Danielle Maltais
Le prix Acfas Thérèse Gouin-Décarie 2022, pour les sciences sociales, est remis à Danielle Maltais, professeure à l’Unité d’enseignement en travail social à l’Université du Québec à Chicoutimi.
Qu’il s’agisse du déluge du Saguenay en 1996 ou de l’explosion ferroviaire de Mégantic en 2013, les retombées de telles catastrophes sur la santé se trouvent aujourd’hui complètement redéfinies grâce aux travaux pionniers de la lauréate. Elle a, par exemple, mis de l’avant qu’il faut aussi compter parmi les victimes l’ensemble des intervenantes et des intervenants qui, à un moment ou à un autre, ont donné trop d’eux-mêmes. À la lumière de ses travaux, on peut dire que les « impacts » d’une catastrophe ne sont pas tous apparents sur le terrain. Il existe toute une topographie de plaies invisibles qu’il faut aussi soigner.
À la suite de l’inondation catastrophique de 1996 au Saguenay – symbolisée par cette petite maison blanche indélogeable dans la tempête, qui a tant marqué les mémoires –, Danielle Maltais crée une équipe de recherche afin d’identifier les conséquences des catastrophes sur la santé des individus.
Elle se penche ainsi sur divers sinistres, dont la tempête de verglas de 1998 et le glissement de terrain de St-Jean-Vianney en 1971. Par la suite, elle dirige, dans 51 centres de santé et de services sociaux (CSSS) du Québec, une recherche sur les impacts de l'intervention en situation de crise, ciblant cette fois, plutôt que les seules victimes, tous ces intervenants psychosociaux (gestionnaires, travailleur·se·s sociaux, psychologues) appelés à leur venir en aide. À partir de là, le concept de santé n’est plus réduit, face à la catastrophe, qu’à ses seules dimensions physique et mentale : selon la conception de la Pre Maltais, la santé est aussi familiale, sociale et professionnelle, c’est celle de la communauté et c’est celle, enfin, de toutes ces personnes exposées aux séismes que rassemblent les corps professionnels.
Les travaux de la lauréate permettent de transférer aux autorités de la sécurité publique, et aux communautés, des méthodes d’intervention et de suivi qui, réunies, posent graduellement les signes avant-coureurs d’un nouveau paradigme. Le secours direct aux victimes et la prise en considération de leurs besoins, par exemple, ne doivent désormais plus se limiter qu’au seul moment de la crise, mais être prolongés, sinon pérennisés, tout au long des semaines et des mois (voire des années) qui suivent.
Nombreux aujourd’hui sont les directeur·trice·s de la sécurité publique, aux quatre coins du Québec, qui disent avoir assisté aux conférences de la Pre Maltais et lu ses publications. En 2005, une subvention du Secrétariat à l'action communautaire autonome avait permis l'organisation de 10 journées de formation s'adressant aux intervenants d'organismes communautaires de régions éloignées rarement rejointes lorsqu'on tient de telles rencontres dans les grands centres urbains. Des séances de formation se sont entre autres déroulées à Baie-Comeau, Sept-Îles, Havre-Saint-Pierre, Gaspé, Cap-aux-Meules, La Tuque et Amos. Le but premier? Préparer les organismes communautaires à faire face à des catastrophes et à développer des liens de collaboration et de concertation. Mieux, les amener à plus long terme à juguler cette espèce de vacuum permanent du manque de ressources qui grève les administrations municipales quand, après l’intervention matérielle sur le terrain, il y a encore tant à faire pour accompagner les victimes.
Qu’en est-il, par exemple, des difficultés vécues par une personne sinistrée et contrainte d’être relocalisée? Là où d’aucuns ne verront jamais qu’une simple perturbation, les spécialistes, telle Danielle Maltais, anticipent la perte de repères identitaires qui pourrait s’ensuivre, sachant ce que peut entraîner, chez les plus fragiles des sinistrés, une trop soudaine disparition des refuges intimes du moi.
La lauréate, qui dirige aujourd’hui la chaire de recherche institutionnelle Événements traumatiques, santé mentale et résilience, fut la première chercheuse du Canada à présenter des communications sur les conséquences des désastres chez les aînés lors du congrès annuel de l'Association canadienne de gérontologie. Elle a été membre de deux comités internationaux d'experts sur l'intervention en cas de catastrophe auprès des personnes âgées; ces comités étaient alors sous l'égide de l’Agence de la santé publique du Canada (Division du vieillissement et des personnes âgées).
Deux de ses récentes recherches ont porté sur les effets de la tragédie de Lac-Mégantic sur la santé des adultes et des jeunes de cette région, ainsi que sur les impacts de la pandémie de COVID-19 chez les enfants, les adolescents et diverses populations universitaires. La divulgation des constats des recherches réalisées à Lac-Mégantic a amené le ministère de la Santé et des Services sociaux à fournir sur une base récurrente des fonds pour la mise en place d'une équipe de proximité vouée à l'amélioration de la qualité de vie des résident·e·s de la municipalité meurtrie. Le Ministère a aussi octroyé un fonds spécial pour embaucher une professionnelle spécialement dédiée aux jeunes de cette communauté.
Au moment de se voir attribuer le prix Thérèse Gouin-Décarie, Danielle Maltais ne réalisait peut-être pas qu’elle marchait dans les pas d’une chercheuse en psychologie qui avait, jadis, aussi tâté du même sujet. En effet, dans les années 1960, Mme Gouin-Décarie, qui se dirige actuellement vers ses 100 ans (en 2023), s’était colletaillée avec une catastrophe mondiale qui avait fait grand bruit : elle avait mené une étude longitudinale sur le développement des enfants nés de mères traitées avec de la thalidomide au cours de leur grossesse.