Informations générales
Événement : 81e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :Le présent colloque vise à mettre en valeur le développement nordique de l’intérieur, c’est-à-dire du point de vue des populations autochtones qui y vivent depuis des millénaires, qu’elles soient inuit, crie, naskapie, innue, anishnabe ou atikamekw; s’ajoute également la population autochtone des milieux urbains régionaux localisée dans le moyen nord québécois. Dans les débats qui ont mobilisé des milliers de personnes autour du fameux Plan Nord du gouvernement québécois depuis les trois dernières années, très peu de place a été laissée jusqu’à maintenant aux approches du développement proposées par les peuples autochtones eux-mêmes, à leurs propres visions du progrès, de l’économie, de l’environnement et de la vie sociale. L’exercice vise à examiner de manière un peu plus ciblée les expériences, les savoirs, les expertises et les aspirations des Peuples autochtones des régions nordiques de la province en matière de développement : comment ce développement est-il envisagé par les jeunes, les femmes, les aînés, les hommes? Quelles postures ont adopté les instances politiques au regard des nouveaux enjeux? Quelles avenues alternatives, le cas échéant, ont été proposées? Ce colloque permettra également de faire le bilan des dernières décennies en matière d’exploitation des ressources renouvelables et non-renouvelables, toujours du point de vue des premiers concernés. En effet, le territoire nordique a été abondamment exploité et transformé depuis les années 1970. Des traités ont été signés avec les Peuples autochtones, des milliers de kilomètres de route ont été tracées, de nouvelles frontières territoriales ont été délimitées. Pourtant, les discours récents autour du Plan Nord en ont rarement fait état. Le territoire nordique demeure un monde méconnu et mal connu. En réunissant des acteurs du monde académique et du monde autochtone, ce colloque sera l’occasion d’élargir le débat et d’explorer de nouvelles avenues de recherche.
Date :Programme
Nommer les lieux (première partie)
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Description des premiers toponymes espagnols d'Amérique du Sud (17e siècle) permettant d'extraire des renseignements linguistiques et historiques sur les divers toponymes autochtonesMarc-Alexandre Beaulieu (Université de Leiden)
Les toponymes recensés en Amérique du Sud dès le XVIe siècle proviennent surtout des chroniques espagnoles. Nous avons aussi une liste exhaustive de toponymes espagnols dans un ouvrage de Bernabé Cobo (1580-1657). Les Espagnols visitant ou s'établissant en Amérique du Sud ont souvent eu recours à des hagionymes préférés pour nommer des lieux, ce qui a favorisé une certaine homonymie, d'où l'importance de noms hybrides comme : San Juan de la Frontera de « Guamanga », San Jerónimo de « Tunán » ou San Pablo de « Lima » (trois noms quechuas). En plus des noms hybrides, on peut noter des contacts multilingues par association contextuelle avec d'autres toponymes comme : Santa Bárbara avec « Oruro » (un nom aymara), San Lorenço et San Bartolomé avec les rivières « Piraí » et « Guapay » respectivement (deux noms guaranis), San Antonio et le mont « Aconcagua » (un nom mapuche), Santa Maria et « Comarapa » (un nom chané). La récupération des toponymes et des documents historiques est vitale pour la sauvegarde des cultures et sera utile entre autres pour des travaux de reconstitution historique. À partir de la liste d'hagionymes de Cobo, j'ai localisé les lieux qu'ils désignent et j'ai été en mesure de déterminer leur année de fondation. Par la suite, il me reste à recueillir des renseignements historiques associés au nom en effectuant des recherches sur le Net. Digne d'intérêt, ces renseignements permettent un premier contact avec les groupes ethniques locaux et leur langue.
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Deux standards et deux mesures dans la volonté de conservation du patrimoine toponymique autochtone?Şükran Tipi (Université Laval)
Les noms de lieux, transmis par tradition orale de génération en génération depuis des
millénaires, servent de témoins de la symbiose entre les Autochtones et leur
milieu, désignant des entités géographiques avec lesquelles ils entraient en
contact lors de leurs activités traditionnelles et leurs déplacements. Or la
sauvegarde et la promotion du patrimoine toponymique dépend encore d'autorités
compétentes. La fluidité de la tradition orale entre en conflit avec les
critères d'évaluation et les règles de normalisation définis pour guider les
choix officiels, tendance touchant les Premières Nations dont la situation
linguistique n'est pas normalisée, comme c'est le cas des Pekuakamiulnuatsh
(Innus du Lac Saint-Jean), à Mashteuiatsh. En partant du besoin local d'un
inventaire toponymique qui s'insère dans un processus de revitalisation linguistique
et culturelle, on présentera les défis rencontrés lors d'un projet de
documentation en langue innue depuis 2008. Par des exemples concrets,
différentes questions seront soulevées et des amorces de solution livrées à la
discussion : Comment identifier et documenter les toponymes issus d'une
longue tradition orale pour démontrer leur évolution à travers le temps?
