Le prix Acfas Ressources naturelles 2019 a été remis à Mathilde Jutras, doctorante à l'Université McGill.
Au cours des dernières décennies, on a observé une diminution dramatique du contenu en oxygène des océans et des environnements côtiers. L’estuaire et le golfe du Saint-Laurent ne font pas exception avec une réduction de moitié dans leurs eaux profondes. Il en résulte un stress important sur la vie marine, car les espèces dépendent de l’oxygène pour respirer. Certaines, nombreuses, ne peuvent tout simplement pas survivre dans de telles eaux. C’est un enjeu critique dans cette région où la pêche se trouve ainsi gravement menacée. Les travaux de la lauréate contribueront à une meilleure compréhension des processus causant la désoxygénation, puis à la conception de stratégies d’adaptation.
L’estuaire est un environnement côtier, alimenté d’abord par le fleuve, puis par des rivières et par l’eau de l’Atlantique Nord. L’augmentation de la population humaine autour du Saint-Laurent accroît l’apport de nutriments en provenance des eaux usées et de l’agriculture. D’où un foisonnement d’algues et de micro-organismes en surface, qui, à la fin de leur vie, se déposent dans les fonds marins, où ils sont décomposés par des bactéries aérobiques. L’eutrophisation a alors lieu : les bactéries consomment l’oxygène disponible dans les eaux profondes. Ces eaux sont alimentées par le courant du Labrador (riche en oxygène) et le courant du Gulf Stream (pauvre en oxygène). Avec les changements climatiques, on s’attend à un déplacement de ce dernier vers le Nord, ce qui réduira d’autant le contenu en oxygène des eaux entrant dans le golfe. Ce dernier processus externe expliquerait environ les deux tiers de la désoxygénation observée dans l’estuaire du Saint-Laurent.
Par ailleurs, avec le déplacement du Gulf Stream, on s’attend à voir plus de tourbillons se détacher de ce courant et rejoindre le Saint-Laurent. La chercheuse étudiera cet effet et suivra les tourbillons lors de leur transit du golfe à la tête de l’estuaire à Tadoussac. Pour ce faire, elle utilisera des séries de données recueillies par le groupe d’Alfonso Mucci de l’Université McGill, de même que la base de données publique BioChem de Pêches et Océans Canada, qui cumule 40 ans d’information. Son analyse permettra de déterminer avec précision le temps de transit. À partir des données de concentration d’oxygène au début et à la fin de ce passage, il sera possible d’établir un taux précis de consommation d’oxygène.
La lauréate utilisera aussi des modèles de circulation globaux pour étudier les processus climatiques et océaniques qui actionnent ces changements. Pour ce faire, elle corrélera les concentrations d’oxygène dans l’Atlantique avec divers patrons climatiques connus. De telles prédictions sont essentielles pour estimer les conséquences sur l’écosystème et sur les ressources halieutiques. De plus, de par sa connexion avec l’Atlantique Nord, le Saint-Laurent est un détecteur (« le canari dans la mine ») des changements de circulation et de propriétés de l’eau dans l’océan Atlantique. L’opportunité pour les chercheurs québécois d’avoir accès à ce laboratoire unique se doit d’être saisie.
Puisque les travaux de Mathilde Jutras combinent le taux de consommation dans l’estuaire et les changements de propriétés de l’eau entrant dans le golfe, il sera possible d’évaluer l’effet sur l’état final d’oxygénation dans l’estuaire, et donc de prédire l’impact des changements climatiques sur le taux d’oxygène dans le Saint-Laurent.