Le prix Acfas Thérèse Gouin-Décarie, pour les sciences sociales, est remis à Michel Boivin, professeur à l’École de psychologie de l’Université Laval.
Le développement d’un enfant procède d’une évolution à long terme qui relève d’interactions complexes entre nature et culture. Si la mesure des environnements familiaux et sociaux va de soi dans les études en développement humain, la dimension biologique, plus difficilement accessible, n’est pas toujours prise en compte. Le lauréat s’est donné pour mission de déterminer comment les différents facteurs environnementaux et génétiques « se coordonnent » très tôt pour orienter les trajectoires individuelles du développement affectif, cognitif et social, et ce, dès la petite enfance. Il se distingue ainsi par ses recherches interdisciplinaires, à l’interface de la psychologie, de l’éducation, de la génétique humaine et des neurosciences.
Michel Boivin est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en développement de l’enfant depuis 2004, et il est directeur-fondateur du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale à l’enfance à l’Université Laval (GRIP-Laval), un centre de recherche interuniversitaire visant la compréhension du développement et la prévention de l’inadaptation psychosociale établi en 1995. Le professeur Boivin s’est d’abord intéressé aux relations entre enfants et en particulier au développement, aux causes et aux conséquences des difficultés interpersonnelles à l’enfance. Il a ainsi été le premier à montrer que les difficultés interpersonnelles à l’enfance sont en partie tributaires du comportement de l’enfant et qu’elles se répercutent sur l’adaptation et la santé ultérieure. Il a aussi montré comment certaines relations sociales de l’enfant, comme le soutien apporté par un ami, peuvent protéger l’enfant de ces conséquences négatives.
Pour comprendre l’origine de ces difficultés, le professeur Boivin a mis sur pied un programme de recherche novateur sur les déterminants bio-sociaux du développement de l’enfant. Plus largement, ce programme vise à documenter le rôle crucial des premières années de vie et des interactions gène-environnement qui façonnent le développement au cours de l’enfance et de l’adolescence.
Ces travaux prennent appui sur de grandes études longitudinales de cohortes. Michel Boivin s’est ainsi fait le pionnier des études populationnelles de naissance au Québec et au Canada. Ainsi, il a initié, et co-dirige depuis 1995, l’Étude des jumeaux nouveau-nés du Québec (ÉJNQ). Il s’agit d’un suivi depuis la naissance de plus de 1 200 jumeaux, permettant d’étudier l’interface de la biologie et de l’environnement dans le développement humain. Il a aussi contribué à l’Étude longitudinale du développement de 2000 nouveau-nés du Québec, analogue à la première.
Sur cette base, le professeur Boivin a démontré le rôle capital des premières années de vie et l’omniprésence de la susceptibilité génétique – c’est-à-dire la prédisposition génétique de certaines personnes – dans l’établissement des trajectoires d’adaptation. De plus, ses travaux sur l’ÉJNQ montrent comment cette susceptibilité se combine à l’environnement pour révéler des différences individuelles précoces et persistantes sur plusieurs traits et leurs répercussions sur les plans de l’adaptation sociale, scolaire et de santé mentale.
Le professeur Boivin a aussi documenté comment la susceptibilité génétique opère tôt et par des voies inattendues, à travers son environnement de proximité par exemple. Il a montré que les conduites parentales hostiles envers le jeune enfant s’expliquent partiellement par les vulnérabilités génétiques associées au tempérament difficile chez ce dernier, et que l’établissement précoce d’un cycle négatif d’interaction parent-enfant se répercute par la suite sur les relations envers les autres enfants. Un patron similaire a aussi été observé pour les difficultés interpersonnelles à l’école. Ce travail signale qu’une minorité significative d’enfants sont affectés par une double vulnérabilité, génétique et environnementale, qui, par effet de cascade, canalisent le développement vers de plus grandes difficultés d’adaptation.
Le professeur Boivin et son équipe ont également documenté les mécanismes environnementaux qui, au-delà des prédispositions génétiques, rendent compte du rôle de la préparation scolaire précoce dans la réussite ultérieure. Ils ont constaté, par exemple, qu’au-delà des facteurs génétiques, l’environnement familial préscolaire joue un rôle important dans le rendement scolaire ultérieur, notamment en mathématiques. Toutes ces découvertes confirment que des facteurs extérieurs à l’enfant sont en jeu très tôt dans son développement et que l’environnement familial peut y apporter une contribution unique, au-delà, ou en interaction, avec la susceptibilité génétique. Elles nuancent aussi le risque individuel et soulignent la pertinence d’une approche préventive précoce et personnalisée.
En parallèle à ses travaux de recherche, le professeur Boivin s’est fortement investi dans des activités de transfert des connaissances. Il est, par exemple, un des éditeurs de l’Encyclopédie sur le développement du jeune enfant, un outil de mobilisation des connaissances utilisé sur le plan international. Ce projet, dont il est un des initiateurs, est associé à un réseau international d’experts « qui recueillent, synthétisent et commentent, dans leur domaine d’expertise, les connaissances scientifiques les plus récentes traitant du développement des jeunes enfants, de leur conception à l’âge de cinq ans ». L’outil est accessible en ligne, gratuitement, pour tous et tout spécialement pour tous les intervenants en éducation, comme en santé et en travail social, de même que pour les parents.
Le professeur Boivin a aussi collaboré avec d’autres collègues du GRIP pour documenter l’impact sur le développement des enfants de la fréquentation des services de garde du Québec. Ce travail montre que leur fréquentation contribue à une meilleure préparation et réussite scolaires pour les enfants de familles de faible niveau socioéconomique (NSE).
Il a aussi joué un rôle important (2013-2017) au sein de l’Institute of Genetic, Neurobiological, and Social Foundations of Child Development de l’Université d’état de Tomsk, Fédération de Russie. Il a ainsi contribué de son expertise à la création d’une cohorte de grossesse issue de fécondations in vitro, d’une adaptation russe d’un programme d’intervention précoce et d’un agenda de recherche commun Québec-Russie sur le développement humain.
Tout au long de ses 30 ans de carrière, Michel Boivin a exercé un leadership soutenu dans l’organisation de regroupements et d’évènements de recherche sur les plans national et international. Soucieux de passer les recherches sur le développement de l’enfant à la postérité, il a formé à l’excellence une nouvelle génération de chercheurs qui font maintenant leur marque dans le domaine, faisant foi de l’exceptionnel mentorat de ce chercheur de renom.