Le prix Acfas Michel-Jurdant 2018, pour les sciences de l’environnement, est remis cette année à Alfonso Mucci, professeur au département des sciences de la terre et des planètes de l’Université McGill
L’estuaire du Saint-Laurent est un espace mythique dans l’imaginaire québécois. C’est aussi, malheureusement, un plan d’eau aux prises avec de sérieux problèmes de santé. L’acidification et la baisse des niveaux d’oxygène dans ses eaux profondes sont deux phénomènes interreliés causés par le réchauffement climatique. Ces problématiques sont désormais bien documentées grâce aux travaux du lauréat. On lui reconnaît par ailleurs une rare capacité à appuyer ses recherches tant sur de fines analyses en laboratoire que sur des observations de terrain demandant ténacité et patience.
La réputation d’Alfonso Mucci s’installe, au début des années 1980, alors qu’il établit des constantes permettant d’évaluer l’acidification des océans. Identifiées à l’aide de calculs des plus fiables, ces constantes sont basées sur la solubilité de la calcite et de l’aragonite dans l’eau de mer; deux minéraux composés de carbonate de calcium (CaCO3) et constituant le squelette externe de nombreux organismes marins. À ce jour, ces constantes ont servi et servent universellement de critères de base pour décrire l’acidification progressive des océans. Ce processus, provoqué par les grandes quantités de CO2 atmosphérique que doivent désormais absorber les océans, met en danger une bonne partie, on l’aura deviné, de la flore et de la faune marine.
Dans la première décennie du présent siècle, le chercheur a caractérisé les problèmes d’acidification des eaux profondes de l’estuaire du Saint-Laurent. Par la suite, il poursuivra des recherches équivalentes dans l’Arctique. Dans la même période, ses travaux ont pour la première fois documenté la présence dans l’estuaire maritime du Saint-Laurent d’une zone d’eaux profondes hypoxique, soit contenant très peu d’oxygène. Ces zones, autrefois pleines de vie, sont désormais peu propices à la présence de plusieurs espèces, dont la morue. Cela entraine une redistribution, voire une disparition, des poissons, crustacés et autres animaux marins peuplant le Fleuve.
Dans des recherches ultérieures, Alfonso Mucci a démontré que la baisse de l’oxygène entraine aussi une acidification de l’eau, un phénomène qui risque de frapper massivement les eaux de surface des océans d’ici la fin du siècle. À propos de l’état de santé de l’estuaire, Alfonso Mucci a d’ailleurs exprimé de vives inquiétudes : « Il y a une catastrophe en cours, mais on ne la voie pas, on n’en parle pas. »
Une autre contribution majeure d’Alfonso Mucci concerne ses travaux sur l’impact du déluge du Saguenay, survenu en 1996. Pendant près de 30 ans, une usine d’Arvida a déversé plus de 300 tonnes métriques de mercure dans cette grande rivière. En 1971, une grave contamination des crevettes, de morues et de crabes a mené à la fermeture de la pêche commerciale dans le fjord, puis de l’usine en 1976. Puis arrive le déluge en 1996, enfouissant les sédiments et leur mercure sous une épaisse couche du matériel remobilisé par le déluge. Alfonso Mucci et son équipe avaient pris des échantillonnages trois ans avant l’événement et ils ont pu comparer avec ceux récoltés six années consécutives après. Ces données cumulées de 1993 à 2002, ont ainsi permis au chercheur de démontrer que le mercure est maintenant piégé sous une épaisse couche de sédiments entrainés par les rivières Saguenay, Ha! Ha! et à Mars, et qu’il s’est associé aux sulfures de fer qui ont précipité près de l’interface originale du sédiment. Il s’agit là d’une première étude géochimique détaillée et in situ sur le devenir du mercure présent dans les sédiments marins, un contaminant industriel majeur. Ce sont de précieux résultats qui font voir comment on peut séquestrer le mercure de manière permanente.
Alfonso Mucci participe aussi à de nombreux programmes de recherches nationaux et internationaux, notamment le programme Joint Global Ocean Flux Study (JGOFS) pour lequel il a été président du comité exécutif canadien pendant trois ans. De plus, avec ses étudiants, il participe aux activités en mer d’ArticNet depuis 15 ans. À partir du brise-glace Amundsen, ils ont étudié l’impact de la fonte des glaces sur les flux de dioxyde de carbone à l’interface air-mer. Ils ont aussi utilisé des traceurs géochimiques et isotopiques, entre autres, pour suivre et caractériser le mouvement des différentes masses d’eau et les mécanismes d’acidification des eaux arctiques canadiennes.
Alfonso Mucci s’est démarqué, tout au long de sa carrière, par une capacité à aborder la recherche avec amplitude. Cela lui a permis de développer une pratique diversifiée et de s’imposer comme l’un des plus grands spécialistes de son secteur.