Informations générales
Événement : 86e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :Il y a plusieurs bonnes raisons de considérer le « droit » comme un phénomène constitutif de la réalité sociale : sa centralité eu égard à la mise en forme du lien social, sa pérennité quant à la résolution des conflits publics et privés, son omniprésence dans la sphère médiatique au gré de l’actualité juridique, etc. Ces divers aspects portent à penser que le droit est un révélateur incontournable pour observer les changements sociaux et un analyseur inestimable pour comprendre le monde social.
Curieusement, les sociologues de la francophonie peinent à constituer les phénomènes juridiques comme un objet d’étude « normal », de même qu’à reconnaître la sociologie du droit comme un champ de recherche « porteur ». La parution récente d’un ouvrage collectif intitulé Les sociologies françaises : Héritages et perspectives (1960-2010) (PUR, 2015) offre un exemple de cette situation; parmi les 15 « sociologies spécialisées » répertoriées, la « sociologie du droit » brille par son absence. Cette situation est d’autant plus étrange que les fondateurs de la discipline (Durkheim, Weber, etc.) ont observé le droit pour éclairer la constitution, l’institution et la transformation de la société moderne.
Force est en revanche d’entrevoir que les travaux qui érigent le droit en objet sociologique se multiplient aujourd’hui dans la francophonie. D’où l’intérêt de prendre acte de la recherche actuellement produite dans le champ de la sociologie du droit au Québec et en France. Pour ce faire, le colloque proposé s’organisera autour de cinq axes d’interrogation : 1) Quels thèmes retiennent l’attention des chercheurs?; 2) Quels terrains empiriques investissent-ils pour les explorer?; 3) Quels concepts et quelles méthodes mobilisent-ils afin de les éclairer sociologiquement?; 4) Quels sont les apports de ces recherches à la compréhension du monde social?; et 5) Quelles sont les perspectives d’avenir de la sociologie du droit en francophonie?
Date :- Pierre Noreau (UdeM - Université de Montréal)
- Emmanuelle Bernheim (UQAM - Université du Québec à Montréal)
- Yan Sénéchal (UdeM - Université de Montréal)
Programme
Ouverture du colloque
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Communication orale
Mot d'introductionYan Sénéchal (UdeM - Université de Montréal)
Les expériences profanes du droit et de la justice
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Communication orale
Parcours de vie à l'interface de la psychiatrie, la justice et la protection de la jeunesse : le cercle vicieux sans finEmmanuelle Bernheim (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Le diagnostic psychiatrique est un puissant facteur de localisation sociale, surtout quand il est associé à des mesures coercitives telles que l'internement. Justifiées par des arguments sécuritaires, les mesures coercitives ajoutent à la marginalisation que vivent les personnes vivant avec des troubles mentaux, en plus de décrédibiliser leur parole et leur expérience. Il n'est alors pas surprenant de constater que de nombreuses femmes internées en psychiatrie rapportent se faire ensuite retirer leurs enfants par les services de protection de la jeunesse.
À partir d'entretiens de type « parcours de vie » menés avec des femmes au prise avec cette réalité, cette présentation sera structurée en trois points: d'abord l'expérience et la compréhension du contact avec la Chambre de la jeunesse; ensuite, l'image du droit et de la justice issue de cette expérience, notamment en tant que ressource ou non; finalement, la réinterprétation de l'expérience à la lumière de la condition psychiatrique.
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Communication orale
Conscience du droit et internormativité : portée et limites d'un concept en contexte de diversité ethnoculturelleBertrand Lavoie (UdeS - Université de Sherbrooke)
Le concept de conscience du droit renvoie à la compréhension du droit que des individus peuvent avoir quotidiennement. Il revêt une dimension critique importante, à savoir la remise en question de l’hégémonie du droit, en envisageant une marge de manœuvre plus conséquente pour l’acteur vis-à-vis des normes. Développé au sein des études sociojuridiques américaines (Ewick et Silbey, 1998; Engel, 1998), ce concept est pourtant peu présent dans la littérature francophone en sociologie du droit.
