Le prix Acfas Adrien-Pouliot 2019, pour la coopération scientifique avec la France, est remis à Yves Bergeron, professeur à l’Institut de recherche sur les forêts de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et au Département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal.
L’extraordinaire fil rouge qui traverse de bout en bout la carrière du lauréat, ce parti-pris pour une approche résolument interinstitutionnelle, incarne depuis ses débuts l’essence même de la coopération scientifique : une communion des forces vives autour d’objectifs communs. La coopération franco-québécoise qu’il a installé des deux côtés de l’Atlantique l’incarne magnifiquement. Elle débouchera ultimement sur un organisme de recherche planétaire, une espèce d’ONU des pays circumboréaux, tous tournés vers un même but : la compréhension écologique de leurs forêts froides respectives.
Spécialiste en écologie forestière, Yves Bergeron travaille au sein de deux universités – l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) – et ce, respectivement depuis 1985 et 1994. Il codirige en outre, à l’UQAT, l’Institut de recherche sur les forêts, où il s’intéresse principalement aux perturbations naturelles en forêt boréale, notamment aux feux de forêt – véritable menace en ces temps de réchauffement climatique – et à leur rôle dans la dynamique des écosystèmes forestiers. L’originalité de ses travaux réside dans une conciliation assez rare des deux aspects de ce sujet, souvent polarisés dans les débats publics : la recherche fondamentale en écologie, qu’il double d’une recherche appliquée en sciences forestières. Ce choix l’amène à tenir compte de certains aspects socio-économiques souvent négligés, ou traités de façon secondaire, par les sciences naturelles.
La situation climatique étant ce qu’elle est, c’est-à-dire mondiale, il n’en fallait pas beaucoup pour que le rayonnement des travaux de l’écologue québécois dépasse – et de façon majeure, on le verra – les limites de notre territoire. Entamées vers la fin des années 1990, les collaborations entre Yves Bergeron et ses collègues français, impliquant du côté québécois l’UQAT et l’UQAM, et du côté français l’Université de Montpellier, l’EPHE et l'Université Paul-Sabatier, se sont véritablement accélérées et renforcées vers 2008.
C’est véritablement en 2012 qu’elles se sont concrétisées par la création du Laboratoire international associé (France-Canada) sur les forêts montagnardes et boréales (LIA MONTABOR). Le LIA est un « laboratoire sans murs » qui associe un laboratoire du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et un laboratoire d’un autre pays autour d’un projet défini conjointement. Les travaux du LIA MONTABOR ont essentiellement porté sur l’écologie forestière des forêts froides à dominance coniférienne, autrement dit les forêts boréales canadiennes et les forêts montagnardes françaises; étant entendu que sur cette planète, le froid est avant tout une affaire de latitude et d’altitude.
À partir de là, la coopération « s’emballe ». Le LIA MONTABOR, à la suite de l’inclusion de la Suède et de la Russie, devient en 2015 le Groupe de recherche international sur les forêts froides (GDRI-Forêts froides). En 2017, comme s’il avait voulu boucler la boucle d’un « tour du monde » fondé sur ces bases écosystémiques que sont les forêts froides, le lauréat crée ce que l’on identifie maintenant comme le Laboratoire international sur les forêts froides, organisme supranational qui a finalement inclus l'Islande, la Norvège, la Finlande et la Chine afin de former un mégagroupe de recherche dont les composantes couvrent désormais la zone circumboréale terrestre en son entier. Ainsi engagé-e-s, emmaillé-e-s et rendu-e-s complémentaires, les chercheuses et les chercheurs de tous ces horizons peuvent maintenant élever le niveau et l’envergure de leurs questions de recherche. Leur but? Caractériser la dynamique du carbone terrestre, ou encore, retracer sur plusieurs millénaires la dynamique des incendies et des végétations en réponse aux changements du climat.
Détail intéressant : la participation de ce professeur-chercheur au développement de connaissances sur la forêt se sera aussi traduite par l’intégration de ses résultats à différentes modalités législatives en matière de gestion durable des écosystèmes forestiers. Son groupe a largement collaboré à l’intégration de l’aménagement écosystémique dans le nouveau régime forestier du Québec, et M. Bergeron a agi à titre de coprésident du Comité sur la limite nordique des forêts attribuables (2006-2015). Pour s’assurer que cette opération serait menée directement sur le terrain, il a mis en place une chaire industrielle et une forêt d’enseignement et de recherche de 80 km2 dans laquelle l’UQAT et l’UQAM expérimentent l’aménagement forestier durable.
Sa contribution à l’avancement des sciences a été soulignée au fil des ans. Il a reçu entre autres, en 1999, le prix Acfas Michel-Jurdant pour ses travaux en sciences de l’environnement; en 2007, le prix Marie-Victorin, soit le Prix du Québec en sciences naturelles et en génie; enfin, en 2014, la médaille de bronze Miroslaw Romanowski de la Société royale canadienne, reconnaissant ses contributions en environnement et son leadership aux niveaux national et international.
L’un de ses ouvrages, publié en 2008 aux Presses de l’Université du Québec, Aménagement forestier écosystémique en forêt boréale, porte un sous-titre fort inspirant qui résume à merveille son engagement de scientifique – en enseignement, conseil et recherche – depuis 30 ans : Pour une foresterie qui s’éduque de la dynamique naturelle de la forêt.