à rendre compte, dans un premier temps, de la différence de perception du lecteur face au texte publié puis face au texte non publié, encore en mouvement. Cette différence sous-tend une frontière qui fixerait – comme une sorte de sacralisation – le texte et, potentiellement, le sens. La frontière de cette « sacralité textuelle » fluctue selon
    le lecteur et le médium où le texte se retrouve. Je réfléchirai donc aux conséquences des différents statuts des textes sur le lecteur, et comment le rôle de ce dernier se module selon son rapport d'autorité lectorale : devant la copie scolaire, le manuscrit non publié – que percevra l'éditeur en tant qu'œuvre à venir – la littérature électronique, publiée dans le blogue, et, ultimement, certains textes publiés chez des éditeurs ou dans des revues non légitimées, j'émets l'hypothèse que le lecteur a un devoir non pas de décodage mais de construction. De cette façon, le travail de l'auteur est mis entre parenthèses, soumis seulement aux affects de son lecteur.

    Cela m'amènera à réfléchir au rôle du lecteur dans le processus de légitimation. Ainsi, je tenterai de cerner, à l'instar de Jacques Dubois et de Pierre Bayard, un lecteur-constructeur qui saura agir face au texte défilant (non sacralisé). Par le fait même, je postulerai l'existence de lecteurs-créateurs que seraient des critiques, professeurs, éditeurs ou même des auteurs comme lecteurs et correcteurs de la littérature (Maingueneau, 2002).

  • Le rapport entre le lecteur-créateur et sa propre création
    Maude Déry (Université Laval)

    Dans un article intitulé « Comment lisent les écrivains ? » paru dans l'ouvrage Lecture et écriture : une dynamique : objets et défis de la recherche en création littéraire, Hélène Guy avance l'hypothèse selon laquelle « l'écrivain ne lit pas en périodes d'écriture, car le lu devient l'écrit pour lui ». Ainsi, selon Guy, l'écrivain porterait en lui les germes de ses lectures
    précédentes lorsqu'il amorcerait son travail de création. Or, pour des auteurs comme Noël Audet, la lecture et l'écriture ne pourraient se faire simultanément, car la première interférerait dans la seconde, dans la mesure où l'écrivain tenterait de reproduire (même inconsciemment) ce qu'il vient de lire. Cette hypothèse soulève plusieurs questions : comment, pour l'écrivain débutant (entendons là autant les étudiants en création littéraire que les aspirants écrivains), est-il possible de se détacher de ses lectures afin de trouver sa voix/voie propre ? En d'autres termes, existe-t-il un moyen déterminé de connaître ce qui nous rend uniques en tant qu'écrivain ? Comment percevoir l'originalité de nos textes, si ce n'est que par cette lecture préparatoire à l'acte créateur ? C'est ce que je compte interroger en regard de ma propre expérience de l'écriture.

  • Le texte est un autre. Dialogue créatif entre deux logiques autonomes
    Jean-Simon Desrochers (UQAM - Université du Québec à Montréal)

    À moins de se situer dans la frange émergente de l'interactivité, l'oeuvre littéraire n'a rien d'un contenu dynamique. À la manière d'un tombeau, le livre (en tant que concept)

    présente le résultat statique d'un processus de création, l'archive d'une dynamique du doute muée en certitude.

    En phase de création littéraire, outre les rares moments où une poignée lecteurs sélectionnés commente l'oeuvre en chantier, la complémentarité se situe non pas entre

    l'écrivain écrivant et l'écrivain lecteur, mais plutôt entre l'écrivain et le texte en tant qu'objet indépendant. Parce que le texte est alors un objet dynamique, l'écrivain doit d'abord

    identifier ses impossibilités avant d'en interpréter le sens. Pour y parvenir, il doit faire sienne la logique du texte, comme si l'écrivain faisait face à une altérité réelle, à un esprit auquel il

    assigne théoriquement une logique autonome. En matière de complémentarité, l'écrivain en acte de création devient l'interprète d'une logique dont les possibilités s'amenuisent de mot

    en mot.

    Soulevée dans plusieurs textes (Dillard, Gracq, Duras), cette relation avec la simulation d'une altérité démontre que la relation dialogique entre l'écrivain et le texte dynamique

    relève de capacités cognitives qui, comme le suggérait Bakhtine, sont le propre de l'empathie (Einfühlung). L'objectif de cette présentation sera de démontrer la nature de ces relations

    empathiques spécifiques avec un éclairage complémentaire provenant neurosciences contemporaines.

