312 - Criminalité, criminologie et nouvelles tendances

Durant les deux dernières décennies, plusieurs avancées importantes furent réalisées dans la description et l'explication de la délinquance juvénile. Ces avancées sont largement attribuables aux grandes études longitudinales en criminologie développementale. Cette approche offre un cadre d'analyse qui est diamétralement différent de l'approche plus conventionnelle et clinique qui caractérise le champ de la délinquance sexuelle. Depuis moins d'une décennie, la criminologie développementale s'est graduellement intéressée aux délinquants juvéniles et adultes qui commettent des délits sexuels. Les résultats de travaux émergeant permettent de tracer un profil développemental et, du même coup, l'identification de parcours et de trajectoires de vie avant, pendant, et après l'activité criminelle sexuelle. Ces avancées remettent en question plusieurs idées préconçues concernant la délinquance sexuelle et les délinquants sexuels. Ces travaux soulèvent des idées nouvelles, notamment en ce qui concerne la prévention développementale de la violence sexuelle. La présentation fera le point sur ces avancées importantes des dernières années, notamment au niveau de l'origine et du développement de la délinquance sexuelle et des facteurs de risque et de protection qui y sont associés. La présentation permettra également de faire le point sur l'état des connaissances actuelles de ce nouveau paradigme, mais également de poser les pistes de recherche futures.

Les Hells Angels ont été, apparemment, une force dominante dans les marchés criminels du Québec - du moins, selon ce qu'affirment les organismes d'application de la loi, les médias populaires et certains universitaires. Les recherches antérieures sur le crime organisé ont évalué les mêmes phénomènes au-delà du Québec et ont mis en question ces prétentions à la domination. Trois différents ensembles de données compilées sur les Hells Angels et leurs interactions avec les organismes d'application de la loi ainsi qu'avec des groupes criminels rivaux montrent que les dynamiques expliquant la structure du milieu criminel est plus complexe que la simple domination d'une organisation criminelle. Les données sur la violence meurtrière durant la « guerre » des motards dans les années 90 montrent que les principaux membres des Hells Angels ont rarement été touchés . Les données sur les communications interpersonnelles impliquant les Hells Angels démontrent que les principaux membres des Hells Angels n'étaient pas les principaux acteurs du réseau . Enfin, un ensemble de données sur la comptabilité des profits issus des transactions de drogue impliquant les Hells Angels démontrent que les principaux membres n'étaient pas les participants les plus actifs dans ces opérations. Ainsi, même si les Hells Angels peuvent être réputés comme des membres privilégiés du milieu criminel du Québec, plusieurs aspects doivent être pris en considération au-delà d'une domination peu probable.

Que sait-on des liens qui existent entre les conduites déviantes et les jeux de hasard et d'argent (JHA) à l'adolescence ? Quelles différences observe-t-on entre les jeunes filles et les garçons lorsqu'on s'y attarde? Pour répondre à ces questions, des résultats issus d'une étude à devis mixte sur les habitudes de jeu par Internet que nous avons conduite entre 2007 et 2009 seront présentés. Pour le volet quantitatif de l'étude, 1870 élèves des secondaires 3, 4, 5 ont été recrutés dans des écoles de trois régions du Québec. Les instruments de mesure DSM-IV-MR-J (Fisher, 2000) et MASPAQ (Le Blanc, 2010) ont été utilisés pour mesurer respectivement les habitudes de JHA des jeunes et leurs conduites déviantes. Dans le cadre du volet qualitatif de cette même étude, des entretiens semi-structurés ont été conduits auprès de 40 jeunes joueurs initiés aux JHA par Internet. Ces jeunes ont été recrutés dans des milieux scolaires et cliniques. Cette communication a pour objectifs de montrer : 1) les liens entre les différents comportements liés aux conduites déviantes, le statut de joueur (ex. Internet ou non) et le sexe des participants (volet quantitatif); 2) les perceptions des jeunes en ce qui concerne les liens entre leurs habitudes de JHA et leurs conduites déviantes (volet qualitatif).

