Informations générales
Événement : 81e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :La correspondance, forme discursive fortement répandue au 19e siècle, a longtemps été dominée par une lecture strictement documentaire, négligeant ainsi les considérations politiques, sociales, culturelles ou esthétiques. L’objet de cette journée d’étude est double. D’une part, il s’agit de faire le point sur les recherches actuellement consacrées aux oeuvres épistolaires du 19e siècle québécois et, d’autre part, d’interroger les différents types de relations qui se nouent entre l’épistolaire, le social et la naissance d’une littérature nationale. En somme, retracer les échos de la sensibilité du siècle à même le dit et le non-dit épistolaire.
En s’intéressant à la pratique de la correspondance chez les écrivains comme chez les sans-nom, il est possible de rectifier certains préconçus historiques, de réhabiliter des groupes d’individus, dont les femmes, ou de revisiter quelques trajectoires ou œuvres du corpus québécois. Si les spécialistes de l’épistolaire en France conçoivent ce siècle du privé, de l’éveil des nationalités, de l’historiographie et du romantisme comme une période de rupture ou de transition dans l’usage que font les individus de leur correspondance, il reste à observer ce qu’il en est au Québec. Voici quelques pistes de réflexion possibles :
Quels rapports la lettre entretient-elle avec les autres modes de sociabilité?
Que révèlent les correspondances de l’époque sur les pratiques de lecture?
Quel est l’usage que font les épistoliers des modèles et des codes en vigueur?
La lettre est-elle conçue comme un laboratoire de l’oeuvre littéraire?
Quelles sont les postures d’écriture privilégiées?
Dans quelle mesure la lettre participe-t-elle à la circulation des idées et des discours?
Date :Programme
L'épistolière et le politique
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Mot de bienvenue
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La sociabilité domestique à la croisée de la sphère publique : le cas de la correspondance PapineauMarilyn Randall (UWO - University of Western Ontario)
Désignée « femme patriote » par l'éditrice de sa correspondance, Julie Bruneau Papineau l'était assurément, et pourtant, conformément aux mœurs bourgeoises de l'époque, elle semble n'avoir posé aucun geste qui pouvait se qualifier de politique. Si sa correspondance nous est précieuse, c'est en partie pour ce qu'elle révèle d'une pensée politique développée pendant de nombreuses années, clairement articulée et exprimée sans gêne devant le « grand homme », quand même parfois accompagnée d'apologies du fait de « parler politique ». En fait, devant le silence généralisé des femmes dans l'arène politique, les lettres de Julie Bruneau Papineau sont de rares documents témoignant non seulement de son intérêt pour les affaires politiques des années mouvementées autour des Rébellions de 1837-38, mais permettant de corriger quelque peu l'image reçue des femmes à l'époque, et d'elle en particulier, comme ayant exercé un « effet assagissant » sur leurs maris autrement rebelles. Nous lirons alors la correspondance de Julie à la lumière de sa pensée politique, et surtout par rapport au rôle de conseillère qu'elle se donne à l'endroit de son mari. Bien que les lettres de Papineau ne permettent pas de confirmer une quelconque influence exercée par l'épouse sur le leader du Parti patriote, celles de Julie nous confirment qu'elle n'hésitait pas à utiliser la correspondance comme façon de participer à la sphère politique qui lui était autrement close.
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« A son Excellence, Mon cher Monsieur, cher ami » : quand la lettre féminine se fait requêteMylène Bédard (UdeM - Université de Montréal)
En condamnant des centaines d'hommes à l'emprisonnement ou à l'exil, les Rébellions de 1837-1838 entraînent la venue à l'écriture épistolaire de nombreuses Bas-Canadiennes de milieux sociaux distincts. Si le contexte de familiarité favorise l'assouplissement des règles qui encadrent cette forme d'écriture, la rédaction de requêtes aux autorités suppose, quant à elle, un respect plus strict du protocole. La question des codes épistolaires concerne aussi bien le support (marges, ratures, en-tête) que le discours (formules de politesse et de salutations, qualité de l'expression). L'usage que font ces épistolières des conventions en vigueur nous renseigne à la fois sur les rapports de pouvoir qui les lient au destinataire, sur la représentation du féminin qui circule alors et sur les modèles qui leur sont imposés, notamment par le discours religieux. À partir d'exemples de lettres de femmes liées au mouvement patriote, cette communication entend examiner les stratégies grâce auxquelles ces épistolières négocient ces contraintes sociales et discursives pour formuler leur requête et se poser en interlocutrice légitime, tout en respectant l'autorité de l'autre à qui elles s'adressent, qu'il soit un époux, un magistrat ou un Gouverneur. L'étude de ces stratégies nous permettra d'observer comment ces épistolières du XIXe siècle s'approprient la culture épistolaire.