L’objectif de cette communication est double. Dans un premier temps, nous présenterons les principaux avantages, sur le plan théorique, découlant de l’utilisation du concept de conscience du droit. On peut dire qu’une des finalités savantes de son utilisation est de redonner au sujet de droit la pleine capacité d’agir et d’interagir avec les normes. Dans un deuxième temps, nous explorerons les limites de ce concept en contexte de diversité culturelle et religieuse, où les phénomènes d’internormativité se déploient de manière plus explicite. Nous pensons que l’utilisation de ce concept devrait être revisitée, afin de rendre compte des situations où des individus se sentent liés à plus d’une normativité à la fois, notamment lorsqu’il est questions d’enjeux qui concernent le droit et la religion.
Le travail des professionnels du droit et de la justice au carrefour de leurs relations avec les profanes
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Communication orale
La mobilisation du droit par les gens d'affaires au prisme du travail juridique de leurs avocatsPascale Cornut St-Pierre (Université d’Ottawa)
Bien que les gens d’affaires figurent parmi les plus importants usagers du droit dans la société contemporaine, peu d’études ont été consacrées à la façon dont ces acteurs conçoivent et mobilisent le droit dans le cadre de leurs activités économiques. Dans le monde francophone, les contributions les plus intéressantes à ce chapitre nous viennent surtout de la sociologie économique, dont les travaux récents ont porté une attention accrue au droit et à sa propension à structurer les relations économiques et financières. Cette communication a pour objectif d’explorer comment la sociologie du droit peut se ressaisir des objets économiques et financiers.
Notre propos se structure autour de trois constats : 1) le rapport au droit des gens d’affaires est médiatisé par des juristes professionnels et peut difficilement être compris indépendamment du travail de ces derniers ; 2) le « regard externe » que privilégiait traditionnellement le sociologue du droit sur son objet ne permet pas de cerner la dimension experte de la mobilisation du droit par les gens d’affaires et gagnerait à être complété par un regard interne ; 3) afin de mieux cerner l’apport technique des juristes, l’enquête sociologique devrait se doter de nouveaux terrains empiriques et s’intéresser aux nombreux documents à vocation juridique, organisationnelle ou commerciale que génère la vie des affaires et par lesquels les acteurs économiques se saisissent effectivement du droit dans différents contextes.
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Communication orale
Le travail des avocat.e.s familialistes sous la loupe : demandes parentales et conseils juridiques pour la prise en charge des enfants post-ruptureHélène Zimmermann (Université Laval)
Au Québec, les avocat.e.s jouent un rôle clé dans le traitement des séparations conjugales, en particulier dans les affaires de prise en charge des enfants. Appuyée sur les données recueillies dans le cadre d’une enquête ethnographique collective, notre communication vise à documenter le travail de ces professionnels du droit en mettant l’accent sur les interactions entre les avocat.e.s et les parents au sein des cabinets. Il s’agit d’éclairer la façon dont ces professionnels du droit accueillent les demandes des parents qui viennent les consulter, les reformulent dans les catégories du droit et les orientent, par exemple vers un accord ou vers une audience. Ce faisant, il s’agit aussi de faire ressortir la façon dont les interactions entre les avocat.e.s et les parents relativement à la prise en charge économique et éducative des enfants contribuent à la co-construction de la parentalité en révélant des normes sociales et morales, quant aux demandes parentales acceptables et aux rôles maternels et paternels légitimes. L’analyse des interactions parents-avocat.e.s met en évidence la façon dont s’entrecroisent des rapports de classe, de sexe et de race, selon la proximité sociale entre les professionnels et les parents. In fine, ces interactions conduisent à un traitement différencié des demandes parentales selon les propriétés sociales des avocat.e.s et des client.e.s.
