Informations générales
Événement : 81e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Enjeux de la recherche
Description :En 2008, le physicien français Étienne Klein, constatant un désintérêt des jeunes pour les sciences, se demandait «comment la science [avait] pu perdre aussi rapidement de ses attraits, de son prestige?» De fait, plusieurs études font ressortir que l’enseignement peut décourager de la science. Au primaire, les élèves sont fascinés par les grenouilles et les étoiles, mais de 13 à15 ans, au passage des équations, l’intérêt décroit et après 15 ans, ce sentiment se cristallise et ce, même s’ils réussissent.
Que s’était-il passé avec la libido sciendi, avec le désir de savoir dont parlait Aristote? Klein formulait l’hypothèse «que la science, au lieu d’être présentée comme une authentique aventure intellectuelle, avec son histoire, ses héros, ses problèmes, ses méthodes, est enseignée comme un simple savoir-faire, une suite plate de résolutions d’exercices, une friche morte où pâturent des équations sans âme?»
La présente table ronde s’attardera à cette aventure qui vise à donner le gout du savoir. Cinq intervenants, qui «en ont vu» du public, viendront réfléchir autour de leurs pratiques de «séduction». Il y sera question des relations entre émotion et cognition, de l’importance de l’ancrage affectif, de la motivation qui se nourrit de désir, de ces rencontres «faiseuses» de vocation, de la dimension neurologique du plaisir de connaître, etc.
«L’enseignement n’est pas un vase que l’on remplit, mais un feu que l’on allume», Montaigne.
Date :- Johanne Lebel (Acfas)
- Christian Bouchard (Collège Laflèche)
Programme
Variations sur le désir de connaître
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Mot de bienvenue
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Les roses de la Brenta : apprendre, c'est fleurirChristian Bouchard (Collège Laflèche)
« Saveur » et « savoir » ont la même racine, le verbe latin sapere, soit « goûter ». Le savoir nous permet de mieux « goûter » le monde. Dans Galilée et les Indiens (Flammarion, 2008), le physicien français Étienne Klein évoque ces instants lumineux où après une démonstration mathématique, un raisonnement abstrait, une expérience de physique, « [l]e réel, soudain, vous répond. Se crée alors un contact intime, serré, avec lui, contact que procure une joie sans équivalent. On peut littéralement se faire plaisir avec la science, vibrer grâce à elle, c'est d'ailleurs pourquoi elle ne manque pas d'amants : comprendre aide à mieux ressentir. » C'est parce qu'il aimait contempler les roses de la Brenta au point d'en faire son épitaphe que l'écrivain Heinrich Heine souhaitait jusqu'à embrasser tout l'univers : « À la voûte azurée du ciel, où scintillent les belles étoiles, je voudrais coller mes lèvres dans un ardent baiser. » Le désir est le moteur de tout apprentissage. Que l'on veuille devenir un jour poète ou scientifique n'y change rien. L'enseignement des sciences, comme des lettres, passe par le désir. C'est lui qui donne accès au patrimoine de l'humanité, c'est le « Sésame, ouvre-toi ! » C'est aussi lui qui nous fait ressentir le besoin d'interroger le monde. De partir à la recherche du sens. Dans « question », il y a « quête ». Une quête scientifique est une quête amoureuse. Au cours de laquelle un esprit constate de plus en plus qu'apprendre, c'est fleurir.
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À la recherche du délire et de l'ivresse : le désir de connaître passant par l'approche historique et biographiqueClaude Boucher (UdeS - Université de Sherbrooke)
Il n'est pas de plus éminente façon de connaître la nature et l'état présent des choses que de se pencher sur la manière dont elles sont nées et se sont développées, bref, sur la manière dont, au cours des temps, elles sont devenues ce qu'elles sont. C'est Aristote, le plus célèbre des philosophes grecs, qui nous l'apprend. C'est aussi la leçon que j'ai voulu illustrer en mettant en scène dans Une brève histoire des idées de Galilée à Einstein la vie et la pensée de six grands hommes de science. Dans cet ouvrage, j'ai aussi voulu montrer que le choc des idées, des mentalités et des conceptions du monde est porteur de drames et de violences, dont l'intérêt ne le cède en rien aux épisodes de l'histoire politique.
