Le prix Acfas Jeanne-Lapointe 2020, pour les sciences de l’éducation, est décerné à Françoise Armand, professeure au Département de didactique à l’Université de Montréal.
Comment promouvoir l'enseignement du français en milieu pluriethnique et plurilingue tout en favorisant, en contexte de diversité, le vivre-ensemble chez tous les élèves? C'est la question à laquelle s'est intéressée la lauréate en bâtissant un domaine de recherche original : l’enseignement et l’apprentissage du français au moyen de l’ouverture à la diversité linguistique. Le concept est simple, mais novateur : mettre l’accent sur l’apprentissage du français tout en légitimant les langues maternelles des élèves allophones, conçues comme une richesse et non comme un obstacle. Toujours soucieuse du transfert des connaissances, la lauréate a su mettre ses qualités intellectuelles au service d’une cause qui la passionne : la réussite éducative et l’intégration des jeunes personnes immigrantes à la société québécoise.
Les travaux de Françoise Armand sont solidement ancrés dans les courants de recherche en didactique des langues secondes, en lecture et en écriture, tant francophones qu’anglo-saxons. Elle s’est penchée aussi bien sur les dimensions cognitivo-langagières (sous l’influence de la psycholinguistique) que sur les dimensions sociales (et affectives) de ces apprentissages (sous l’influence de la sociolinguistique). Puis, inspirée par les travaux de chercheurs européens (Michel Candelier, Christiane Perregaux), elle a adapté au contexte québécois l’approche novatrice de l’Éveil aux langues. Cette dernière, originaire de Grande-Bretagne et développée par Hawkins, consiste à faire une place, dans le cadre de l’enseignement du français, aux différentes langues connues des élèves ainsi qu’à des langues moins familières ou totalement inconnues pour valoriser leur bagage linguistique et pour susciter une réflexion sur le fonctionnement des langues. La lauréate est la pionnière au Québec en cette matière, ce qui lui vaut une grande notoriété tant dans la communauté des chercheurs que dans les milieux de pratique.
Mme Armand est titulaire d’un doctorat en didactique obtenu à l’Université de Montréal en 1995. En pleine rédaction de thèse, qui traitait des effets des connaissances antérieures sur la compréhension de texte, elle débute sa carrière professorale à l’Université de Montréal en 1994, au Département de didactique. Elle dispense régulièrement au baccalauréat des cours portant sur l’enseignement du français aux élèves allophones. Puis, elle intervient fréquemment, au cours des dernières années, dans des programmes de 2e cycle destinés aux enseignants en exercice. Ses recherches trouvent ainsi écho dans la formation initiale et continue des enseignants.
Elle dirige, de 2002 à 2007, le Centre d’excellence Métropolis du Québec – Immigration et métropoles (CMQ-M), financé par le CRSH et Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Le mandat consiste à mettre en œuvre des travaux de recherche dans le domaine de l’immigration et de l’intégration des immigrants. Ce poste l’amène à favoriser l’émergence d’équipes multidisciplinaires (santé, urbanisme, droit, éducation) issues de plusieurs universités (Université de Montréal, INRS-UCS et McGill) qui œuvrent en collaboration étroite avec des décideurs gouvernementaux, des membres d’organismes communautaires ou du secteur privé. Cette synergie a donné lieu à plus de 150 projets et, en 2004, à la 7e grande conférence nationale Métropolis réunissant 700 participants.
Depuis 2006, Françoise Armand rayonne également à l’international par son implication dans l’association Éducation à la diversité linguistique et culturelle (EDiLiC), dédiée à l’Éveil aux langues et aux approches didactiques plurielles. Successivement secrétaire, présidente, vice-présidente et présidente d’honneur, elle a activement soutenu l’organisation de plusieurs congrès scientifiques internationaux.
Parmi les travaux de la lauréate, deux recherches-actions sont particulièrement novatrices. La première concerne les interventions destinées aux élèves immigrants nouvellement arrivés en classe d’accueil au secondaire et en situation de grand retard scolaire. Ces interventions visaient notamment le développement de la compétence orale et écrite en français au moyen d’ateliers d’expression théâtrale et de la production de textes identitaires plurilingues. La seconde visait à soutenir l’entrée dans l’écrit d’enfants allophones au préscolaire. Pour ce projet, une application présentant onze albums de littérature jeunesse en français, traduits dans 22 langues, a été conçue. Le choix des langues pour les traductions s’est fait en fonction des langues les plus parlées dans les écoles du Québec. Qui plus est, par souci de reconnaitre la diversité linguistique associée à la présence de nombreuses communautés autochtones au Québec, des traductions ont également été effectuées en atikamekw et en innu. Tous ces albums sont accompagnés d’une version audio en français et plusieurs le sont dans une dizaine de langues: arabe, bengali, créole haïtien, italien, ourdou, pendjabi, et tamoul, etc. Ces albums plurilingues sont disponibles depuis l’automne 2020 dans toutes les bibliothèques scolaires du Québec.
Françoise Armand a aussi mené trois chantiers de formation continue des enseignants portant sur ses travaux de recherche. Elle a également collaboré étroitement avec différentes commissions scolaires. À la Commission scolaire de Montréal, elle a participé à un vaste chantier visant la mise en œuvre d’une « éducation inclusive » et qui a mené à la diffusion dans l’ensemble des établissements scolaires d’une formation (vidéo) portant sur l’enseignement du français en milieu pluriethnique et plurilingue. À la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, elle a codirigé le Centre d’intervention pédagogique en contexte de diversité, qui vise à assurer le transfert bidirectionnel de connaissances entre les milieux de pratique et les chercheurs universitaires. Puis, à la Commission scolaire de Laval, elle a participé à des projets d’accompagnement de gestionnaires, de conseillers pédagogiques et d’enseignants intervenant en soutien linguistique pour les outiller à intervenir dans un contexte de diversité linguistique et culturelle.
Le ministère de l’Éducation a fait appel à ses conseils dans l’élaboration de nombreuses politiques relatives à l’intégration des élèves allophones. Ces collaborations ont eu de nombreuses retombées pour le milieu, tels ce Portrait des services d’accueil et d’intégration scolaire des élèves issus de l’immigration (2012), la mise à disposition gratuite de matériel pédagogique et la formation du personnel scolaire à la prise en compte de la diversité linguistique.
Son plus puissant outil de rayonnement, national et international, est certes le site Web ELODiL (Éveil au Langage et Ouverture à la Diversité Linguistique), qu’elle a conçu et qu’elle ne cesse d’alimenter. Il présente des vidéos et ouvrages pédagogiques dérivés de ses recherches, un webdocumentaire racontant son projet de recherche-action dans les classes d’accueil du secondaire, ainsi que différents écrits scientifiques soutenant ses travaux. Ce site, financé par le groupe de recherche « Immigration, équité et scolarisation » et le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec, a été bâti avec la collaboration de ses étudiants aux cycles supérieurs, d’enseignants et de conseillères pédagogiques ainsi que de collègues chercheurs universitaires. Il constitue en quelque sorte le legs de la lauréate à toute une communauté de chercheurs et de praticiens, après plus de 25 ans de travaux fructueux.