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Communication orale
De la mise en scène des processus de médiations à la Division des petites créances de la Cour du Québec : justice participative ou justice imposée ?Richard-Alexandre Laniel (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Cette communication sera l’occasion de présenter les résultats d’un terrain ethnographique ayant pour contexte le programme de médiation de la Division des petites créances de la Cour du Québec. En théorie, le rôle des médiateurs.rices consisterait à analyser la demande et les pièces au litige, s’informer des prétentions des parties, leur fournir de l’information utile, susciter des options de règlements et leur en suggérer, tout en facilitant la communication entre les justiciables et en maximisant leur participation à la détermination d’un règlement sans imposer de résultat. On peut cependant s’interroger sur les pratiques réelles des médiateur.rices : la théorie et les exigences légales au déroulement des séances s’appliquent-telles ou, au contraire, d’autres procédés plus informels sont-ils utilisés afin d’exercer une pression, voire de forcer les parties à régler leur litige?
L’observation de séances de médiation, à partir d’un cadre d’analyse inspiré d’Erving Goffman, a permis de relever différents moyens mis en œuvre par les médiateurs, ayant pour effet de contraindre, voire d’imposer un règlement. De ce fait, la mise en scène des interactions, la présentation de soi, le cadrage de la médiation et la mystification du processus en sont tous des exemples observés à plusieurs reprises. Ce qui conduit à porter un regard particulier sur l’usage du droit par les médiateurs.rices : malgré la prétention d’en « sortir », nous constatons que celui-ci reste omniprésent.
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Communication orale
La carotte ou le bâton : discipline et post-discipline dans un centre de réadaptation pour jeunes délinquants à MontréalNicolas Sallée (UdeM - Université de Montréal)
Cette contribution propose de revenir sur les pratiques de maintien de l’ordre dans une unités montréalaise de « garde fermée », au sein desquelles sont exécutées les uniques peines privatives de liberté, dites de « placement et surveillance », prévues par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Ces pratiques sont l’objet de régulations internes qui renvoient à deux enjeux. Un enjeu juridique lié à la distinction entre les mesures « d’isolement » et celles de « retrait » ; or, l’encadrement croissant des premières, tend à laisser dans l’ombre les conditions d’usage des secondes. Un enjeu institutionnel lié aux ambivalences entourant la nature et la finalité des unités de garde fermée ; pour s’éloigner du stigmate carcéral, l’objectif de la direction est, dans une optique de responsabilisation des jeunes, de valoriser les comportements pro-sociaux (la carotte) plutôt que de sanctionner les comportements anti-sociaux (le bâton).
L’objectif de cette communication est de revenir sur les usages quotidiens des sanctions dans l’unité observée, les débats auxquels ceux-ci donnent lieu et les tensions professionnelles qu’elles donnent à voir. Dans un cadre post-disciplinaire (Chantraine, 2006), nous mettrons au jour les caractéristiques d’une institution à géométrie variable, au sein de laquelle la dimension carcérale apparaît comme l’arrière-plan structural de l’ensemble des pratiques de réhabilitation.
Repas en commun au restaurant
La formation universitaire des juristes en transformation
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Communication orale
Comment fabrique-t-on les juristes ? Une sociologie de la formation universitaire en droitPierre Noreau (UdeM - Université de Montréal)
Peu d’études rendent compte des caractéristiques de la trajectoire des étudiants en droit. Ce qu’ils sont, ce qu’ils deviennent. Comment leur conception du droit évolue-t-elle tout le long de la trajectoire académique ? Bref, comment fabrique-t-on un juriste en faculté de droit, et en quoi la socialisation juridique et les valeurs qui sous-tendent sa formation répondent-elles aux besoins de la pratique contemporaine du droit ? Deux études sociologiques menées au cours des dernières années offrent un aperçu des réponses qu’on peut aujourd’hui apporter à ces questions.
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Communication orale
Réconcilier enseignement et recherche dans les facultés de droit : l'étude des professions juridiques dans une perspective sociologiqueJulie Paquin (Université d’Ottawa)
Les professeurs de droit du Québec et du reste du Canada se trouvent à la frontière de deux champs – le champ professionnel et le champ universitaire – qui leur imposent des contraintes et des exigences de plus en distinctes. Au vu des mutations de la recherche universitaire en droit, qui tend à s’éloigner progressivement du modèle doctrinal traditionnel valorisé dans le champ professionnel, il est probable que les impératifs de la recherche et de l’enseignement deviennent de plus en plus inconciliables.