Depuis les dix dernières années, les peuples autochtones revendiquent un rapport différent à la recherche. Ils suggèrent, notamment par des protocoles établis, des manières de faire qui visent à les reconnaître comme des sujets ayant voix au chapitre et non comme des objets autour desquels se réalisent des études. En s'inspirant d'une expérience de recherche action collaborative portant sur la violence conjugale envers les femmes autochtones au Québec, nous mettrons en exergue les différentes étapes du processus de recherche en partenariat qui ont été marquées par la collaboration, le respect des valeurs et de la culture des Autochtones et la confiance entre les différents acteurs impliqués. Nous aborderons également les aspects méthodologiques de notre étude, notamment la collecte de données effectuée par les Autochtones qui a nécessité de la part des chercheures de transférer des pouvoirs en matière de production des données. Nous poursuivrons en précisant comment chacun des acteurs, dans leurs positions respectives, a pu tirer profit de leur participation au processus de recherche et nous situerons les retombées du projet de recherche mené en partenariat au plan des connaissances élaborées collectivement ainsi qu'en regard de l'influence d'un discours porté par les acteurs sur les prises de décisions des instances gouvernementales.

Une tranche de plus en plus importante de la délinquance se produit dans des contextes virtuels. Les délinquants tirent avantage du caractère immatériel de ces environnements et de l'anonymat relatif qu'ils offrent afin de s'attaquer à des victimes qui n'ont souvent pas les moyens de se défendre. Bien qu'il existe peu ou pas de différences entre les délinquants qui opèrent dans les univers réels et virtuels, la surveillance et la collecte de données sur ces individus ne peuvent être approchées de la même manière que pour la délinquance dite traditionnelle. Il existe en effet peu de dossiers d'enquête portant les délinquants de l'internet. Entrer en contact direct avec de telles personnes est aussi plus difficile en raison de leur méfiance naturelle. Pour pallier à ces limites, cette présentation proposera trois techniques qui ont été utilisées de par le passé dans le contexte de recherches empiriques et qui ont produit des résultats intéressants. La première est celle du miroir (web scraping en anglais) qui cherche à télécharger de l'information directement de sites web et de forums de discussion en ligne. La deuxième est la surveillance de salles de clavardage IRC qui permet d'enregistrer et de suivre à la trace les délinquants. Finalement, nous présenterons des ressources s'intéressant à la sécurité en ligne qui pourraient permettre d'avoir accès à des informations privilégiées comme des copies de sauvegarde de sites de pirates.

Notre analyse des discours de multiples acteurs démontre en quoi la catégorie restreinte du « prédateur sexuel » avalait celle infiniment plus large et multidimensionnelle de « l'infracteur sexuel ». Timmendequas, l'image parfaite du prédateur, devenait malgré lui le porte-étendard des infracteurs sexuels et nous verrons en quoi les contours de la Loi de Megan en dépendaient largement. Le 29 juillet 1994, une fillette de sept ans du New Jersey du nom de Megan Kanka est agressée sexuellement et tuée par son voisin, Jesse Timmendequas, à l'époque double-récidiviste sexuel. Adoptant rapidement le slogan «right to know», les parents de la jeune fille entreprirent immédiatement une lutte pour la création d'une loi qui révélerait au public l'identité et le lieu de résidence des infracteurs sexuels. Moins de 3 mois plus tard, un répertoire public de délinquants sexuels était né (Loi de Megan). Notre présentation explore les perceptions du monde politique, des médias et des groupes d'intérêts par rapport aux infracteurs sexuels et en quoi ces constructions sociales ont joué sur la forme qu'a prise la Loi de Megan. Nous avons analysé les discours politiques en lien avec l'affaire (étude de cas qualitative). Huit entretiens avec des acteurs impliqués dans le débat politique menant à la création de la Loi de Megan furent effectués. Une analyse de plus de 150 articles de journaux et de quelques projets et textes de loi fut également effectuée.

La surveillance est un élément central de toute forme de contrôle social. Pourtant, au-delà des théories classiques de la dissuasion, la criminologie s'est peu penchée sur les mécanismes qui traduisent une forme de surveillance en une modification du comportement ou de la perception de l'environnement. Dans un univers 3D il est possible de construire des scénarios et de modifier à l'infini les données de l'environnement en matière de présence humaine, de surveillance institutionnelle, personnalisée ou technologique, et de suivre les effets de ces modifications en temps réel sur les participants.

