Le prix Acfas André-Laurendeau 2017, pour des travaux en sciences humaines, est remis cette année à Isabelle Daunais, professeure au Département de langue et littérature françaises de l’Université McGill.
Entrevue vidéo avec la lauréate au 73e Gala de l'ACFAS.
« Véritable révolution dans la façon d’étudier et de lire le roman », voilà résumé l'apport central de la lauréate, non seulement à sa discipline, mais aussi à notre conception et à notre usage de la littérature. Critique et historienne très respectée de ce domaine, au Québec et au Canada comme à l’étranger, elle renouvelle radicalement les manières d’aborder le roman, le faisant passer d’un simple « genre parmi d’autres » à un art à part entière. Elle y explore l’histoire, la pensée ainsi que la portée esthétique et épistémologique. Ce faisant, elle propose de nouvelles façons de concevoir et d’étudier la littérature; celle-ci, pour la lauréate, ne se réduit pas à une série de « machines textuelles », mais porte en elle une vision singulière de l’existence humaine.
Depuis sa thèse de doctorat consacrée à Gustave Flaubert, les travaux d’Isabelle Daunais se concentrent sur la littérature française du 19e siècle et sur le roman moderne, abordé comme une forme de pensée et d'exploration du monde. Elle a également publié des études sur le personnage romanesque et les liens entre la littérature et la peinture.
La lauréate est un modèle de constance et de cohérence dans le milieu de la recherche en littérature, à la fois par la continuité, mais aussi par la progression qui caractérise depuis bientôt vingt-cinq ans ses réflexions et ses analyses. De publication en publication, Isabelle Daunais ne cesse d’affirmer sa pensée et de déployer de nouvelles propositions. Elle est également un modèle de communication et de style, fuyant toute forme de jargon au profit d'une expression toujours claire et rigoureuse.
À partir des années 2000, son travail prend un tournant lors de la publication de ses grands essais sur le roman : Frontière du roman, Les Grandes disparitions et Le Roman sans aventure. Ces essais témoignent du savoir spécifique que le roman apporte à la compréhension de la société, des relations humaines et des affects. Isabelle Daunais s’affirme dès lors comme une théoricienne majeure de la littérature et une figure importante du renouvellement de la pensée dans le domaine des sciences humaines.
La lauréate sait surprendre. Chaque ouvrage est pour elle l’occasion de présenter de nouvelles idées, de manière si convaincante qu’elles sont par la suite reconnues et reprises par ses pairs. Les Grandes Disparitions. Essai sur la mémoire du roman formule une hypothèse inédite sur les rapports entre le roman et la modernité. Isabelle Daunais y démontre que le roman est l'un des grands modes de pensée par lesquels nous prenons conscience de la disparition des valeurs et des formes d'existence que nous pensions valides jusque-là. Ainsi, qui est Don Quichotte sinon celui par qui s'exprime la fin du modèle et de l'imaginaire chevaleresques? Toutefois, en dépit de leur disparition, les valeurs passées ne s’effacent pas entièrement de la mémoire collective. Et c’est cette « mémoire de l’ancien » qui donne au genre romanesque sa vitalité et sa capacité de se renouveler.
Isabelle Daunais positionne le roman dans l’histoire moderne et contemporaine comme moyen de connaissance incomparable sur le monde, la société et la pensée. Et elle le démontre avec une intelligence toujours parfaitement respectueuse et éclairante des œuvres.
Suscitant continuellement la réflexion, la lauréate apporte, dans son dernier ouvrage, un éclairage nouveau sur le roman québécois. Dans Le Roman sans aventure, qui a obtenu le Prix Victor-Barbeau de l’Académie des lettres du Québec, Isabelle Daunais se penche sur le roman canadien-français et québécois. Elle y fait cette observation : si, habituellement, le roman raconte la transformation d’un personnage, causée par des changements de l’univers social et existentiel qui est le leur, les romans québécois ne présentent pas de personnages qui évoluent face aux les bouleversements du monde, ils sont dénués d’aventure. Pourquoi une telle différence avec les romans européens par exemple? Pour la professeure Daunais, cette différence s’expliquerait par le fait que le Québec a toujours vécu à l’abri ou en retrait des « transformations imprévues ou des bouleversements dramatiques » qui ont forgé l'Histoire partout ailleurs. Une telle interprétation renouvelle la compréhension non seulement de la littérature mais aussi de la société québécoise.
Son influence n’opère pas seulement par ses écrits. Isabelle Daunais dirige depuis quelques années une chaire de recherche du Canada sur l'esthétique et l'art du roman; chaire qui contribue à former de nombreux étudiants à la maîtrise et au doctorat et qui enrichit, par ses travaux, la réflexion de nombreux chercheurs. Elle a également mis sur pied une équipe de recherche subventionnée, l'équipe TSAR (Travaux sur les arts du roman), qui a pour but d’étudier le roman moderne du point de vue des écrivains et de leurs efforts pour constituer ce genre en un champ autonome de réflexion. Véritable laboratoire intellectuel, il fédère de nombreux étudiants et chercheurs qui peuvent ainsi profiter de ses conseils et de son dynamisme.