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Concours de vulgarisation 2016 : Jean-Christophe Bérubé
Lauréat

Jean-Christophe Bérubé

Université Laval

Explorez les « bases » des poumons

C’est devant ses ordinateurs que le bio-informaticien de formation commence sa journée. Il est maintenant dans un parcours doctoral où il étudie comment notre bagage génétique joue sur nos risques de développer l’asthme. Ce matin, il travaille à l’analyse de données génétiques de centaines d’individus dans le but de mettre en lumière les mécanismes pulmonaires fondamentaux impliqués dans la maladie. Actuellement, les traitements offerts aux patients asthmatiques réduisent uniquement leurs symptômes. Et les médicaments existants n’arrivent toujours pas à guérir la maladie. Ce jeune chercheur, c’est moi-même, et je suis aux prises avec l’asthme. Je consacre ma carrière à déceler de nouveaux facteurs génétiques responsables de cette maladie, facteurs qui mèneront à de meilleurs soins, et ce, grâce à l’exploration des « bases » du poumon.

À la base de l’asthme, des erreurs de code

Sans répit, nos poumons s’emplissent d’air, le filtrent et effectuent les échanges gazeux nous maintenant en vie. On conçoit immédiatement leur importance. Ce qui peut paraître moins évident, par contre, c’est l’impact majeur de l’hérédité sur leur fonctionnement. Transmis de nos parents, notre code génétique repose essentiellement sur l’enchaînement de quatre bases nucléotidiques : l’adénine (A), la cytosine (C), la guanine (G) et la thymine (T). Un total de trois milliards de ces lettres A-C-G-T se succèdent pour encoder toute l’information génétique humaine sous forme d’acide désoxyribonucléique (ADN). Cet enchaînement matérialise ni plus ni moins le guide d’instructions pour faire fonctionner l’ensemble de notre corps, poumons inclus. Chez certaines et certains d’entre nous, de mauvaises instructions sont suivies par les cellules pulmonaires. Résultat, la maladie s’installe.

L’asthme demeure une maladie pulmonaire très fréquente au Canada. Près d’une personne sur dix en souffre. Pendant un épisode d’asthme, il y a généralement toux, respiration sifflante et difficulté à respirer. La qualité de vie d’un asthmatique diminue considérablement selon la fréquence des symptômes. L’environnement ou la qualité de l’air respiré joue aussi un rôle dans le développement de la maladie. Néanmoins, notre susceptibilité à développer l’asthme repose grandement sur le code génétique reçu au moment de notre conception.

La génomique à la rescousse

Au tournant des années 2000, des percées technologiques ont permis de tirer l’information génétique globale d’un individu. L’ère de la génomique humaine était amorcée. Supervisé par le Pr Yohan Bossé, mon projet met de l’avant deux approches génomiques cruciales. La première est le génotypage sur biopuces. Elle consiste à établir le profil de millions de variations présentes dans notre code génétique. Il faut savoir que 99,5 % du génome est similaire d’un humain à l’autre. Pourtant, le demi-pour cent qui reste donne à chacun son caractère unique. Les variations les plus étudiées sont appelées SNP (prononcé « snip », pour polymorphismes nucléotidiques simples). À des millions d’endroits précis de notre guide d’instructions, la lettre peut varier d’une personne à l’autre. Par exemple, pour un SNP donné, une personne possède un T, une thymine, alors qu’une autre possède un G, une guanine. La présence d’une lettre plutôt qu’une autre peut se révéler de la plus haute importance. Ultimement, la composition des SNP peut autant influencer des traits aussi différents que la couleur des yeux et la susceptibilité à développer l’asthme.

Des suspects pointés du doigt

Au cours des dix dernières années, le génotypage a été l’outil de prédilection des généticiens. Grâce à cette approche, des différences dans la composition de centaines de SNP ont été observées entre des individus asthmatiques et des individus en santé. Jusqu’à tout récemment, comprendre l’implication des différences observées demeurait difficile. Pourquoi ? Et bien, la majorité des SNP suspectés se situent à l’intérieur de régions du génome dont on détient peu d’information. La solution ? Combiner le génotypage à une seconde approche génomique : la transcriptomique.

Combiner les efforts, combiner les données

La seconde approche génomique du projet porte le nom de transcriptomique. Cette approche nécessite l’emploi de biopuces afin de révéler les niveaux d’expression des gènes dans les poumons. Artisans de nombreuses réactions chimiques dans l’organisme, les gènes ont des rôles définis. Sachant les rôles de plusieurs d’entre eux, les chercheurs peuvent alors évaluer les effets d’un changement d’expression de ceux-ci sur les fonctions des poumons, par exemple. En termes simples, et comme son nom l’indique, la transcriptomique permet de quantifier les instructions transcrites de notre guide d’instructions afin d’accomplir des tâches particulières dans notre corps.

Les chercheurs ont voulu savoir si la composition de SNP pouvait moduler la quantité de certaines instructions transcrites à même le poumon afin de mieux comprendre leurs effets. S’il y a modulation, on considère le SNP comme un eQTL (de l’anglais, expression quantitative trait loci). Pour répertorier l’ensemble des eQTL pulmonaires, les chercheurs ont joint leurs efforts à ceux d’un consortium international. Au total, plus de mille participants ont été recrutés dans trois centres de recherche situés dans les villes de Québec, de Vancouver et de Groningen aux Pays-Bas. L’information génétique de l’ADN a été obtenue à partir d’un prélèvement sanguin et le génotypage sur biopuces a été effectué pour chacun. Pour ces mêmes participants, l’expression des gènes a été quantifiée à partir d’un morceau de poumon. Les millions d’eQTL possibles ont été calculés informatiquement. Au final, plus de 17 000 eQTL ont été détectés dans le poumon. Sachant l’effet des SNP dans le poumon, il ne restait plus qu’à transposer ces découvertes dans le contexte de l’asthme.

Une ressource inestimable

En examinant ces eQTL pulmonaires, les chercheurs peuvent maintenant savoir si un SNP associé à l’asthme régule l’expression d’un ou plusieurs gènes dans le poumon. Imaginons que pour le SNP 1, les patients asthmatiques ont plus souvent la lettre T comparativement aux individus sains qui, eux, ont plus souvent la lettre G. Auparavant, la découverte scientifique s’arrêtait net, ici. Maintenant, on vérifie si la présence de cette instruction augmente ou diminue la transcription d’un gène X. Avec les analyses que j’ai réalisées, l’ensemble des SNP suspectés dans l’asthme ont été validés à grande échelle dans le poumon. La tâche n’est pas terminée, puisqu’il restera à interpréter l’implication des gènes modulés pour cerner les véritables fautifs.

Au final, notre équipe de recherche souhaite qu’une meilleure compréhension des bases moléculaires de l’asthme puisse se traduire en bénéfices pour les patients asthmatiques par l’entremise de nouvelles cibles thérapeutiques ou de nouvelles stratégies de prévention