Grâce aux récentes études longitudinales, la transmission intergénérationnelle de la conduite antisociale est de mieux en mieux connue des criminologues. Toutefois, les mécanismes qui en sont responsables demeurent nébuleux. La présente étude vise à présenter l'état des connaissances actuelles concernant la transmission intergénérationnelle de la conduite antisociale et des facteurs de risque qui en sont responsable. L'étude vise également à présenter les résultats préliminaires de l'étude longitudinale de Vancouver sur le développement psychosocial de l'enfant. Cette recherche pose un regard sur le développement d'enfants issus de grossesses à risque. Plus spécifiquement, l'étude vise à décrire les mères qui, malgré les campagnes de sensibilisation et de prévention à cet effet, consomment régulièrement nicotine, alcool et/ou drogue durant leur grossesse. L'étude vise également à décrire le développement psychosocial de ces enfants, plus particulièrement au niveau de l'activation et de la fréquence des manifestations agressives dès la petite enfance. L'étude examine la présence de liens possibles entre le profil de la mère, la présence d'une grossesse à risque et le développement psychosocial dans le cadre de la transmission intergénérationnelle de la conduite antisociale. L'étude se questionne également sur l'importance des habiletés parentales comme facteur de protection à l'égard de cette transmission intergénérationnelle.

En l'absence d'une confession ou de preuves physiques permettant l'identification de l'auteur d'un crime, les policiers doivent recourir à d'autres méthodes pour faciliter l'identification de suspects potentiels. Une de ces méthodes, l'analyse des liens entre les crimes (crime linkage), implique l'identification de similarités, au niveau du mode opératoire du délinquant, entre le crime faisant l'objet d'une enquête et des crimes antérieurs pour lesquels l'auteur fut (parfois) identifié. Cette méthode repose donc sur l'idée que : 1) le délinquant commettra un crime de même nature à nouveau et 2) qu'il le commettra de la même façon, dans un contexte similaire (constance comportementale). Malgré l'utilisation et l'utilité du crime linkage, peu d'études existent à ce jour permettant de démontrer l'efficacité de cette méthode et, de façon plus précise, la véracité des postulats sur laquelle elle repose. La présente étude vise à analyser la stabilité de différents aspects du mode opératoire de 72 délinquants sexuels sériels ayant commis un total de 361 crimes sexuels sur des victimes inconnues. Plus spécifiquement, la présente étude s'intéresse à l'homogénéité et à la stabilité des caractéristiques environnementales des lieux choisis par les délinquants sexuels pour rencontrer leurs victimes et commettre leurs crimes. Les retombées pratiques pour le crime linkage et la prévention situationnelle seront discutées.

La prolifération des armes légères semble soutenir une culture de la résolution des conflits politiques internes par la violence, mais qu'en est-il réellement de la relation armes-violence politique?

Dans cette communication nous nous intéresserons à la construction de la violence de masse comme objet de connaissance. Une triple réflexion montrera que les outils conceptuels développés en criminologie laissent impensées de nombreuses dimensions pourtant cruciales à la compréhension de cette forme extrême de criminalité. Premièrement, sous un angle sémantique, nous montrerons que la notion même de criminalité de masse est demeurée prisonnière d'une définition juridique pauvre conceptuellement. Nous proposerons la notion de violence de masse, permettant ainsi de désenclaver la réflexion des apories conceptuelles liées au droit. Deuxièmement, selon une perspective épistémologique, nous observerons que ce type de crimes souffre d'une appréhension éminemment téléologique, à savoir qu'il n'est envisagé exclusivement qu'à travers ses conséquences les plus tragiques. Nous opérerons un retournement en montrant que, basée sur l'idée de radicalisation émergente, l'énigme majeure posée par cette forme de criminalité se situe plutôt dans ce qui précède le passage à l'acte à proprement parler. Nous développerons la notion d'intentionnalité émergente. Enfin, une troisième réflexion, d'ordre conceptuel, proposera un outil d'appréhension de ce type de criminalité pour ce qu'il est, à savoir éminemment collectif.

