Le prix Acfas Pierre-Dansereau 2020, pour l’engagement social, est remis à Joanne Otis, professeure au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal.
La lauréate est une des figures incontournables ayant contribué à la résolution de l’une des pires crises en santé publique de la fin du 20e siècle : l’épidémie de VIH. Son apport a été, entre autres, d’arrimer finement et efficacement la recherche universitaire à l’engagement communautaire. La recherche participative est pour elle un engagement moral et politique de longue haleine, et sa conception est hautement démocratique : elle ne travaille pas sur des sujets, mais bien avec des personnes, qui participent de façon horizontale aux projets. Grâce à ce modèle de recherche qui constitue une véritable immersion ethnographique, la lauréate a pu proposer des mesures concrètes répondant aux impératifs toujours changeants de cette épidémie.
C’est donc l’articulation entre recherche scientifique et engagement social qui caractérise le travail de Joanne Otis, amorcé il y trois décennies. Pourtant, rien dans sa formation doctorale à la Faculté de médecine, achevée en 1993, et portant sur l’utilisation du préservatif chez les adolescent.es dans un contexte d’émergence du VIH, ne la préparait à la recherche participative. Ce mode de réflexion et d’action s’est imposé de lui‐même lors de ses travaux sur les impacts du virus de l'immunodéficience humaine (VIH); la collaboration avec les personnes affectées, et revendiquée par elles dans une perspective de « Rien sur nous, sans nous », constituant la réponse la plus efficace aux enjeux.
Au début des années 1990, Joanne Otis amorce une immersion ethnographique dans le milieu gai, et elle fonde avec lui une véritable alliance. Elle adopte une posture d’ouverture face aux enjeux soulevés par la communauté, et de rigueur scientifique, inhérente à sa formation. Elle a déjà à l’époque une conscience aiguë de l’impérieuse nécessité de collaborer avec les groupes communautaires pour amorcer des solutions et pour soutenir leurs actions grâce à la recherche universitaire. Ils se sont révélé des interlocuteurs essentiels, mais aussi, et surtout, des acteurs contribuant à l'atteinte d'objectifs communs relatifs à la lutte contre le VIH.
En 1993, un premier projet d'envergure est lancé : la Cohorte Oméga (1995‐2004). Cette étude longitudinale vise à estimer l’incidence du VIH et ses déterminants dans la communauté gaie. Cette collaboration repose sur l’inclusion, au sein de l’équipe, de chercheurs gais ayant des droits, des pouvoirs et des devoirs égaux à toutes les étapes de la recherche. L’étude est aussi conçue pour répondre aux questions de la communauté et pour engendrer des retombées rapides et concrètes. Un comité d’encadrement externe composé d’hommes gais, participants à Oméga ou non, est mis en place, et parachève le projet. L’analyse des données permet à de nouvelles problématiques d’émerger, comme l'impact de l'arrivée de la trithérapie en 1996 sur la prise de risque ou le recours croissant à Internet comme lieu de rencontre. Les résultats sont communiqués sans attendre et convertis en actions sur le terrain. Tous y gagnent : les participants y trouvent un espace pour exprimer leurs préoccupations, et la communauté, un reflet de ce qu’elle est à un moment clé de l’épidémie. Les collaborateurs et les partenaires scientifiques y trouvent, eux, de nouveaux leviers d’action pour contrer le fléau.
Joanne Otis devient directrice scientifique de la recherche communautaire à la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ‐SIDA) de 2001 à 2003. Ce poste de « facilitateur » de la recherche communautaire servira de modèle à plusieurs provinces à partir de 2004, dans le cadre du Programme de recherche communautaire soutenu par les Instituts de recherche en Santé du Canada (IRSC).
En 2007, le projet SPOT voit le jour. Cette recherche participative, menée par une équipe multidisciplinaire et intersectorielle, propose un accès rapide, gratuit et anonyme au test de dépistage du VIH. L’intégration au projet de travailleurs communautaires est alors une première au Québec. Ils offrent des conseils avant et après le dépistage, et ils travaillent de concert avec les infirmiers et infirmières chargé-e-s de la dimension médicale.
Le projet Mobilise!, implanté en 2015 et dont Joanne Otis est codirectrice principale, valorise et soutient l’utilisation de stratégies multiples de prévention du VIH par les hommes gais. Il s’agit de mobiliser la communauté afin de faire connaitre ces stratégies au plus grand nombre de personnes, et d’agir pour les rendre plus accessibles. Le projet vise en outre à accroître l’offre de services du réseau de la santé afin de mieux répondre aux besoins de la communauté. Des stratégies pour contrer les barrières personnelles et structurelles liées à l'accès aux services de santé sont déployées.
En parallèle, Joanne Otis trace un axe de recherche participative avec des femmes séropositives qui doivent décider de dévoiler ou non leur statut sérologique. Pouvoir Partager / Pouvoirs Partagés est un programme d’intervention conçu par, pour et avec les femmes vivant avec le VIH. La portée de ce projet a été telle que Joanne Otis a été approchée par la Dre Dembélé Bintou Keita, directrice générale d’ARCAD‐SIDA au Mali, pour faciliter l'adaptation culturelle du programme et son implantation à Bamako où il prend le nom de Gundo So. Au Québec comme au Mali, les résultats ont été probants : les femmes affectées par le VIH se sentent moins accablées et davantage soutenues par les autres femmes. Ce sentiment se traduit par une meilleure observance de leur traitement antirétroviral. Et c’est là la grande réussite de Joanne Otis que de savoir créer des espaces de parole qui permettent aux personnes vivant avec le VIH de regagner une autonomie que l'infection a pu entamer.
Toutes ces recherches ont outillé des communautés dites vulnérables, et elles ont permis à Joanne Otis de dégager un modèle conceptuel qui théorise ce qui s’était d’abord élaboré comme une pratique au fil des recherches participatives menées sur vingt‐cinq ans avec des populations diverses (hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes, jeunes de la rue, travailleuses du sexe, jeunes Autochtones des communautés cries, femmes vivant avec le VIH au Québec et au Mali…). Ce modèle original repose sur le principe de l’autonomisation réciproque : celle des partenaires et celle du chercheur. Il tient compte à la fois des impératifs de l’épidémie du VIH; de la nécessité d’adopter les approches de prévention combinée; des acquis de la science de l’élaboration de programmes, qui permettent de rendre opératoires des interventions complexes comme peuvent l’être celles de la prévention combinée; et enfin du potentiel de la recherche participative, qui permet, grâce au partenariat intersectoriel, d’autonomiser tous ses acteurs. La mobilisation des savoirs et des communautés est conçue comme une dynamique, et elle débouche sur la mise en place d’actions durables visant à contrer ce terrible fléau. Ce modèle théorique permet désormais à tous les chercheurs qui ont, comme Joanne Otis, choisi la recherche participative et le travail de terrain avec les communautés de s’engager dans une démarche plus balisée, soutenus par des concepts opératoires qui engagent une meilleure réponse aux enjeux que toute recherche est susceptible de soulever.
Toutes ces recherches ont outillé des communautés dites vulnérables, et elles ont permis à Joanne Otis de dégager un modèle conceptuel qui théorise ce qui s’était d’abord élaboré comme une pratique au fil des recherches participatives menées sur vingt‐cinq ans avec des populations diverses (hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes, jeunes de la rue, travailleuses du sexe, jeunes Autochtones des communautés cries, femmes vivant avec le VIH au Québec et au Mali…). Ce modèle original repose sur le principe de l’autonomisation réciproque : celle des partenaires et celle du chercheur.