Pierre Legendre
À première vue, pas facile de deviner que ce lauréat a obtenu son doctorat en 1971, à l’âge de 24 ans. Sachant cela, on conçoit alors qu’en l’espace de quatre décennies, il ait eu le temps et l’occasion de tisser nombre de liens avec des laboratoires en dehors du Québec. Mais la fréquence, la direction et la qualité de ceux-ci ne relèvent pas de la coïncidence. Le lauréat a tracé sa carrière, et la discipline scientifique qui en est issue, sur le canevas de la coopération avec la France, métropolitaine et d’outre-mer. Cette carrière, zigzaguant entre deux continents, est tout particulièrement marquée par la paternité de l’écologie numérique, rien de moins. Dans ce domaine, le chercheur développe des outils quantitatifs, tels que les bibliothèques de langage ou les méthodes statistiques, servant à l’analyse des grands tableaux de données récoltées par les chercheurs en écologie.
L’écologie numérique, cette sous-discipline de l’écologie, est née binationale, émergence d’une réunion tenue en 1975 à la Station marine de Villefranche-sur-Mer (Université Pierre et Marie Curie, Paris VI), en présence de chercheurs français, du lauréat et de Louis Legendre, alors professeur à l’Université Laval et frère du lauréat. Les deux Legendre rédigent alors le livre Écologie numérique, qui paraîtra en 1979 en France (Masson, Paris) et au Québec (Presses de l’Université du Québec, Montréal). Bible de tous les étudiants et chercheurs de la discipline, l’ouvrage est réédité en français en 1984, puis en anglais en 1983, 1998 et 2012. Pour sa part, leur Lexique anglais-français d’écologie numérique et de statistique, paru en 1999, inspire la défense d’une francophonie réaliste et généreuse, consciente de l’autre langue mondiale et permettant la transmission de la science au plus grand nombre.
Entre 1975 et 2012, le lauréat dispense vingt modules d’enseignements en langue française, dans dix-sept institutions de France; il contribue à vingt-quatre conférences scientifiques et présente trente-trois séminaires de recherche dans des institutions françaises. En 1986, il organise une École d’été de l’OTAN en écologie numérique à la Station marine de Roscoff en Bretagne. Membre du jury de thèse en France à dix reprises entre 1987 et 2014, le lauréat a codirigé cinq thésards avec d’autres directeurs français. Enfin, il accueille dans son laboratoire à l’Université de Montréal une quinzaine de chercheurs français ainsi que six post-doctorants entre 1984 et 2013.
Qui dit numérique et statistique suppose ordinateur, laboratoire et travail sédentaire. Ainsi, le lauréat rayonne par l’ampleur de ses publications : 10 ouvrages, 13 chapitres, 275 articles et plus de 13 000 citations par les pairs de son ouvrage premier, en plus des milliers de citations de ses articles, ont fait inscrire Pierre Legendre dans la liste Thomson Reuters des scientifiques les plus cités au monde en 2014. Si le chercheur brille autant dans l’écriture de méthodes statistiques, c’est qu’il est aussi un écologiste de terrain, rompu à l’observation des écosystèmes et au recueil de données. Et quand le lauréat prend la mer, il le fait sous pavillon français.
En 1997, Pierre Legendre participe à une campagne de suivi écologique sur l'atoll de Fangataufa, en Polynésie française, où ont eu lieu les essais nucléaires atmosphériques français dans années 1960. Seul non-Français à bord du Révi, le remorqueur-ravitailleur militaire qui transporte et sert de base à l’expédition, il jouit du statut temporaire d’officier de la marine française, comme c’est le cas des autres scientifiques universitaires qui font partie de l’expédition.
En 2006, il participe à la campagne MOMARETO pour contribuer à l'acquisition de connaissances sur les sources hydrothermales profondes de la dorsale médio-atlantique, campagne organisée et dirigée par une équipe de chercheurs du centre IFREMER de Brest. Seul chercheur non européen à bord du navire de recherche Le Pourquoi Pas?, le Québécois est vite adopté. En 2008, il revient à Roscoff en tant que directeur de recherche associé à l’équipe Génétique de l’adaptation en milieux extrêmes (GAME), et forme 33 personnes aux nouvelles méthodes en écologie spatiale et à l’analyse des données avec le langage de programmation statistique R.
En 2000, 2001 et 2007, Pierre Legendre collabore avec des chercheurs de l’Université des Antilles et de la Guyane pour entreprendre un diagnostic écologique des écosystèmes et des ressources côtières à Haïti. Des amitiés se forgent, la collaboration se poursuit avec les chercheurs de Guadeloupe. Le lauréat appuie la mise en place du premier diplôme d’études approfondies à la Faculté des Sciences exactes et naturelles à l’Université des Antilles et de la Guyane. Il enseigne au Master d’Écologie tropicale de 2000 à 2005 et aide ses hôtes à élaborer les contrats quadriennaux au Laboratoire de biologie marine de 2006 à 2009.
En 1986, Pierre et Louis Legendre reçoivent ensemble le Prix Michel-Jurdant de l’Acfas. En 1992, Pierre Legendre est élu à l’Académie des sciences de la Société royale du Canada. En 2005, il reçoit le grand prix de la recherche en sciences pures et appliquées du Gouvernement du Québec, le Prix Marie-Victorin. Il est nommé Officier de l’Ordre national du Québec en 2007 et reçoit le Prix du président de la Société canadienne d’écologie et d’évolution en 2013. Il serait faux d’affirmer que ces récompenses couronnent sa longue carrière, car le lauréat n’entend pas raccrocher son tablier de sitôt. Toujours fidèle au poste de Professeur au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal, il reste prêt à partir, en voyage et pour de nouvelles collaborations, représentant le Québec dans cette grande aventure qu’est la francophonie.
- Le prix Acfas Adrien-Pouliot 2015 est parrainé par le Consulat général de France à Québec et le ministère des Relations internationales et de la Francophonie