314 - Le site du Poste-de-traite-de-Chicoutimi revisité : contributions de l’archéologie du 21e siècle

Le site de Chicoutimi constitue un paradoxe au niveau historique et archéologique. En effet, une somme considérable d’efforts archéologiques a été investie dans ce lieu qui pendant longtemps a été considéré comme l’un des plus importants sites archéologiques régionaux. La découverte de vestiges associés aux Iroquoiens du Saint-Laurent, la mention dans les relations des voyages de Cartier de l’existence d’un royaume de Saguenay, la mise en place d’un poste de traite à partir de 1676 et la fondation de la ville de Chicoutimi elle-même, auraient largement contribué au mythe fondateur de Chicoutimi. En fait, dans l’histoire ancienne et récente de l’occupation humaine sur le bassin hydrographique, l’importance de ce lieu s’inscrit avant tout dans une dynamique d’exploitation des ressources naturelles par des populations externes à la région. Car, de toute évidence, pour les Premières Nations locales, le site ne fut, jusqu’en 1676, qu’un simple lieu de portage à la limite de deux écotones.

Reconnu depuis le début des années 1970 pour sa valeur archéologique et patrimoniale, le site du poste de traite de Chicoutimi a connu plusieurs vagues de recherche. En 2013, un programme soutenu a été mis en place par la Ville dans le but précis d’intégrer le site au tissu urbain et de favoriser une appréciation de sa valeur patrimoniale dans la collectivité. Cette première présentation de la session fait état des aspects physiques du site, de son emplacement stratégique comme poste de traite, de son organisation spatiale et fonctionnelle et des grandes lignes de son parcours durant l’occupation du poste et suivant son abandon. Nous examinerons les objectifs et les problématiques particulières de la recherche sur ce site, les méthodologies employées, et les principaux résultats qui en découlent en matière de connaissance des postes de traite en général et de la circulation des biens du 17e au 19e siècle, puis nous aborderons le rôle de la recherche comme outil de conscientisation et de promotion des valeurs identitaires et culturelles.

Dès la première fouille du poste de traite de Chicoutimi autour des années 1970, des fragments de métal à base de cuivre ont été découverts. Ces fragments métalliques font partie des objets qui, sans aucun doute, proviennent d’Europe. Ces objets illustrent les modalités des transactions intervenues entre colonisateurs et populations autochtones. En recourant à la technique de l’analyse de l’activation neutronique, il est possible de tirer des fragments de chaudron à base de cuivre, un nombre étendu d’informations. Ainsi en est-il des techniques de leur façonnage en Europe mais encore des techniques de transformation/recyclage des chaudrons en objets se conformant aux canons utilitaires et stylistiques des groupes autochtones. Par ailleurs, l’activation neutronique a permis de contribuer à la datation des fragments de chaudrons en cuivre. C’est ainsi que des chaudrons datant de la première moitié du XVIIe siècle ont été découverts à distance du Saint-Laurent, alors que les Européens n’ont pas encore, pénétré dans ce territoire. La comparaison de ces fragments de chaudron parmi lesquels plusieurs proviennent de Chicoutimi, avec ceux de collections québécoises et du Nord-est nord-américain permet de se rendre compte de l’étendue de la dispersion du chaudron européen en Amérique du Nord. Ces analyses participent à la compréhension du phénomène de la traite des fourrures.

Depuis les premières fouilles réalisées dans les années 70, le poste de traite de Chicoutimi (DsEs-1) a révélé la présence de plusieurs milliers de perles de verre s’étalant sur une période allant de la fin du XVI^e (antérieure à l’établissement du poste de traite) au XIX^e siècle. Ces petits objets, fabriqués en Europe et principalement destinés aux échanges avec les populations amérindiennes, nous apprennent beaucoup de choses sur les réseaux d’approvisionnement en Europe, et les réseaux d’échange autour du Lac-St-Jean.