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Pause
Correspondances et sociabilités
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Posture, stratégies et réseaux : l'épistolaire comme creuset et faire-valoir de l'activité littéraire des femmes au 19e siècleJulie Roy (Bibliothèque et Archives Canada)
Savoir entretenir des correspondances témoigne à la fois de la capacité des femmes à jouer leur rôle de ciment social au sein de leurs réseaux, mais également d'un certain habitus sinon littéraire, du moins scripturaire. Les correspondances conservent l'empreinte de la relation des femmes à l'écriture mais également, dans le cas de certaines femmes qui ont aspiré à la reconnaissance dans les cercles intellectuels, les marques tangibles de leur éveil littéraire et des stratégies mises en place pour accéder à une certaine légitimité en tant qu'auteure. À partir de l'analyse des trajectoires de quelques femmes lettrées, de leurs correspondances ou de textes qu'elles ont fait paraître dans la presse, il s'agira d'étudier les postures et les stratégies qui ont modulé la participation de ces aspirantes femmes de lettres à la vie littéraire du XIXe siècle. Des correspondances familières privées d'une Louise-Amélie Panet ou d'une Catherine-Françoise de Céloron à la prise de parole publique par la voie de la presse d'une Odile Cherrier ou d'une Élise B. Larivière, pour n'en nommer que quelques-unes, comment le régime épistolaire leur a permis de négocier l'acceptabilité du geste d'écrire dans leurs réseaux et leur légitimité comme femme de lettres dans le champ littéraire qui se met graduellement en place.
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Du salon à l'Académie : sociabilités informelles et formelles dans la correspondance de Henri-Raymond Casgrain au 19e siècleManon Brunet (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
Au sein d'un réseau, même tissé serré, la correspondance prend des formes et occupe des fonctions différentes, selon les objectifs et les complicités que les épistoliers partagent. Le réseau français de Henri Raymond Casgrain est particulièrement éloquent à ce titre. L'animateur des lettres canadiennes n'accomplit pas moins de quinze voyages en Europe entre 1858 et 1899, dont la majorité sont en France durant les hivers surtout à partir de 1885. Durant ces longs séjours dans les milieux intellectuels français, Casgrain fréquente autant les salonnières que les académiciens. Ces relations sont soigneusement entretenues par des billets quotidiens ou par la correspondance à distance entre 1887 et 1903 que nous avons retracés dans des fonds d'archives. La sphère privée, informelle, féminine est autant sollicitée que la sphère publique, formelle, masculine des académiciens. Dans les salons, les sociabilités sont perméables à l'actualité politique ; auprès des académiciens, elles manoeuvrent l'institutionnalisation du souvenir. Nous voudrions montrer la posture que Casgrain adopte dans chacun de ces milieux et la réception qui lui est réservée en tant que Canadien, historien et abbé de salon.
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Dîner
Lettres d'écrivains
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La correspondance de Charles Gill à Louis-Joseph Doucet ou les confessions d'un enfant du 19e siècle : filiations et postures littéraires du poète épistolierLouis-Serge Gill (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
Participant régulier à l'École littéraire de Montréal, héritier direct des poètes canadiens et français du XIXe siècle, où se situe Charles Gill ? Selon Jeanne Paul-Crouzet, l'œuvre entamée par Gill se distingue de celle de ses prédécesseurs et de ses contemporains : « Mais c'est surtout dans la substance poétique elle-même que résidera l'originalité de Charles Gill [...], cet être tout de sensibilité, dans ce poète qui ''sentait et ne raisonnait pas'', un aède de haute allure philosophique. » (1946 : 163) Entre 1910 et 1918, le poète tiendra durant les dernières années de sa vie, une correspondance régulière avec son ami et poète Louis-Joseph Doucet. Depuis la parution de ces lettres en 1969, la critique littéraire semble en avoir oublié la richesse. Nous pensons qu'il serait à propos d'y revenir pour une meilleure connaissance du poète qu'était Charles Gill, mais aussi afin d'en faire une analyse de la perception que Gill avait de lui-même, encore toute à décrypter dans les lettres, confrontée à la perception que l'on avait de lui à l'époque et surtout, à ce qui était la norme au XIXe siècle. Ainsi, il serait possible d'observer une continuité ou une rupture d'avec les grands modèles canadiens qui le précédaient et, à travers la représentation qu'il avait de lui-même, de saisir les conditions d'émergence ou de refoulement de la posture de l'écrivain marginal dans la vie littéraire de l'époque.