  • Discussion
  • Dîner

Communications orales

Une ouverture à l'autre : exposition, animation, dépossession

Présidence : Alain Beaulieu (Université Laval)
  • Le spectateur imaginé
    Francine Chaîné (Université Laval)

    La recherche création en arts visuels au 2e cycle permet aux étudiants de réaliser des œuvres dans un mode exploratoire pendant l'année de scolarité et de mener à terme un projet plus étoffé pendant l'année de recherche. Ce projet peut prendre diverses formes, mais il doit faire l'objet d'une présentation publique. La recherche création en arts visuels est composée d'une œuvre et d'un texte d'accompagnement. Celui-ci permet à l'étudiant de poser une réflexion critique et théorique sur son travail artistique et témoigne de sa compréhension de celui-ci dans un contexte artistique, social, philosophique, etc. Au début de ce travail réflexif, il arrive fréquemment que les jeunes chercheurs en art prêtent des
    intentions au spectateur potentiel plutôt que de parler en leur propre nom. Cette façon qu'ils ont de se mettre à la place de l'autre s'avère tout à fait naturelle. Accompagnant depuis plusieurs années des étudiants en recherche création en arts visuels, je dois alors les inviter à revoir leurs propos et à raconter l'œuvre à partir d'eux-mêmes, d'en expliquer l'élaboration, de tisser des liens avec d'autres œuvres ou d'autres artistes, d'en comprendre les enjeux, etc. Ainsi, ce spectateur imaginé s'estompe progressivement laissant la place à la voix des jeunes chercheurs. S'agit-il d'un passage obligé? Faut-il faire ce détour pour arriver à soi? Voilà quelques questions auxquelles cette communication tentera de répondre.

  • Du créateur au public : l'atelier d'écriture comme objet de médiation culturelle
    Carole Bisenius-Penin (UL - Université de Lorraine)

    Cette communication souhaite problématiser la relation du créateur à son public selon qu'elle s'inscrit dans un espace institutionnel spécifique : l'atelier d'écriture universitaire. A partir d'apports théoriques empruntés à différentes disciplines (De Certeau, Bourdieu, Caune, Eco), la réflexion se fondera sur l'atelier d'écriture en tant qu'objet de médiation culturelle entre l'écrivain, l'œuvre et son récepteur, permettant ainsi de questionner cette complémentarité au cœur de la relation esthétique. Il s'agira de saisir le statut et l'action du public dans le dispositif de l'atelier articulant un pôle scriptural et un pôle lectoral, à travers lequel se noue la complexité interprétative. Nous nous intéresserons aux manières de faire du sujet, à la fois lecteur-interprète et apprenti-écrivain au centre du processus créatif. Cette complémentarité induit un questionnement sur la posture auctoriale, c'est-à-dire la relation du créateur à autrui par le biais d'une parole à l'intérieur d'un dispositif favorisant la confrontation et l'échange entre subjectivités. Ainsi, on montrera en quoi l'atelier d'écriture constitue un espace de ré-invention du rapport créateur-public par la pratique sensible artistique, sorte de « trans-disciplinarité » commune à l'auteur et au récepteur de l'œuvre. Ces analyses s'appuieront sur une expérimentation menée à l'université de Lorraine, grâce à la mise en place d'ateliers d'écriture associant des écrivains invités et des étudiants de licence.

  • Créateur et récepteur dans le musée, une relation influencée par le display
    Susanna Muston (Université de Vincennes Saint Denis (Paris 8))

    Je prendrai en compte la réception de l'œuvre telle qu'elle s'avère au sein d'une exposition d'art. Si on considère, avec Eco, l'œuvre comme ouverte et disponible à la rencontre avec le spectateur, il faut néanmoins remarquer que notre rencontre avec l'œuvre d'art (arts visuels) ne se produit pas directement, comme il en est pour la lecture d'un livre. Cette rencontre advient plutôt dans un cadre : celui de l'exposition d'art. Ceci comporte la prise en compte d'un troisième acteur et d'un troisième moment au sein d'une analyse de la réception : le rapport entre créateur et récepteur est ici influencé par la disposition des œuvres (display), faite par un commissaire.
    Elle constitue un élément fondamental pour comprendre comment le public les perçoit et les interprète. Comment concevoir cette disposition pour que la relation à l'œuvre reste toujours ouverte ? Comment penser le display sans produire une clôture de l'œuvre ou sans imposer au spectateur une interprétation à laquelle il devrait juste s'accorder ? Walter Benjamin affirmait qu'une présentation d'œuvres ne doit pas être conçue de façon illustrative mais doit plutôt appartenir à l'ordre de l'évocation, suscitant une réaction dans l'imagination. Concevoir le spectateur comme interlocuteur en mesure de donner son avis, comme expert en fonction de son imagination et son vécu permet que le display demeure ouvert. Par des exemples contemporains et un support philosophique j'explorerai cette conception de open display.