A travers une étude typologique et physico-chimique des perles de verre retrouvées sur le poste de traite de Chicoutimi et sur des sites québécois et européens, nous avançons un début de discussion sur les réseaux de communication dont ce site était l’un des centres névralgiques.

Au cours des nombreuses interventions archéologiques qui ont eu cours au fil des ans sur le site du poste de traite de Chicoutimi (DcEs-1), une quantité impressionnante de pipes en pierre à tuyau amovible a été mis au jour. Ces objets, désignés sous le vocable de calumets canadiens, ont une origine dans les échanges culturels franco-amérindiens du XVII^e siècle et seront utilisés tant dans les contextes domestiques amérindiens que canadiens. Mais c'est dans les lieux de traite, à la frontière des deux mondes qu'on les rencontre le plus souvent, comme c'est le cas pour le site de Chicoutimi. La collection de calumets canadiens de ce site est l'une des plus importante que nous connaissions à ce jour, tant par le nombre de pièces que par la variabilité de certains types récurrents, présents dans l'ensemble du monde franco-amérindien de l'époque. Cette présentation offrira un aperçu global de cette collection unique et soulignera son importance dans l'étude des pipes de pierre au cours du Régime français en Amérique du Nord.

Les fouilles de 1969 à 1972 sur le site du poste de traite de Chicoutimi ont mené à la récolte de nombreuses données. La discipline archéologique était alors relativement jeune et les techniques de fouille encore en maturation. Les données alors enregistrées sous forme de plans, notes et fiches d’analyse, donnent des informations historiques riches, mais qui sont cependant souvent incomplète et d’une qualité inégale. La reprise des fouilles en 2013 a nécessité de revisiter les anciennes données afin de retrouver les caractéristiques du site observées, planifier les interventions et comprendre les anciennes dynamiques afin de mettre le tout en relation avec les nouvelles données acquises. Ces fouilles ont également permises d’explorer des avenues technologiques permettant la revitalisation d’anciennes données et de proposer de nouvelles approches d’enregistrement et d’exploration de la donnée. Passant par la modélisation 3D, la structuration de données, la cartographie interactive et les approches de diffusion tant pour les professionnels que le public, cette collaboration a permis de revisiter plusieurs parties de la démarche archéologique. Ce projet fut également l’occasion d’apprendre ce que les nouvelles technologiques peuvent apporter à la discipline, mais également de constater ses limites ainsi que les difficultés à opérationnaliser les outils dans un contexte professionnel, ainsi que d’entamer une réflexion sur ce qui reste à accomplir dans les prochaines années.

Comment faire de ce site patrimonial classé un lieu de découverte accessible, tout en préservant son authenticité et en suscitant l’appartenance de la population et des partenaires ? L’objectif de cette allocution sera de partager l’expérience de la Ville de Saguenay dans la mise en valeur du site.

Lors de la construction du prolongement du boulevard Saguenay (1969-1972), des fouilles de sauvetage ont lieu pour documenter le potentiel archéologique du site et sauver certains artéfacts. Le site est ensuite acquis par la ville, déclaré Lieu historique national du Canada (1972) et classé par le gouvernement provincial (1984). Son importance repose sur la présence de vestiges liés à la traite des fourrures et aux activités humaines présentes depuis des millénaires.

Jusqu’en 2012, le site est en friche, inaccessible et soumis au vandalisme. De nombreux projets de mise en valeur ont été analysés depuis 1972 mais aucun n’avait obtenu les conditions nécessaires à sa concrétisation.

En 2012, les partenaires s’entendent sur la création d’un parc urbain qui respecte l’aspect naturel du site et qui met en valeur son caractère patrimonial. Le concept du projet valorise le site de fondation de Chek8timi, lieu d’échange et de rencontre des cultures millénaire. Le plan s’échelonne sur plusieurs années et implique une interaction profonde entre l’aménagement par la Ville de Saguenay, les fouilles menées par l’UQAC et l’interprétation à travers les expositions de La Pulperie de Chicoutimi.