Le prix Acfas Michel-Jurdant 2016, qui récompense un ou une scientifique s’étant particulièrement démarqué-e- en sciences environnementales, est remis à Anne Bruneau, professeure au Département de sciences biologiques à l’Université de Montréal.
Depuis des temps immémoriaux, les plantes nous nourrissent, nous guérissent et, stimulant nos cinq sens, nous font tout simplement du bien. Il reste cependant, encore et toujours, des milliers d’espèces à découvrir et à étudier, au moment même où la recherche estime qu’environ une plante sur cinq est menacée d’extinction. Il devient alors essentiel d’encourager le travail de chercheurs tels que la lauréate. Mue par une passion inébranlable pour la systématique végétale, cette discipline consistant dans la reconnaissance, la définition et la classification des espèces en fonction de leurs liens de parenté, elle mène depuis plus de trente ans une carrière remarquable dont les retombées ne sont rien de moins que capitales pour le maintien de la biodiversité.
Dès le début de ses études supérieures, l’attachement à sa discipline conduit Anne Bruneau à intégrer des établissements prestigieux, comme l’Université Cornell, pionnière en systématique végétale. Elle y prépare son doctorat, avant d’effectuer un stage à l’Université Reading, en Angleterre, rattachée au Kew Gardens, l’un des plus importants jardins botaniques au monde. En 2010, elle devient la première femme à prendre la tête de l’Institut biologique de recherche végétale (IRBV), associé à l’Université de Montréal et au Jardin botanique de Montréal. Elle cumule cette responsabilité avec la direction scientifique du Centre sur la biodiversité, dont elle est la fondatrice. Elle marche ainsi dans les pas du frère Marie-Victorin, fondateur en 1922 de l’Institut botanique, ancêtre de l’IRBV.
La systématique végétale se rapporte à l’étude et à la classification génétiques des spécimens de plantes. La chercheuse est particulièrement connue pour ses travaux sur les légumineuses, une famille vaste et complexe de plantes à fleurs revêtant une considérable importance écologique et économique. Les Nations Unies ont d’ailleurs désigné 2016 l’année internationale des légumineuses. La sous-famille des Caesalpinioideae (communément appelées césalpiniées) compte pour plus de 2900 des 5000 espèces de légumineuses recensées en Afrique. Les grands arbres tropicaux qui composent aussi ce groupe de plusieurs lignées ont longtemps été peu connus et peu récoltés. C’est Anne Bruneau qui, en 1994, entreprit - un défi de taille - d’ouvrir le chantier que représentait alors leur analyse phylogénétique (un système de classification des êtres vivants rendant compte des degrés de parenté entre les espèces). Elle a, à cette fin, constitué un réseau de collaborateurs aux États-Unis et en Europe. À la suite de plusieurs missions de récolte dans divers pays de l’hémisphère sud, l’équipe a pu mettre au point la première phylogénie complète des césalpiniées.
S’il ne fallait choisir qu’un seul projet pour illustrer le travail de la lauréate, il faudrait citer le développement de la plateforme Canadensys, qui a permis la mise en ligne des données des collections de sciences naturelles des universités canadiennes, offrant ainsi un accès aisé à tous les utilisateurs, du chercheur au naturaliste amateur. Jusqu’alors, l’information sur la biodiversité canadienne restait fragmentaire et éparse, une bonne partie n’était ni disponible ni accessible. La création de la plateforme, l’un des mandats du Centre sur la biodiversité, a pallié ce manque. Rassemblant 27 collections et 2,9 millions de spécimens du monde entier, Canadensys est peut-être le projet le plus structurant de la dernière décennie pour la connaissance de la diversité canadienne. Appuyé par Agriculture Canada ainsi que le Global Biodiversity Information Facility (GBIF), il a inspiré des initiatives similaires jusqu’au Brésil.
Non contente d’avoir mis en œuvre de nombreux projets centraux à l’avancement des connaissances en sciences naturelles, la lauréate est également une mentore et un modèle pour ses collaborateurs et ses étudiants. Son laboratoire a accueilli des dizaines d’étudiants et stagiaires du monde entier. Elle est ainsi un pivot de la création d’une relève scientifique, répondant à une pénurie de taxonomistes face à l’urgence de dresser l’inventaire géographique et génétique de la biodiversité.
Anne Bruneau a fait sien l’aphorisme « l’avenir ne se prédit pas, il se prépare ». Grâce à ses travaux, à sa vision prospective et à une action réfléchie, cohérente et soutenue, elle aura fait progresser significativement la connaissance et la préservation de la biodiversité. Elle reçoit la reconnaissance de ses pairs, non seulement pour ses réalisations, mais aussi pour les moyens qu’elle a donnés au Québec et au Canada pour informer le public sur les dangers encourus par nos milieux terrestres et les mesures à prendre pour en prévenir les dommages, voire les réparer.