Le prix Acfas Jeanne-Lapointe 2022, pour les sciences de l’éducation, est remis à Abdelkrim Hasni, professeur en didactique des sciences et des technologies à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke.
Chaque fois qu’un chercheur d’envergure met le pied dans un domaine du savoir – ici, celui de la didactique des sciences –, il faut s’attendre à voir reculer les limites de la connaissance. Les travaux du chercheur s'inscrivent de manière originale dans une triple préoccupation didactique : compréhension, conceptualisation, et éclairage des politiques et des interventions éducatives. Les retombées témoignent de leur impact. Par exemple, l’une des publications qu’il a signées de concert avec son collègue Patrice Potvin au cours de la dernière décennie, est rapidement devenue la deuxième plus lue de la prestigieuse revue britannique Studies in Science Education, lancée il y a plus de 50 ans.
Abdelkrim Hasni avait déjà réalisé une grande partie de ses études universitaires au Maroc avant d’entrer à l'Université de Sherbrooke, en 1996, afin d'y réaliser son doctorat. Conservant cette longueur d’avance, il obtenait, une année avant la soutenance de sa thèse, un poste de professeur en didactique des sciences et des technologies à l'Université du Québec à Chicoutimi (2000). Deux petites années plus tard, l’UdeS retrouve dans ses rangs la figure connue du Pr Hasni, qui y enseigne ainsi depuis 20 ans. Les travaux du chercheur s'inscrivent de manière originale dans une triple préoccupation de compréhension, de conceptualisation et d'éclairage des politiques et des interventions éducatives.
Au regard de la compréhension, premièrement, les études du Pr Hasni couvrent différentes dimensions permettant de documenter la qualité de l'éducation scientifique. Pour ce, il analyse notamment des curriculums et des ressources didactiques, examine les pratiques de classe (tâches et rôles du personnel enseignant et des élèves) et vérifie les effets de ces pratiques sur les élèves.
Dès le départ, Abdelkrim Hasni se détache ainsi avec originalité de la tradition didactique classique. Plutôt que de se centrer uniquement sur des contenus spécifiques à une discipline, il accorde une place importante aux approches et aux problématiques transversales, et met en lumière la nécessité de prendre en compte, dans le curriculum de la formation des élèves, la contribution d'un ensemble de composantes. Ces choix ont conduit le didacticien à élaborer une thématique de recherche ouverte, interdisciplinaire et novatrice, où se retrouvent des enjeux multiples : sociaux, épistémiques, cognitifs, de citoyenneté et de promotion.
Les enjeux épistémiques et cognitifs renvoient à la compréhension de la structure des disciplines et à la nature des savoirs scientifiques, ainsi qu’à celle des modalités de leur appropriation par les élèves. Ces travaux, menés avec le Pr Potvin dans le cadre de la Chaire de recherche sur l’intérêt des jeunes à l’égard des sciences et de la technologie, sont les premiers à mettre en évidence au Québec, en se basant sur des études transversales et longitudinales auprès de milliers d'élèves, le résultat suivant : les nombreux indicateurs de l'intérêt des élèves pour les sciences et technologies chutent fortement lors du passage du primaire au secondaire, suggérant ainsi la nécessité de porter une attention particulière à cette phase de transition scolaire.
Ces indicateurs ont permis de documenter les spécificités québécoises de l'intérêt en fonction du genre, de vérifier l'effet de la perception de soi sur la réussite scolaire, et de mettre en évidence les caractéristiques des interactions gagnantes élèves-enseignant·e·s dans les cours de sciences. Les études ont également validé une approche d'enseignement favorisant, chez les étudiant·e·s universitaires en sciences, la formation à la pensée critique face à des controverses socioscientifiques, par exemple. On n’a qu’à penser à ce chapitre à des thèmes comme la sécurité et l'efficacité des vaccins.
Au regard de la conceptualisation, deuxièmement, les études du Pr Hasni ont offert une contribution majeure en intégrant au curriculum les perspectives interdisciplinaires de la didactique, de la sociologie de l’éducation et de la philosophie de l’éducation. Le chercheur a proposé, à cette enseigne, une approche originale du concept de discipline scolaire qui permet de penser et de décrire spécifiquement l'éducation scientifique. L'éducation à la santé et à l'environnement, l'enseignement par projet, l'initiation à l'épistémologie des sciences, de même que les démarches d'investigation scientifique, constituent d’autres conceptualisations majeures élaborées par Abdelkrim Hasni.
L’ensemble de l’approche mise de l’avant par le professeur structure, depuis presque 20 ans, les travaux d'une importante communauté de recherche. Dès 2004, le lauréat a pu s'entourer d'une équipe de 22 chercheur·se·s (provenant de six facultés), d'un partenaire international en recherche (UMR-STEF, Paris) et de nombreux autres des milieux de l'éducation ici, dont le ministère de l'Éducation, cinq commissions scolaires et l'Association des professeurs de sciences du Québec, pour obtenir un important financement auprès du CRSNG en vue de fonder, en 2005, le Centre de recherche sur l'enseignement et l'apprentissage des sciences (CREAS).
Pour optimiser les retombées de ce centre, le Pr Hasni a misé fortement sur le développement d'une approche de fonctionnement en communautés d'apprentissage qui regroupent, côte à côte, les acteurs de la recherche et ceux des milieux scolaires. Ce dispositif s'inspire des cadres théoriques des recherches partenariales et participatives. Chaque année, de 2002 à 2017 (date à laquelle il a accepté le poste de vice-doyen à la recherche et aux études supérieures en recherche, jusqu’en 2021), ces communautés ont réuni, pendant 5 à 7 jours, des chercheur·se·s (2 à 10 selon les projets), des enseignant·e·s (20 à 30) et des conseiller·ère·s pédagogiques (10 à 12).