Cette présentation examinera les modalités de fonctionnement d'un réseau de pirates informatiques en s'appuyant sur des données empiriques extraites des ordinateurs de dix pirates informatiques. Ces pirates contrôlaient des réseaux de machines compromises (des botnets) comprenant plusieurs centaines de milliers d'ordinateurs répartis dans une centaine de pays. En analysant les journaux de communication (logs) des machines saisies chez ces pirates, il devient possible de comprendre comment ce réseau était structuré et comment il fonctionnait. En combinant la méthode de l'analyse des réseaux sociaux et des analyses qualitatives des discussions menées par ces pirates, on peut dresser un tableau nuancé de ce réseau. Bien que les pirates qui le composent aient pu développer leurs compétences grâce à leurs échanges avec des délinquants plus expérimentés, leurs compétences sociales et organisationnelles sont demeurées relativement faibles et ont limité les bénéfices financiers qu'ils ont pu retirer de leurs activités illicites. Par ailleurs, les indicateurs classiques de l'efficacité d'un réseau que sont la densité des liens et la fréquence des interactions parviennent mal à refléter la méfiance profonde qui caractérise les échanges entre ces individus : les insultes, les accusations et les attaques diverses étaient endémiques et mobilisaient des ressources importantes qui devenaient indisponibles pour des activités axées sur les profits criminels

En 2009, l'Association des Centres jeunesse et le Regroupement des organismes de justice alternative du Québec créent conjointement un nouveau programme de rencontres de médiation pénale, destiné aux adolescents judiciarisés et à leurs victimes, dans les cas d'infractions les plus graves. Cette communication a pour objectif de discuter de l'historique et des justifications de la création de ce programme, symbole de l'infiltration de plus en plus profonde de la pratique de la médiation pénale au sein du système pénal à l'endroit des mineurs au Québec. Elle permettra de questionner les capacités d'un tel dispositf à constituer un symbole de résistance sociale à la dérive pénale, en évoquant les enjeux posés par ses objectifs originels autant que par les défis opérationnels qui s'imposent depuis sa première expérimentation.

Cette présentation s'inscrit dans une réflexion plus globale portant sur les modes de régulation existant hors du cadre pénal. Notre postulat de base est que ces modes de régulation sont encore actifs aujourd'hui mais restent occultés et minorisés par le discours pénal, qui est souvent présenté comme le seul garant du maintien de la cohésion sociale. Notre étude développe cette hypothèse en s'intéressant plus particulièrement au vécu quotidien des conflits à partir d'une étude de terrain. Nous essayerons par ce biais d'identifier ce que représente un conflit aux yeux des interviewés et dans quelle mesure l'identification de ces «troubles» quotidiens reste encore largement imperceptible du fait de l'omniprésence du discours pénal en matière de règlement des conflits.

Différentes recherches permettent de soutenir que le système pénal est relativement peu mobilisé lors de situations problématiques. L'on apprend aussi que dans de tels cas, les gens ont recours à d'autres solutions. Mais lesquelles? La présente communication explore en ce sens les modes de réaction "du monde quotidien" mobilisés par les gens lorsqu'ils se trouvent dans une situation qu'ils définissent comme offensante, dommageable ou inacceptable. Elle se base sur des entretiens et se fonde sur une approche ethnométhodologique. Que signifient ces modes de régulation? Quels en sont les enjeux en termes de maintien de la vie sociale? Qu'y représente le pénal?

Les exigences opérationnelles de la prison tendent à effacer le vieillissement des prisonniers notamment en interrompant, chez chacun, la chronologie anticipée de leur vie. Ceci se traduit par une incapacité à vivre certains événements-pivot estimés être fondamentaux dans la « typification » sociale de l'âge (par ex. se marier, être mère/père, être en emploi, prendre sa retraite, vivre sa ménopause, être grands-parents, etc.). Le vieillissement des prisonniers s'efface également du fait que la prison apparaît difficilement capable, financièrement et matériellement, de convertir leurs capacités physiques changeantes et leurs besoins en programmation au sein d'une infrastructure concrète et permanente ainsi que dans une offre concertée de services adaptés. Par ailleurs, la prison inflige des temps et des espaces fortement compartimentés et enrégimentés qui sont, non seulement, prédéterminés et imposés aux populations captives, mais qui sont également à des lieux de ceux ayant préséance dans la société. Nous discuterons, dans cette présentation, des relations que les prisonniers vieillissants entretiennent à l'endroit de cette compartimentalisation et enrégimentation de la prison, et des manières dont celles-ci affectent l'habileté qu'ont les prisonniers de négocier les demandes identitaires disparates qu'ils rencontrent pendant leur incarcération (comme leur vieillissement).