On s'afflige du désenchantement que les jeunes semblent éprouver à l'égard de la science. Il faut reconnaître que la transmission du savoir scientifique telle qu'elle se pratique dans les écoles apparaît souvent ennuyeuse et momifiée. Un enseignement vivifiant de l'histoire des sciences pourrait, je pense, modifier cette perspective. Car la science contemporaine nous a révélé que le monde où nous sommes plongés est un inépuisable pays des merveilles. Oui, le monde est un enchantement, une source d'ivresse et de délire, et c'est la science, cette science que l'on croyait austère, qui nous l'apprend. C'est notre devoir que de révéler ce secret à nos élèves.
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Docere et placere : le désir de connaître passant par l'art et la scienceLinda Moussakova (Cégep de Saint-Laurent)
Cette libido sciendi peut être atteint en classe par des œuvres d'art. Assis dans un laboratoire de biologie, l'élève ne s'attend pas à voir des tableaux de grands maîtres de Rubens ou de Velasquez. Leurs yeux s'illuminent instantanément à la vue de ces œuvres. Cela surprend, intrigue, amorce des discussions, car le lien avec la biologie n'est pas toujours évident.
Cette idée a pris naissance à l'époque archaïque des acétates. Mais c'est indéniablement l'arrivée des projecteurs et de la médiatisation des classes qui ont changé du tout au tout mon enseignement. En un clic, de magnifiques images provenant des plus beaux musées du monde étaient accessibles.
Depuis 2011, cette matière se retrouve aussi sur un blogue. Les élèves peuvent y flirter avec les mathématiques ou la physique et être séduits par des jumelages artistiques avec d'autres disciplines scientifiques. Cette plateforme permet d'ouvrir à de multiples publics, hors de la classe.
Tout comme en amour…le plaisir est de mise. L'enseignement des sciences doit s'inscrire dans la philosophie d'Horace « Docere et Placere » qui signifie Instruire et Faire Plaisir. -
La chimie de l'amour : le désir de connaître passant par l'expérience de vieNormand Voyer (Université Laval)
D'un côté, on prend acte d'une technoscience qui surdétermine toute notre société et de l'autre, on observe d'importantes failles du côté de l'esprit critique, rationnel et scientifique. Quand le chercheur prend conscience de cette situation paradoxale, il peut alors avoir le goût d'entrer dans la mêlée. Et s'il vise à intéresser les jeunes ou le grand public à sa science, à la science, il aura une distance à parcourir, un point de vue à modifier, un angle nouveau à trouver, bref beaucoup du travail à faire. Et s'il est du côté de la chimie, et que son point de départ est moléculaire, la distance à couvrir tiendra alors du grand écart.
Mais un chemin s'est ouvert, pas évident au premier abord, car il était celui de l'amour... Et en avançant masqué sur ce sentier, le chercheur en profiterait pour faire connaître ce qu'est l'approche scientifique, pour démonter le mythe du « bollé » ou faire voir, sans moraliser, les aléas des émotions médicamentées.
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Pause
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Mettre la table et mettre le feu : le désir de connaître passant par la démonstrationYvon Fortin (Cégep Garneau)
La démonstration, qui repose autant sur l'émotion que sur la raison, permet de camper « les choses » dans une perspective nouvelle et signifiante. Il s'agit alors de modifier le point de vue, de varier le « lieu » d'observation. De là, on s'efforce de formuler des idées qui bouleversent les schèmes habituels. Ainsi, le récepteur ne peut plus utiliser convenablement ses préconceptions pour interpréter ce qui est présenté. Il est déplacé. Il est prêt à être surpris.
Le démonstrateur veut provoquer cet effet de surprise qui place l'auditoire sur une zone inhabituelle. C'est là une des astuces les plus efficaces. On ne doit pas rester sur le terrain du public, mais le projeter sur le nôtre. Et pour cela, tous les coups sont permis : histoires, anecdotes, phénomènes, illusions, métaphores, analogies, expériences, objets, idées, modèles, théories. On tire sur tout ce qui bouge. On provoque, on choque, on soulage, on dérange, on apaise, on rassure, on perturbe. Tout ce qui met l'auditoire dans un état inconfortable et demande une explication, qui le pousse à vouloir comprendre, à chercher une réponse. Tout cela fait partie de l'arsenal de la démonstration. Créer une tension intellectuelle que l'on désamorce par des idées et des observations qui, même si elles nous perturbent, nous rassurent et nous élèvent.
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Discussion
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Mot de clôture