Samuel Rochette
Imaginez un instant que vous êtes mécanicien... Rien ne vous passionne plus que les engins motorisés et le détail de leur fonctionnement. Vous aspirez à connaître le rôle de chacune des pièces dans le bon fonctionnement de la voiture, et, un peu à la manière d’un casse-tête, vous voulez comprendre comment ces pièces s’assemblent.
Supposons maintenant que pour relever un défi, vous vous attardez à une machine encore plus spectaculaire : une cellule… l’unité fondamentale de la vie ! Désormais, les « pièces » étudiées sont essentiellement des molécules appelées protéines. Grâce aux prouesses des scientifiques, vous possédez déjà des connaissances relativement approfondies sur le rôle de plusieurs de ces protéines dans le bon fonctionnement de la cellule.
Cependant, tout comme le mécanicien aimerait savoir comment assembler les pièces d’une voiture pour qu’elle roule normalement, vous désirerez appréhender comment toutes ces protéines interagissent entre elles pour permettre à une cellule de fonctionner adéquatement. Pour y arriver, vous aurez recours à une discipline récente et prometteuse : la biologie des systèmes.
Comme son nom l’indique, cette discipline étudie les protéines dans leur « système » biologique, comme faisant partie d’un tout. Ce système est souvent représenté sous forme d’un réseau « cellulaire », faisant ressortir les liens fonctionnels entre les différentes molécules. De fait, la biologie des systèmes est la science des réseaux biologiques!
La flexibilité du réseau cellulaire au grand jour!
Il existe cependant une différence majeure entre un réseau de pièces d’automobile et un réseau de protéines à l’intérieur d’une cellule : la flexibilité. En effet, on ne peut presque rien changer des connexions entre les différentes pièces d’une voiture sans nuire à son fonctionnement. Heureusement, la nature n’est pas faite ainsi! Le réseau cellulaire s’avère capable de se remodeler pour s’adapter à différents contextes. Ainsi, en réponse à divers stress physiologiques comme une augmentation de la température, des liens fonctionnels se rompent et d’autres se forment entre plusieurs protéines, ce qui permet à la cellule de survivre et de s’adapter à un environnement souvent instable. Le réseau cellulaire est donc malléable, et cerner quels mécanismes donnent au réseau cette propriété est une étape essentielle dans notre compréhension du vivant.
Au laboratoire du Dr Christian Landry à l’Université Laval, un projet vise justement à déchiffrer une partie de la flexibilité du réseau cellulaire. Le chercheur et ses collaborateurs ont de bonnes raisons de croire qu’une modification naturelle des protéines, appelée phosphorylation, y contribue de façon importante.
La phospho-quoi au juste?
La phosphorylation est une réaction qui permet d’attacher un petit groupement chimique (appelé phosphate) à la surface de certaines protéines. Cette réaction nécessite l’aide d’une catégorie particulière de protéines, les enzymes : ces catalyseurs permettant d’accélérer une réaction.
Les enzymes catalysant la phosphorylation des protéines s’appellent des kinases et chaque kinase phosphoryle un ensemble de protéines dites « cibles ». Pour élucider l’impact de la phosphorylation sur la flexibilité du réseau, le Dr Landry et son équipe entendent tirer profit de ces enzymes. En effet, en créant artificiellement des individus, soit des micro-organismes, incapables de produire une kinase particulière, la phosphorylation des protéines cibles de cette kinase devient compromise. Par conséquent, chez ces individus, plusieurs interactions pourraient disparaître et d’autres apparaître. L’approche consiste donc à observer comment les liens entre les protéines du réseau se trouvent affectés chez des individus où la phosphorylation de plusieurs protéines est compromise. Un petit organisme unicellulaire bien connu, la levure, constitue un modèle de choix pour ces études.
La levure : vedette de la biologie des systèmes
Bien connue en cuisine, la levure est un petit champignon unicellulaire inoffensif utilisé depuis des siècles dans la préparation du pain et des boissons alcoolisées. Puisqu’il s’agit d’un organisme peu complexe, une armée de généticiens s’est attaquée à la tâche d’élucider la fonction des quelque 6000 gènes de cet organisme. Grâce à ces travaux, la fonction de plus de la moitié de ces gènes est maintenant connue. Par ailleurs, d’autres études ont déjà été réalisées pour détailler les interactions entre les différentes protéines chez la levure. Par conséquent, chez la levure, on connaît le rôle des « pièces » et on sait comment elles interagissent entre elles. Il ne reste donc plus qu’à savoir comment une modification des protéines comme la phosphorylation altère les liens fonctionnels entre ces pièces, d’où l’intérêt de ce modèle pour les chercheurs.
L’approche utilisée par le Dr Landry et ses collaborateurs est donc prometteuse pour répondre à une question fondamentale en biologie des systèmes : comment le réseau cellulaire se remodèle-t-il à la suite de divers stress physiologiques ? Cependant, il faut absolument garder en tête qu’il existe beaucoup d’autres mécanismes – en plus de la phosphorylation – pour modifier le réseau cellulaire. L’ensemble de ces mécanismes représente un code complexe que des chercheurs comme le Dr Landry souhaitent éclaircir. Bref, il ne fait aucun doute que la biologie des systèmes continuera de donner des outils aux scientifiques pour qu’un jour la mécanique de la cellule soit aussi bien comprise que celle d’une voiture!