Le développement d’activités de recherche portant sur les conditions de pratique du droit constitue une avenue intéressante afin combler le fossé actuel entre la recherche universitaire réalisée dans les facultés de droit et les objectifs recherchés par les facultés de droit en matière de formation des étudiants. De nombreuses questions de recherche à la frontière de la sociologie du droit et de la sociologie des professions sont susceptibles d’être abordées par des juristes et de susciter l’intérêt tant des étudiants en droit que des professionnels.
La communication visera à explorer la manière dont l’adoption d’une perspective sociologique peut contribuer à l’élaboration d’un agenda de recherche sur les professions juridiques et de la pratique du droit. Pour ce faire, nous présenterons quelques projets de recherche que nous avons entrepris au cours des dernières années sur ces questions, en mettant en lumière l’apport de différentes perspectives sociologiques.
Ce que les cultures juridiques font à la sociologie du droit
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Communication orale
Le droit "comme" science sociale ? Vers une sociologie des sciences juridiques au QuébecYan Sénéchal (UdeM - Université de Montréal)
La « sociologie du droit » est un champ scientifique nébuleux au Québec. Cette nébulosité s’explique, en partie du moins, par l’absence quasi-totale de recherches portant sur la constitution et le déploiement de ce champ. Afin de contribuer à l’avancement des connaissances relativement à la construction du champ de la sociologie du droit au Québec, la présente communication se propose d’ouvrir un chantier de recherche, parmi d’autres possibles, autour d’un adage méconnu de la pensée juridique au Québec, nommément « le droit ‘comme’ science sociale ». La pertinence de la problématisation de cet adage s’explique par les questions qu’elle conduit à formuler et qui concernent directement le champ de la sociologie du droit, lui qui est scindé entre les contributions des juristes et celles de sociologues. Qu’est-ce que cet adage ? De quel « droit » s’agit-il ? En quel sens ce droit peut-il être considéré comme une « science » ? Pourquoi serait-il une science « sociale » ? À la lumière d’une recherche exploratoire, cette communication sera organisée suivant deux axes. Il s’agira tout d’abord de présenter trois terrains empiriques où a pu être observé la présence de cet adage de la pensée juridique au Québec. Il s’agira ensuite de proposer un éclairage théorique, pour préciser la signification de cet adage, ainsi que pour identifier les enjeux qu’il pose à la sociologie du droit.
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Communication orale
Études autochtones, sociologie du droit : décolonisation d'une disciplineKarine Gentelet (UQO - Université du Québec en Outaouais)
À partir d’exemples tirés de mes travaux de recherche, j’examinerais comment le champ des études autochtones a permis le développement d’un certain nombre de concepts clés de la sociologie du droit et de la justice. Des concepts qui incorporent les enjeux sous jacents aux rapports de pouvoir, mais surtout qui permettent d’en apprendre un peu plus sur la nature sociale des rapports juridiques entre des minorités politiques et état dominant. Le droit est mobilisé en tant qu’instrument du pouvoir hégémonique au profit des aspirations d’autodétermination des Premières Nations. Il est utilisé tel quel pour ses caractéristiques de droit occidental. Cependant, la finalité de son utilisation sera de mettre en avant des conceptions juridiques propres aux traditions juridiques des Premières Nations. En ce sens, le droit interne et international participe au processus de réaffirmation politique. En même temps, l’analyse sociologique des pratiques juridiques des Premières Nations participe surtout à la décolonisation de la sociologie du droit qui a été jusqu’alors principalement dominée par des analyses d’un droit étatique incontestable dans sa forme, sa nature et son action.
Conclusion du colloque
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Communication orale
Synthèse des communicationsPierre Noreau (UdeM - Université de Montréal)