Le prix Acfas Thérèse Gouin-Décarie 2015, pour les sciences sociales, est remis à Suzanne Lajoie, professeure au département d'éducation et de psychologie de l'Université McGill.
Contribuer au progrès social en améliorant la manière dont nous apprenons, raisonnons et résolvons des problèmes à l’ère des tablettes, téléphones intelligents et autres dispositifs connectés. Cette approche audacieuse propose de s’adresser à l’origine la plus intime de tous nos faits et actes, la pensée humaine. Processus cognitifs, émotionnels et physiologiques, les travaux de la lauréate décortiquent ce qui se passe chez l’apprenant quand celui-ci manie des outils numériques. Elle vise à mettre la machine au service de l’humain par le développement d'environnements d'apprentissage riches en technologies (TRE). Ses travaux permettent d’améliorer l’expérience de l'apprenant dans des domaines aussi variés que les mathématiques et l’histoire, dans un contexte scolaire, ou encore le diagnostic médical et l’aviation, dans un cadre professionnel.
En 1993, son ouvrage sur les ordinateurs en tant qu’outils cognitifs créé une petite révolution. Avec Computers as Cognitive Tools, Susanne Lajoie est une des premières chercheuses à concevoir l’ordinateur dans ses dimensions cognitives, voire métacognitives (le recul sur ses propres pensées). Le deuxième volume de cet ouvrage, paru en 2000, hisse la lauréate au rang de chercheuses la plus citée de son domaine.
Ses travaux, à l’image de leur sujet d’étude, l’être humain, sont complexes et multidisciplinaires; ils empruntent aux statistiques, à l’ingénierie informatique, à la sémiotique, à la psychologie et à la médecine. Susanne Lajoie étudie les problèmes des apprenants, en observant les relations entre les processus cognitifs et biologiques de l’apprentissage. Pour ce faire, elle établit des évaluations dynamiques des états émotionnels de l’apprenant grâce à l’utilisation de données physiologiques, relatives à la sueur, à la dilatation des pupilles ou au rythme cardiaque.
Ces méthodes sont plurielles et leurs applications multiples. Suite à son doctorat à l'Université de Stanford, Susanne Lajoie participe au projet Sherlock (1986-1989) entre l’Université de Pittsburgh et l’US Air Force, sur la formation des techniciens à la détection des pannes d’avions F-15. Ce projet de post-doctorat marque à la fois les domaines de l’intelligence artificielle, de l’éducation et des sciences cognitives. Aux côtés de ses collaborations dans des projets d’envergure, la lauréate met au point, tout au long des années 1990, le système BioWorld, qui comporte des modèles informatiques permettant de simuler des diagnosticques médicaux portant sur des patients virtuels. Tour de force académique, cette vague de travaux déferle aussi sur le monde hospitalier, apportant de nombreuses améliorations dans son sillage, dont la formation des médecins au diagnostic médical par des approches de raisonnement à base de cas cognitifs.
La lauréate a aussi mis au point, avec des chercheurs chinois et américains, un cours international qui aide les étudiants en médecine à réguler leurs émotions afin de communiquer les mauvaises nouvelles aux patients avec plus d’empathie. Cette collaboration hors des frontières du Québec montre l’intérêt que la lauréate porte au multiculturalisme, non seulement dans sa manière de faire de la recherche, mais aussi en tant que sujet d’étude. Nombre de ses travaux portent sur l’élaboration de TRE dédiés aux apprenants de différentes cultures. À l’Université McGill, Susanne Lajoie met en place une bourse qui favorise la mobilité des étudiants entre neuf institutions du Canada, du Mexique et des États-Unis. D’une pierre deux coups : l’étude de cette mobilité a permis de mieux comprendre les mécanismes interculturels d’apprentissage dans le cadre de l’utilisation d’outils informatiques en ligne.
Enfin, la lauréate dirige le projet LEADS (Learning Environments Across Disciplines), qui regroupe éducateurs, psychologues, informaticiens, ingénieurs, médecins et historiens de 6 pays, 18 universités et 13 organisations. LEADS est un projet qui aura des retombées d'envergure pour les écoles du Québec et qui concerne la mise en place de techniques de stimulation de l’apprentissage et de la motivation, avec le concours de plusieurs commissions scolaires, organisations et acteurs des industries numériques. La lauréate a su construire des outils permettant aux professeurs d’identifier les meilleures pratiques d’enseignement en fonction des profils émotionnels des apprenants. La chercheusre a aussi développé des outils métacognitifs, qui offrent un soutien au raisonnement, qui permettent d’identifier les différences entre novices et experts, et qui contribuent à l’autorégulation de leur apprentissage.
Si, à la lecture de ce dernier paragraphe, vous avez le sentiment d’avoir décroché, sachez qu’il y a espoir. De fait, les travaux de Susanne Lajoie pourraient contribuer à réduire de manière substantielle le décrochage scolaire au Québec et ailleurs.