Au cours des dernières années, nous nous sommes donné au Québec la liberté de « penser l’impensable ». Nous avons eu l’audace d’affronter la difficile question de l’euthanasie et d’en discuter publiquement, si bien qu’un certain consensus social a pu être dégagé, permettant d’agir un peu plus librement, malgré les risques. « L’aide médicale à mourir » a été considérée ici comme un soin et encadrée comme tel dans une loi : un soin possiblement approprié dans certaines circonstances très exceptionnelles (des souffrances difficiles à apaiser, chez une personne en fin de vie et toujours apte à consentir aux soins).
Bien que cette liberté de pensée, exempte de partisaneries, soit encore largement célébrée, il s’avère que La loi concernant les soins de fin de vie tout comme la loi canadienne qui s’en est largement inspirée sont de plus en plus en contestées. Une ouverture aussi limitée serait injuste, voire discriminatoire, pour les personnes qui ne sont pas en fin de vie ou qui sont inaptes à consentir aux soins. Si bien qu’une plus grande ouverture semble inévitable sur le plan légal. Ce qui donnerait finalement raison à ceux qui s’opposaient d’emblée à toute ouverture en raison des risques de dérive.
Jusqu’à quel point ce tournant juridique risque-t-il de faire dérailler le débat au Québec? Était-il naïf de croire en notre capacité de penser librement? L’objectif de ce colloque est de prouver par l’exemple que le débat peut se poursuivre, pas nécessairement avec les mêmes idées, mais avec la même liberté.
Le défi est risqué. Certains des premiers défenseurs de la loi québécoise ont été invités à venir préciser l’évolution de leur pensée et à en débattre. Même parmi eux, le choix de la prudence ne fait plus l’unanimité. Sans doutes influencés par la décision qu’a rendue depuis la Cour suprême, certains plaident maintenant pour une plus grande ouverture, notamment pour les personnes qui ne sont pas en fin de vie. Pour eux, ce choix était en fait un choix obligé et une telle prudence s’avère excessive. Quelques projets de recherche ayant été entrepris sur le sujet, plus récemment des chercheurs ont été invités à présenter les résultats, même préliminaires, de leurs travaux. On a également invité un auteur qui, malgré ses prises de position critiques, a publié l’an dernier un imposant ouvrage de référence sur l’aide médicale à mourir au Québec. Finalement, un médecin viendra nous parler de son expérience dans les milieux cliniques.
Le résultat est évidemment imprévisible. Mais le Québec a déjà misé sur le débat public sans être trop déçu. On a bien vu que les sujets réputés « impensables » exigent au contraire d’avoir l’audace d’avancer des idées. On voit maintenant qu’il faut en plus avoir le courage de les défendre et, peut-être, l’humilité d’en changer au fur et à mesure des discussions, à la suite de l’acquisition de nouvelles données de recherche, ou à la lumière des expériences nouvelles vécues sur le terrain.