Véronique Dansereau
On a assisté, ces dernières années, dans certaines grandes entreprises du monde occidental, à une vague inédite de suicides de salariés. La notion de « stress professionnel », comme on dit « asthme professionnel », s’est alors imposée comme explication pertinente du phénomène. De même, au fil du temps, s’est élargi le concept de santé et de sécurité, qui ajoute désormais, à la longue panoplie des atteintes physiques, le risque de maladies mentales liées au travail. Les travaux actuels de notre lauréate en témoignent éloquemment.
Diplômée en relations industrielles, Véronique Dansereau s’est jointe en septembre 2011, à titre d’étudiante à la maîtrise, à l’Équipe de recherche sur le travail et la santé mentale (ERSTM), affiliée à l’Université de Montréal. Le mémoire qu’elle a alors entrepris, intitulé La comorbidité de l’épuisement professionnel et de la consommation de substances psychoactives, vise l’exploration et la validation d’un modèle multidimensionnel de la santé mentale au travail. Pour ce faire, l’étudiante a eu accès à des données d’une grande magnitude : 1809 salariés issus de 83 milieux de travail québécois.
La littérature scientifique reconnaît une étiologie distincte à la consommation d’alcool à risque et à l’usage de médicaments psychotropes. De plus, l’épuisement au travail est composé de trois dimensions : l’épuisement émotionnel et l’efficacité professionnelle, la troisième étant le cynisme. Ce sont là des facteurs explicatifs de l’épuisement professionnel qui se classeraient en trois types : les facteurs hors-travail (réseau social, obligations familiales, statut économique), les facteurs individuels (genre, type de personnalité) et les caractéristiques inhérentes au travail lui-même (latitude décisionnelle, récompenses, reconnaissance).
Véronique Dansereau est consciente qu’elle s’attaque à une zone d’ombre en la matière. Mais qu’à cela ne tienne ! Il est de plus en plus démontré qu’une exposition prolongée et intense au stress professionnel – qu’elle soit due à une organisation inadéquate du travail, à des vulnérabilités personnelles, ou aux deux à la fois – est de nature à induire des désordres psychologiques chez les travailleurs. Qui plus est, elle risque de l’engager sur la pente savonneuse d’une « automédication », à base d’alcool et/ou de substances psychotropes, à l’issue bien incertaine…
D’ores et déjà, les résultats préliminaires de sa recherche lui indiquent que la concomitance recherchée – amalgame d’épuisement et de consommation de substances – existe bel et bien dans nos milieux de travail québécois. De plus, ses formes les plus délétères sont associées à des facteurs du travail – intensification de la demande de performance, précarité des emplois, course effrénée vers les technologies nouvelles – ayant été reconnus antérieurement comme sources de tensions psychiques pour la personne.
À partir des mêmes résultats, Véronique Dansereau indique cependant qu’il existe aussi des facteurs de protection susceptibles de modifier de façon préventive le milieu de travail. Et, s’il est vrai qu’« il y a une continuité entre l’organisation et la psyché de ceux qui en sont membres » (Gaulejac), elle invite les entreprises à se saisir des éléments de sa recherche, susceptibles aussi d’être bénéfiques pour les travailleurs.
La lauréate a obtenu en 2012 la Bourse Ghislain-Dufour, pour le mérite académique, offerte par le Conseil du patronat du Québec. Elle a aussi reçu, de l’ERSMT – et donc de ses pairs ! – la Bourse d’excellence. Les fruits de sa recherche ont été présentés plus tôt cette année au Congrès annuel de l’Acfas.
Rédacteur : Luc Dupont