Le Prix Acfas Gilles-Paquet 2024, pour la recherche en francophonie minoritaire, est remis à Jacinthe Savard, professeure titulaire à l’École des sciences de la réadaptation de l’Université d’Ottawa.
La lauréate contribue de façon exceptionnelle à la vitalité de la recherche en français en contexte linguistique minoritaire. Une recherche qui s’articule fortement à son enseignement, inspirant ainsi des générations d’étudiants et étudiantes. Une recherche pensée pour le terrain, où les concepts deviennent des outils pratiques destinés aux milieux de soins. L’accès à des services sociaux et de santé en français et la formation du personnel professionnel à même d’offrir ces services sont les deux grands pôles de ses travaux.
Jacinthe Savard obtient un baccalauréat en ergothérapie en 1982 de l’Université Laval. À l’Université de Montréal ensuite, elle obtient sa maîtrise en administration des services de santé, en 1992, et y dépose une thèse en santé publique en 2008, intitulée : L’utilisation des services de centre de jour par les personnes âgées qui présentent des incapacités.
Après avoir travaillé dans le réseau de la santé au Québec pendant 14 ans, elle se joint au corps professoral de l’Université d’Ottawa en 1996. Elle y est maintenant professeure émérite dans le programme d’ergothérapie de l’École des sciences de la réadaptation. Membre fondatrice du Groupe de recherche sur la formation et les pratiques en santé et service social en contexte francophone minoritaire (GReFoPS), la chercheuse est aussi, depuis 2019, cotitulaire de la Chaire de recherche de l’Université d’Ottawa et de l’Institut du savoir Montfort sur la santé des francophones de l’Ontario.
La carrière de Jacinthe Savard est orientée autour d’un grand objectif : surmonter les barrières linguistiques en santé pour assurer la qualité des soins et la sécurité des bénéficiaires. Elle souhaite ainsi prévenir des erreurs diagnostiques et favoriser une meilleure compréhension des « instructions à suivre » afin que ces patient·es francophones puissent contribuer de manière éclairée à leurs propres soins.
Ses recherches se déploient sous deux grands volets : l’accès à des services sociaux et de santé en contexte linguistique minoritaire, et la formation des professionnel·les à cette fin. Au cœur de ses travaux se trouve le concept « d’offre active ». Cette pratique se traduit par une invitation verbale ou écrite à s’exprimer dans la langue officielle de son choix, invitation qu’on présente dès l’accueil sans avoir besoin de faire soi-même la demande d’un service en français.
Sous son leadership, plusieurs projets de recherche examinent les trajectoires de services aux francophones en situation minoritaire et identifient les facteurs garantissant la continuité des services en français. Elle élabore ainsi des outils, souvent offerts en ligne, pour mesurer et améliorer l’offre active dans les contextes francophones en milieu minoritaire, outils maintenant utilisés par les gestionnaires des services de santé.
Le programme Marche vers le futur, mis en place en 2012, illustre bien l’impact des recherches de la lauréate. Ce programme en français, offert en vidéoconférence, vise à réduire les facteurs de risque de chutes chez les personnes âgées et rejoint notamment les communautés francophones minoritaires isolées. À ce jour, il a été lancé dans huit communautés francophones au sein de quatre provinces (excluant le Québec), et il continue son déploiement à travers le Canada.
Par ailleurs, Jacinthe Savard collabore avec la Fédération des aînés et retraités francophones de l’Ontario (FARFO) depuis 2014 pour évaluer l’impact de la langue de services sur la qualité des soins reçus par cette population.
Dans une étude présentée en 2022, elle met en lumière les barrières linguistiques associées au test Montreal Cognitive Assessment (MoCA), couramment utilisé pour le dépistage de troubles cognitifs. Cette étude aura des impacts importants, car bien qu’il soit offert en français en milieu de soins, le test n’est pas présenté dans la langue maternelle de la personne bénéficiaire lorsque le·la clinicien·ne ne peut s’exprimer en français. Les francophones bilingues ne sont pas toujours conscients des limites associées au fait de passer un test cognitif dans sa langue seconde. Le projet se poursuit pour identifier les facteurs qui aideraient les deux parties à choisir la langue de l’évaluation. Parmi les outils que la chercheuse élabore, mentionnons le site Web servant de guichet unique d’informations sur la santé des communautés de langue officielle en situation minoritaire (www.sante-closm.ca).
En plus de ses contributions en recherche, Jacinthe Savard participe à la formation des professionnel·les de la santé et des services sociaux afin qu’ils contribuent à l’offre active pour assurer des soins linguistiquement et culturellement appropriés. De 2006 à 2009, elle fut à la barre de la Clinique universitaire interprofessionnelle de l’Université d’Ottawa. Elle collabore actuellement à un programme de recherche sur l’apprentissage par simulations interprofessionnelles pour préparer les professionnel·les, tant francophones que francophiles, à offrir activement des services en français. Jeux de simulation en personne et modules de formation virtuels asynchrones sont reçus très positivement par les apprenant·es et peuvent être adoptés par d’autres établissements d’enseignement pour augmenter la sensibilisation aux barrières linguistiques et la formation à l’offre active dans l’ensemble du Canada.
En plus de son enseignement, la lauréate apporte une contribution exceptionnelle au développement de différents programmes francophones à l’Université d’Ottawa. Elle dirigea, par exemple, le programme d’ergothérapie de l’Université d’Ottawa de 1997 à 2000, puis de 2015 à 2018 et pour l’année scolaire 2019-2020. Ce programme est le seul à offrir une formation en français dans cette discipline à l’extérieur du Québec, ce qui le place dans une position unique pour la sensibilisation des futurs ergothérapeutes à comprendre l’importance de l’offre active en santé.
Les travaux de la lauréate ont une large portée, car ils existent aussi hors du cadre scolaire : ils touchent directement la vie des francophones en contexte linguistique minoritaire. Et si ceux-ci se portent mieux, c’est l’ensemble de la population canadienne qui en profite.
Publié en novembre 2024.