  • L'ekphrasis, comme tentative de restitution d'un tableau du Louvre
    Anne-Marie Petitjean (UCP - Université de Cergy-Pontoise)

    Je souhaite envisager en quoi la pratique de l'ekphrasis fait émerger de manière privilégiée la question de l'interprétation d'une œuvre d'art, en dépendance ou non de la figure de son créateur. Je m'appuierai sur l'expérience d'un atelier d'écriture mené au Louvre par un groupe d'enseignants en partenariat avec des écrivains et conservateurs, dans le cadre d'une formation de l'Université de Cergy-Pontoise. Ma communication envisagera trois points :


    1) Le renouvellement de la réception d'œuvres patrimoniales, appréhendées comme grands repères de la culture commune, par une approche personnelle. En quoi l'inscription d'un tableau de maître dans le trajet d'une écriture individuelle complète-t-elle ou dépasse-t-elle sa réception collective et le discours de son créateur ?


    2) Les valeurs distinctes qui peuvent être assignées à une même œuvre d'art par le créateur, le directeur d'exposition ou le visiteur du Louvre, selon des paramètres historiques, politiques et sémiotiques. L'analyse s'appuyera sur la description du « Serment des Ancêtres » (Guillon-Lethière), trésor national haïtien abîmé par le tremblement de terre de 2010.

    3) L'émergence de partis-pris esthétiques et poétiques de la part d'un écrivain tenant un discours sur des créations plastiques, propres à révéler des questions communes aux deux arts. Seront examinés en particulier les choix critiques de Tanguy Viel. Comment l'écrivain, en se déplaçant dans la posture du spectateur, reste-t-il fidèle à lui-même ?

  • Internet : entre lecteurs et auteurs — d'un site l'autre : écritures polyphoniques
    Arnaud Maïsetti (Université Paris Diderot (Paris 7))

    Le basculement d'internet, personne ne pourrait en déterminer les véritables sources, mais chacun peut assister aux révolutions neuves qui s'ouvrent, bouleversant les fondements qui avaient présidé à la pensée et à la structuration du fait littéraire. L'une de ses révolutions coperniciennes les plus spectaculaires, c'est ce renversement des vieilles catégories hiérarchisant écriture et lecture, qui avaient pourtant fini par définir l'essence du fonctionnement littéraire : d'un côté l'auteur, origine de l'écriture et garant de son sens, de sa clôture, des termes de l'échange ; de l'autre, le lecteur, espace de réception, lieu de la secondarité de l'œuvre, instance de jugement. Dans la constitution de la toile s'impose un autre agencement, moins latéral et déterminé, davantage machinique, fragmenté, comme désorganisé. Se renouvellent donc les notions de temps et d'espace de l'écriture ou de la lecture : dans les flux qui s'opèrent d'un site à l'autre ; sur la page du texte ou depuis les bords éloignés des sites ; en commentaire ou sur les réseaux sociaux ; dans des échanges plus ritualisés : l'écriture et la lecture ne s'effectuent plus selon les anciens codes de la différance (du temps différé et de l'espace éloigné) – mais se traversent et font du texte l'élément d'une rencontre. Sur internet, les anciens statuts se fracturent de l'intérieur : le lecteur est toujours déjà auteur. Quels bouleversements dans le geste même d'écrire, qui l'affectent et le renouvellent ?

  • Discussion
  • Pause

Communications orales

D'œuvre en œuvre : l'expérience de la réception

  • En présence d'écrivains diaristes
    Philippe Archambault (UQAM - Université du Québec à Montréal)

    « “Pourquoi écrivez-vous?” demande-t-on souvent à l'écrivain. “Vous devriez le savoir” pourrait répondre l'écrivain à ceux qui posent la question […] “Si je suis écrivain, pourquoi êtes-vous mon lecteur? C'est en vous-même que vous trouvez la réponse. » (Ionesco). Ou du moins, c'est d'abord en lui-même que le lecteur doit reconnaître la question. Un des espaces littéraires les plus propices à cette reconnaissance, où le pourquoi de l'écriture approche celui de la lecture, est le journal personnel d'écrivain. Là se constitue un double rapport complexe : entre l'écrivain et l'œuvre, et entre le lecteur et l'écrivain, tel qu'il se présente au fil de la lecture. La tenue d'un journal est d'abord un processus créateur, une manière d'être à l'œuvre. L'écriture diaristique permet un recul au sein même de l'œuvre : elle assure une position critique et réflexive à l'écrivain. Pour le lecteur, l'écrit diaristique est une source biographique où afflue le courant de la création : il met en présence d'un imaginaire de la pratique littéraire. Afin d'aborder ce jeu complexe de réception, j'introduirai les notions de témoignage et d'apprentissage, en montrant à quoi correspondent ces processus selon la perspective de l'écrivain et du lecteur. Il sera question de la posture comme forme de témoignage, de la transmissibilité du savoir littéraire et de l'autorité de l'interprète. Ces réflexions s'accompagneront d'extraits des journaux de Charles Juliet, de Pierre Bergounioux et d'Henry Bauchau.

