Alexandre Bigot
Sacrés aimants… ils n’ont pas fini de nous étonner!
La faculté de créer, de manipuler et de déformer les champs magnétiques est à l’origine du développement d’un outil majeur d’imagerie médicale : le scanneur d’imagerie par résonance magnétique ou IRM. Trois lettres qui désignent un outil qui a révolutionné certaines pratiques médicales, chamboulé les techniques de diagnostic et définitivement transformé les protocoles cliniques. Et ce n’est pas terminé…
L’utilisation de l’IRM n’a cessé de croître depuis les prototypes réalisés dans les années 1970. De nouveaux protocoles et de nouveaux usages sont sans cesse présentés, créés, développés par la communauté scientifique et utilisés par des équipes médicales partout dans le monde. Aujourd’hui, le scanneur d’IRM est intensivement utilisé comme outil de diagnostic, mais aussi à des fins de découverte et de compréhension de phénomènes biologiques, neurologiques, physiques…
Mais ce n’est pas tout! Nous sommes en 2006, tous les IRM sont utilisés pour de l’imagerie… Tous? Non! Car un laboratoire montréalais, peuplé d’irréductibles scientifiques, exploite l’IRM pour livrer des médicaments vers des zones reculées, difficiles d’accès… dans le corps humain!
Non, ce n’est plus de la science-fiction
En 2006, le Professeur Sylvain Martel et son équipe réalisent la prouesse technologique de contrôler une bille métallique dans une artère de cochon vivant. Plusieurs allers-retours. De façon contrôlée. Par IRM. C’est un peu le rêve de toute personne qui a vu le film Le voyage fantastique, où un sous-marin miniature est injecté dans un patient pour aller détruire un caillot logé dans son cerveau. Science-fiction en 1966. Réalité en 2006. Bienvenue dans le futur.
L’application principale de cette technologie, intitulée Navigation par Résonance Magnétique (NRM), est la livraison ciblée de médicaments vers des tumeurs difficiles d’accès. En effet, certains types de chimiothérapies seraient plus efficaces si elles pouvaient être plus ciblées.
Pour les patients touchés par le cancer, les traitements sont lourds et les effets secondaires nombreux. Ils sont en général provoqués par le fait que les médicaments s’attaquent aussi aux cellules saines de l’organisme. La recherche menée au Laboratoire de nanorobotique consiste donc à guider ces médicaments, grâce à l’IRM, uniquement vers les régions malades. Cela augmenterait l’efficacité de ces traitements tout en réduisant les effets secondaires associés à la chimiothérapie.
Les avantages d’utiliser l’IRM comme plateforme de guidage sont multiples : pas d’effet néfaste sur l’organisme, appareil présent dans la majorité des hôpitaux, possibilité de suivre la procédure en temps réel et de quantifier la dose de médicaments livrée. Bref, une idée extrêmement prometteuse ayant déjà fait ses preuves chez l’animal. Mais pourquoi cette technologie n’est-elle pas encore utilisée en clinique? Tout n’est malheureusement pas aussi simple…
Un labyrinthe à l’échelle humaine
Bien qu’il soit très complexe de comprendre comment les images d’IRM sont obtenues, il est possible d’expliquer très simplement le principe global de la NRM. Oublions donc un instant le scanneur d’IRM et retournons à nos aimants. L’aimant a la faculté de repousser ou d’attirer des objets qui présentent certaines propriétés magnétiques. Le bois ne sera nullement influencé par son champ magnétique, alors qu’une vis en fer ira très rapidement s’y coller. C’est cette faculté de manipuler certains corps qui nous permet de déplacer des objets avec l’IRM.
Pour comprendre quelles sont les difficultés auxquelles nous devons faire face, imaginez un labyrinthe en 3 dimensions, entouré d’une boîte en verre. Vous avez un aimant à votre disposition pour faire avancer une bille métallique d’un point A à un point B. Plutôt facile, non ?! Ha, au fait, petite précision : la boîte est opaque. Et aussi, vous n’avez pas qu’une seule bille, mais des milliers de billes à déplacer! Et bien sûr pour terminer, votre labyrinthe est à peu près de la taille d’un corps humain. Bienvenue dans mon quotidien et dans celui de mes collègues chercheurs du Laboratoire de nanorobotique!
Pousser la technologie encore plus loin
Depuis cette première preuve de concept en 2006, que de chemin parcouru! En 2008, des médicaments anticancer ont été enfermés dans des missiles microscopiques poreux, hautement magnétiques qui ont la faculté de diffuser leur contenu. En 2010, des milliers de ces micromissiles, dont la taille — environ 50 micromètres — est inférieure au diamètre d’un cheveu, ont été envoyés sélectivement vers l’artère gauche du foie d’un lapin, tout en préservant la partie droite de l’organe.
La suite du programme? Parvenir à amener ces missiles thérapeutiques au cœur de la zone atteinte en les guidant très précisément le long de plusieurs vaisseaux sanguins consécutifs. Très récemment, la barrière du guidage sur trois vaisseaux consécutifs a été franchie dans un modèle in vitro, première étape avant des tests plus réalistes chez l’animal.
Cependant, de nombreux défis physiologiques et technologiques restent à résoudre. Un des problèmes majeurs est le manque de temps disponible pour guider nos particules. En effet, le sang peut atteindre une vitesse de plusieurs dizaines de centimètres par seconde dans certains vaisseaux. Il est donc impératif d’être très rapide et précis — c’est-à-dire placer l’aimant au bon endroit, au bon moment — sous peine de rater le virage et d’aller à Tadoussac au lieu d’aller à Sherbrooke avec votre camion supersonique! Mais pas d’inquiétudes, notre équipe n’est jamais à court d’idées…
La navigation par résonance magnétique est ainsi une façon unique et innovante d’exploiter le scanneur d’IRM. Au départ utilisé comme un outil d’imagerie et de diagnostic, l’IRM pourrait bien devenir dans quelques années un appareil utilisé pour des traitements contre le cancer. Ce projet d’envergure, qui réunit des ingénieurs, des médecins et des vétérinaires autour d’une même table, présente des défis passionnants qui ont fait, font et feront travailler de nombreuses générations de cerveaux d’étudiants et de chercheurs. Bref, nous n’avons pas fini de nous casser la tête et c’est tant mieux!