Le prix Acfas Léo-Pariseau 2022, pour les sciences biologiques et sciences de la santé, est remis à Lucie Germain, professeure au Département de chirurgie de la Faculté de médecine de l’Université Laval.
Certaines personnes œuvrent en génie civil ou aérospatial, ou encore, en génie génétique ou logiciel. Lucie Germain s’active pour sa part, depuis plus de 30 ans, en génie tissulaire. Elle est même, à l’échelle mondiale, l’une des grandes initiatrices de cette discipline. L’organogénèse expérimentale est son domaine de recherche; la médecine régénératrice, son « jardin ». Accompagnée par une équipe où la multidisciplinarité fait loi, elle œuvre à la réalisation d’une toute nouvelle génération de tissus : des peaux reconstruites, des cornées humaines entièrement biologiques, des vaisseaux sanguins libres de biomatériaux.
Le génie tissulaire émerge dans les années 1980 grâce à des recherches en culture de peaux de remplacement à greffer de toute urgence sur les corps de grands brûlés, au risque de voir ces personnes ne survivre à leurs blessures que quelques jours. C’est un collègue de la Pre Germain, François Auger, chirurgien et médecin spécialiste en microbiologie – avec qui elle partagera le titre de scientifique de l'année de la Société Radio-Canada en 1998 – qui lança à Québec le grand laboratoire connu mondialement aujourd’hui sous l’acronyme LOEX (Laboratoire d’organogénèse expérimentale).
Le LOEX a développé au cours des ans de nombreuses générations d’organes et de tissus humains, aux structures physiologiques les plus diverses : peau, cornée, vaisseaux sanguins; mais aussi vessie, nerfs et valves cardiaques. Lucie Germain rejoint ce laboratoire en 1989, avec une formation unique qui fera rapidement d’elle une pionnière à double facette : ses connaissances en médecine expérimentale et en physique lui donnent une capacité réelle de naviguer dans deux dimensions pratiquement insécables de la reconstruction tissulaire. La première est une connaissance solide des propriétés physiques de la matière, ici le tissu humain, qu’on ne peut « architecturer » sans être un tant soit peu conscient de la résistance mécanique ou élastique que l’on y doit reproduire. La deuxième a tout à voir avec la physiologie des corps, et spécialement ici des organes, qu’il faut pouvoir situer dans le milieu complexe de la médecine régénératrice. C’est donc dire que, devant l’organe à reconstruire ou les cellules à cultiver, Lucie Germain place toujours dans son viseur un œil expert à la fois en mécanique et en anatomie.
Le CV de la chercheuse montre qu’après avoir reçu des bourses d’excellence pendant ses études, elle fut financée pendant 35 ans sans interruption par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Elle se distingue également par l’obtention d’une chaire de recherche du Canada sénior (2015), qui vient d’être renouvelée. Beaucoup de « premières » ont jalonné son parcours. Dans le domaine de l’épiderme, sa découverte d'une méthode d’isolement des cellules, qui améliore la culture de peau, a eu un fort impact. Elle a aussi réussi à identifier un marqueur des cellules souches épithéliales cutanées, la kératine 19, qui a ensuite permis d’éclairer deux phénomènes : la diminution de ces cellules en fonction de l'âge et leur localisation différentielle selon le site anatomique. Résultat? Il est possible de prédire aujourd’hui, au cas par cas, le meilleur endroit de prélèvement des cellules souches pour les biopsies, optimisant ainsi la qualité des peaux destinées aux grands brûlés.
De même, on doit à la lauréate l’élaboration d’une nouvelle méthode de génie tissulaire : l’autoassemblage. Ce procédé consiste à produire des tissus résistants à partir uniquement de cellules humaines, sans y ajouter de biomatériaux. Son application dans la reconstruction de vaisseaux sanguins humains, greffables sans biomatériaux, a fait grand bruit, puisque la communauté scientifique considérait impossible d’obtenir une résistance suffisante pour la transplantation. Qui plus est, on a constaté que les vaisseaux sanguins ainsi reconstruits atteignaient des qualités telles qu’ils procuraient un modèle d'étude humain de vaisseau normal, utilisable désormais pour des analyses in vitro. Par ailleurs, la reconnaissance de Lucie Germain en tant que pionnière dans le génie tissulaire de la cornée n’est plus à faire. On lui doit, à elle et à son équipe, la mise au point de la première cornée humaine entièrement biologique issue de cellules humaines normales.
Les découvertes de la lauréate en médecine régénératrice fascinent les scientifiques et les spécialistes du domaine médical, et Lucie Germain est trop heureuse de transmettre son enthousiasme et sa passion à la prochaine génération. Ainsi, elle est récipiendaire du Prix du mentorat Synapse des IRSC. Les étudiant·e·s à qui elle a enseigné se retrouvent aujourd’hui dans divers laboratoires. Un d’entre eux est même au service du plus gros producteur de valves cardiaques au monde – la société californienne Edwards Life Sciences –, alors que de nombreux autres sont devenus agent·e·s de brevets ou spécialistes en poste dans des banques d’organes, notamment des banques d’yeux.
Ses efforts sont aussi récompensés lorsqu'elle constate l'amélioration des résultats sur le terrain et le bien-être humain qui s’ensuit : un grand brûlé retourne à l'université, ou encore, un greffé de la cornée se remet à la conduite automobile, puisqu’il voit maintenant de ses deux yeux, ce qui lui permet de bien estimer les distances entre les objets (vision 3D).
Gage de l’avenir dans ce domaine de pratique : l’intérêt de la part de nombreux spécialistes œuvrant en santé, qui s’incarne par l’envoi soutenu de stagiaires! Pharmacien·ne·s, biochimistes, ingénieur·e·s physicien·ne·s ou mécaniques, quelques-uns d’entre eux peuvent se vanter d’avoir travaillé aux côtés de Lucie Germain au développement des applications multiples du génie tissulaire.