  • Création et re-création
    Esther Pelletier (Université Laval)

    Dans le cadre de ce forum, je témoignerai du processus créateur que j'ai emprunté pour réaliser mon film SUR LES PAS DE RENÉ RICHARD en tant que scénariste et réalisatrice. Il s'agira de démontrer comment le processus créateur pour faire un film doit nécessairement être mis en LIEN, d'une part, avec les instances de production: producteur, télédiffuseurs, autres investisseurs (dans le cas qui nous occupe: Nanoukfilms, ARTTV,TV5,Canal Bravo, Fonds Greenberg, Astral, SODEC, Gouvernement du Canada); et, d'autre part, avec les instances de diffusion et de réception de l'oeuvre, soit 1) les télédiffuseurs (crénaux, grille-horaire); 2) les festivals (exigences et particulatirtés); 3) les spectateurs et, enfin, 4) la reconnaissance par les pairs (prix et distinctions: l'exemple de l'Académie canadienne du cinéma et de la télévision).

  • L'heure du lecteur : points de vue sur l'œuvre de Clarice Lispector
    Daniela Da Silva Prado (UQAM - Université du Québec à Montréal)

    Mon but est d'étudier le rapport de Clarice Lispector à son récepteur-lecteur, d'après l'étude de ses œuvres de fiction. Clarice Lispector est une écrivaine qui a bouleversé la
    littérature brésilienne dès la parution de son premier roman, Près du cœur sauvage. L'ouvrage, à l'époque de sa publication, a partagé la critique, qui ne savait pas comment
    classer la prose lispectorienne, éloignée des bases traditionnelles du roman. Si « un texte est incomplet » et « veut que quelqu'un l'aide à fonctionner » (Eco), les narrateurs/trices de Clarice se manifestent non seulement pour confirmer ces idées, mais surtout pour montrer que le lecteur est celui qui possède la clé pour découvrir l'énigme. Toutefois, cela ne veut pas dire que l'énigme sera devinée. Dans L'heure de l'étoile, le narrateur déclare « Cette histoire survient en pleine urgence, en pleine calamité. C'est là un livre inachevé, faute de réplique. Cette réplique, j'espère que quelqu'un en ce monde me la donnera ? Vous ? ». Dans La passion selon G.H., l'écrivaine essaie d'attirer son lecteur-modèle lorsqu'elle déclare « je serais heureuse qu'il soit lu uniquement par des personnes à l'âme déjà formée ». Encore une fois Clarice et Umberto Eco s'approchent – « un texte postule son destinataire comme condition sine qua non de sa propre capacité communicative concrète mais aussi de sa propre potentialité significatrice. En d'autres mots, un texte est émis pour quelqu'un capable de l'actualiser ».

  • Le rapport du créateur au spectateur sur les scènes contemporaines : rencontre intime prédictive
    Adeline Thulard (Université de Lyon)

    Les spectacles de Pina Bausch proposent au spectateur un parcours dans lequel celui-ci doit être ouvert aux images, de manière à en ressentir les effets plus qu'à en exprimer le sens. La scène emblématique de Café Muller où un homme et une femme s'étreignent, puis changent de positions à l'infini peut entraîner le rire ou les larmes : « Je sais ce que l'on peut ressentir et ce que la moindre nuance peut provoquer ». C'est à partir de ce principe que Bausch construit ses images et en opère le montage, créant un parcours d'intensités permettant la rencontre avec l'autre. A travers ses œuvres et celles de Pippo Delbono, nous pouvons voir des exemples de la façon dont, dans une partie de la production
    théâtrale contemporaine, le rapport entre créateur et spectateur, intime et prédictif, peut être éclairé par l'expérience poétique du lecteur bachelardien, inscrit dans l'œuvre par un travail sur les images. Le spectateur vit leur résonnance: ses souvenirs, son intimité l'animent de nouveau momentanément. Les spectacles de Delbono jouent sur des archétypes souvent inconscients qui permettent une réception intersubjective. Le spectateur éprouve un phénomène de retentissement, vécu comme une épiphanie individuelle où il se fond dans l'image avec le créateur. Il vit l'imagination en acte sur scène et se rencontre lui-même dans les images. Cette relation intime de partage entre spectateur et créateur peut se produire dans la mesure où l'individu s'expose à la création spectatoriale.

  • Discussion
  • Mot de clôture