Ginette Michaud
Le prix Acfas Adrien-Pouliot 2017, pour la coopération scientifique avec la France, est remis à Ginette Michaud, professeure titulaire au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal.
Entrevue vidéo avec la lauréate au 73e Gala de l'ACFAS.
Dès son doctorat consacré à l’œuvre de Roland Barthes, la lauréate, spécialiste des littératures française et québécoise, a souhaité établir une collaboration fructueuse entre le Québec et la France en affirmant son lien, également fort, à ces deux littératures. Depuis vingt ans, ses efforts soutenus n’ont cessé de s’intensifier, se concrétisant en de très nombreuses retombées internationales tout particulièrement quant à ses recherches portant sur les œuvres de Jacques Derrida, Hélène Cixous, Jean-Luc Nancy et Sarah Kofman.
Parmi les nombreuses publications qui ont résulté des collaborations de Ginette Michaud avec la France, la codirection de l’imposant Cahier de L’Herne consacré à Derrida (2004) est à souligner. Ce travail témoigne d’un engagement de fond à l’égard du penseur comme de l’écrivain, de même qu’à l’endroit d’une « communauté de lecture » internationale convoquée par cette œuvre philosophique. De fait, cet ouvrage rassemble des études d’une soixantaine de chercheurs français et québécois, mais aussi européens et américains. Dix ans plus tard, elle a de nouveau codirigé un vaste ouvrage collectif, Appels de Jacques Derrida (2014), soulignant l’impact et l’actualité de la pensée du philosophe.
Il faut aussi mentionner ses nombreux ouvrages sur l’œuvre de Derrida : Tenir au secret (2006), Veilleuses (2009), Battements – du secret littéraire (2010) et Comme en rêve... (2010), Jacques Derrida. L’art du contretemps (2014). Son essai Juste le poème, peut-être (Derrida, Celan), qui s’est mérité le prix de l’essai Eva-Le-Grand en 2009 et qui vient d’être réédité en France, est un texte majeur qui illustre la rigueur et la précision analytique de sa pensée.
L’ensemble de ces publications constitue un accompagnement essentiel du travail d’envergure qu’elle a accepté de mettre en œuvre avec d’autres chercheurs, soit l’édition des Séminaires de Jacques Derrida. Depuis 2005, Ginette Michaud fait partie du comité international responsable de l’édition des cours et séminaires du philosophe. Elle a coédité les deux volumes du Séminaire La bête et le souverain (2001-2002 et 2002-2003) qui ont été traduits en plusieurs langues, et elle prépare actuellement l’édition du séminaire « Le parjure et le pardon » donné par le philosophe à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de 1997 à 1999. Poursuivant la tâche capitale d’édition des textes inédits ou devenus inaccessibles du philosophe français, Ginette Michaud vient de coéditer en parallèle une collection de textes de Derrida sur les arts, Penser à ne pas voir (2013), et ses écrits sur l’architecture, Les arts de l’espace (2015).
L’originalité de la démarche intellectuelle de Ginette Michaud réside dans l’interdisciplinarité qu’elle pratique en alliant la littérature, la philosophie et la psychanalyse ; dans son aptitude à exprimer sa pensée avec clarté et rigueur, ainsi qu’à se mettre à l’écoute des autres spécialistes et à ouvrir le dialogue avec eux.
Ginette Michaud a grandement contribué au rayonnement au Québec et en Amérique du Nord des œuvres d’autres figures majeures de la pensée française contemporaine, telles celles d’Hélène Cixous, de Maurice Blanchot, de Jean-Luc Nancy et de l’historien de l’art Georges Didi-Huberman.
Elle a aussi su créer des ponts entre les littératures française et québécoise, en consacrant des essais littéraires à nombre d’écrivains québécois qu’elle a fait connaître en France : Jacques Poulin, Gabrielle Roy, Georges-André Vachon, Pierre Nepveu, Pierre L’Hérault, Jacques Brault, et notamment Jacques Ferron auquel elle s’est particulièrement intéressée. Après la mort de l’écrivain, Ginette Michaud a dirigé un vaste chantier de recherche à partir de ses archives d’où sont issus les treize volumes de la collection des « Cahiers Jacques-Ferron », qu’elle a dirigée pendant dix ans chez Lanctôt éditeur. Sa relecture, qui a inspiré plusieurs collègues, a renouvelé la perception de cette œuvre, l’arrachant aux interprétations étroitement nationalistes et l’éclairant dans toute sa complexité. Elle a, par le fait même, contribué au rayonnement de l’œuvre de l’écrivain-médecin et à celui d’une partie méconnue de la littérature québécoise en Europe. Le philosophe Georges Leroux estime que « la pensée moderne en français lui doit immensément ».
Ginette Michaud aurait pu se contenter de publier ses essais et ses éditions critiques : elle a plutôt choisi de collaborer à nombre de travaux collectifs, tant en littérature québécoise qu’en littérature française, dans des revues savantes comme Europe, Lignes et Études françaises, dont elle a été directrice de 1991 à 1994, de même que dans des magazines culturels (Spirale).
Enfin, le rayonnement de la lauréate en France se concrétise, entre autres, par sa participation à d’importantes manifestations internationales au Théâtre de l’Odéon, en 2010, ou à la Bibliothèque nationale de France en 2011 et en 2012. Il faut aussi rappeler sa nomination comme professeure invitée à l’Institut d’études féminines de l’Université Paris VIII en 2005. Toutefois, la réputation de Ginette Michaud ne se limite pas au Québec et à la France. Traduit en plusieurs langues (anglais, italien, espagnol, portugais, bulgare, japonais), son travail est reconnu comme celui d’une professeure et intellectuelle de réputation internationale. De plus, elle contribue à la formation de toute une génération d’étudiants, éveillés à l’intérêt de la pensée française et désireux de s’y consacrer à leur tour. En font foi le nombre et la qualité des jeunes chercheurs, souvent boursiers, qu’elle a dirigés aussi bien à la maîtrise qu’au doctorat.