Comment faire la traduction, souvent difficile, du sens au moins approximatif
de ces toponymes, souvent exigée par les modèles occidentaux? Comment appuyer
une démarche vers la reconnaissance et l'officialisation de ces noms de lieux
comme patrimoine immatériel?
Nommer les lieux (deuxième partie)
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Le rapport vital au territoire chez les Innus et les autochtones en généralAnne Doran (Institut de pastorale des Dominicains)
Pour les Innus et plus généralement les autochtones, l'humain est inclus dans le monde. Il n'est pas supérieur aux autres groupes d'êtres, mais appartient au même univers qu'ils constituent tous ensemble. Il reçoit la vie du monde, monde qui se donne à lui sous forme de la nourriture, de l'abri, des vêtements qu'il lui procure et qui lui permettent de poursuivre cette vie qu'il a reçue comme un don. La survie du monde tient aux dons qui se font entre les différents groupes d'êtres. C'est en cela que la chasse est si importante et constitue une activité sainte parce que pleinement en accord avec l'ordre du monde qui s'appuie sur une assise spirituelle. Le rapport au territoire se comprend dans ce contexte : il procure à l'humain la vie par la nourriture, le vêtement et l'abri. En retour, l'humain entretient le territoire dont il est responsable. Sa vie est donc éminemment liée au territoire. Les rêves qui amènent le chasseur au gibier qu'il prendra lui sont liés de façon très précise : devant tel arbre de la forêt, sur tel lac. L'Innu faisait des périples incroyables qui pouvaient le mener à chaque année de la Basse Côte Nord jusqu'au Labrador. Cela impliquait qu'il connaisse parfaitement le territoire, lieu qui lui donnait la vie et avec lequel il entretenait des liens spirituels et affectifs. Ce fondement territorial de la conception innue du monde doit être pris en compte dans les négociations territoriales avec les autochtones.
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La toponymie autochtone du Nord canadien
La
toponymie des régions faiblement peuplées du Nord des provinces jusqu'à
l'Archipel arctique canadiens connaît une transformation accélérée depuis trois
décennies. La valorisation d'une toponymie autochtone qu'on étudie, négocie
puis adopte officiellement rejoint une volonté d'affirmer une souveraineté
gouvernementale ou déléguée sur divers niveaux de nouveaux territoires, dont
les statuts et les compétences variés ne sont pas définitifs. La toponymie
devient un autre argument dans le développement économique, culturel, social et
environnemental du Nord. La compréhension des noms d'entités géographiques,
avec leurs positions, étendue et limites variables, selon les langues et
l'échelle, au gré d'usages significatifs parfois saisonniers, pose de nombreux
problèmes conceptuels, culturels, politiques et pratiques. Les conditions et
circonstances de ce renouveau toponymique imposent des restrictions mais aussi
permettent de nouvelles opportunités. Par des expériences de dénomination ou re-nomination à travers
l'histoire, allant de cueillir et cartographier des noms anciens jusqu'à remplacer
et diffuser de nouveaux toponymes dans l'usage, les autorités gouvernementales
et les représentants locaux ont initié et élaboré bien de moyens pour traiter
les difficultés et répondre adéquatement à des besoins parfois contradictoires.
Nous brosserons un tableau actuel critique des méthodes et conséquences de
l'opération administrative de cette toponymie autochtone du Nord canadien. -
Les toponymes traditionnels seront-ils un jour adoptés au Nunavut?Lynn Peplinski (Inuit Heritage trust)
Mettre les toponymes traditionnels sur les cartes officielles représente un défi au Nunavut. Des milliers de toponymes ont été acheminés au gouvernement du Nunavut au cours des dernières années afin qu'ils soient officiellement adoptés. Des milliers d'autres doivent s'ajouter aux cartes officielles du Nord canadien.
Que peut-on faire pour s'assurer que ces noms trouvent enfin leur place sur les cartes? De nos jours, les terres occupent une grande place dans la vie des gens pour des raisons récréatives ou pour trouver de la nourriture. Pour leschasseurs inuits du Nunavut, des cartes avec des toponymes traditionnelsdeviennent essentielles. Contrairement à l'époque où tout le monde vivait surla toundra et voyageait en famille et où les noms de lieu étaient connus detous, les Inuit d'aujourd'hui ont besoin de cartes avec des toponymesappropriés. Que ce soit en été par bateau ou en hiver par motoneige, les gensparcourent de grandes distances, communiquant entre eux en inuktitut par radio à ondes courtes. Les cartes sont une façon fiable d'en apprendre davantage sur ces lieux traditionnels afin de les transposer dans le monde moderne. Le Nunavut est unique au Canada pour sa grande quantité de toponymes traditionnels toujours en usage localement. Les initiatives du Inuit Heritage Trust visent à les répertorier et à recueillir l'information pertinente auprès des communautés du Nunavut. Nous présenterons quelques-unes de nos cartes et commenterons celles que préfèrent les Inuit.