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La lettre comme lieu d'invention d'un destin littéraire : le cas Laure ConanMarie-Pier Savoie (Université Laval)
En dépit de la grande reconnaissance et de l'attention critique dont n'a cessé de jouir depuis le XIXe siècle l'œuvre de Félicité Angers - de son nom de plume Laure Conan - force est de constater qu'aucune étude approfondie n'a encore été consacrée à sa correspondance, publiée par Jean-Noël Dion, en 2002, sous le titre J'ai tant de sujets de désespoir. Correspondance, 1878-1924. Mon projet de maîtrise en étant à ses premiers balbutiements, il s'agira ici de se pencher spécifiquement sur quelques lettres de Conan où se déploie, me semble-t-il, la genèse de l'écrivaine. Dès la préface d'Angéline de Montbrun, le lecteur est mis au fait que le statut d'auteure de cette pionnière s'authentifie sous l'autorité du « père de la littérature nationale », l'abbé Henri-Raymond Casgrain, ce que corrobore leur correspondance. Si Casgrain favorise de façon évidente l'inscription institutionnelle de Conan dans le champ littéraire de l'époque, il apparaît cependant que les échanges entre Félicité et certaines religieuses, dont Sœur Catherine-Aurélie-du-Précieux-Sang, s'offrent comme un lieu privilégié où se révèle et s'émancipe la voix singulière de l'écrivaine. Il s'agira donc de comparer cette correspondance tournée vers l'intime avec les lettres de type plutôt conventionnel adressées à Casgrain, afin de mieux comprendre comment chacun des destinataires participe — consciemment ou non — à la construction du statut d'écrivaine de Conan.
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La lettre comme genre protéiforme
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À propos de trois lettres de François-Maurice LepailleurMarie-Andrée Beaudet (Université Laval)
Le corpus au cœur de ma communication offre, à première vue, très peu de liens à la littérature, notamment à la littérature comme nous l'entendons aujourd'hui. La langue est pauvre, le vocabulaire limité, l'orthographe très instable et qui plus est l'auteur n'a jamais revendiqué le statut d'écrivain. Des écrits de François-Maurice Lepailleur, nous sont parvenus les quatre cahiers du journal intime qu'il a tenu lors de son exil aux terres australes (Journal d'un patriote exilé en Australie. 1839-1845, texte établi, avec introduction et notes, par Georges Aubin, Québec, Septentrion, 1996, 411 p.) ainsi que trois lettres rédigées alors qu'il était incarcéré à la Prison de Montréal et adressées successivement à sa femme, Adélaïde-Domitilde Cardinal, à ses compatriotes et à un ami bienfaiteur, Pierre-J. Beaudry. Mon analyse portera principalement sur ces trois lettres et sur ce qu'elles mobilisent en termes de savoir littéraire et de connaissances sur la sensibilité du XIXe siècle québécois dans la perspective d'une réflexion plus générale sur la naissance, non pas institutionnelle, mais sociale d'une littérature canadienne.
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Lettres d'un exilé, lettres d'un condamné : postures et possibles littéraires dans les années 1830-1840Marie-Frédérique Desbiens (Université Laval)
Dans la compréhension du XIXe siècle québécois, les écrits de patriotes sont incontournables. À l'intérieur de ce corpus, les lettres de Chevalier de Lorimier se distinguent en tant que « chef-d'œuvre épistolaire » (Mailhot, 1996). Elles semblent aujourd'hui avoir éclipsé l'ensemble de la production littéraire des années 1830-40, comme si le testament politique du condamné pouvait la résumer à lui seul. Or, il existe d'autres écrits fondamentaux qui permettent d'éclairer ce moment historique et culturel sans précédent. C'est le cas des lettres de Siméon Marchesseault, patriote exilé aux Bermudes en 37, que la présente communication étudiera. Si cette dernière correspondance construit, de la même manière que celle de Lorimier, la figure du martyr (Randall, 2002) et révèle une dimension personnelle dans les missives à Judith, elle comporte également un horizon public, « scientifique » et médiatique qu'il faut cerner. Le contexte de l'exil, bien distinct de celui de l'emprisonnement, favorise en effet le regard ethnographique de l'épistolier, rapprochant ses textes d'autres genres tels le récit de voyage et le reportage. La présence de la presse et le rôle qu'elle joue dans la circulation de l'information - dont l'épouse se fait ici la médiatrice - est également à investiguer. En somme, l'examen des lettres de Marchesseault, avec en contrepoint celles de Lorimier, sera l'occasion d'une saisie plus complète des postures et des possibles du champ de la première moitié du XIXe siècle.
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Le Journal du siège de Paris au croisement de la lettre, du journal intime et du journal de presseMicheline Cambron (UdeM - Université de Montréal)
Le Journal du siège de Paris d'Octave Crémazie est un objet curieux, une suite de notes prises au jour le jour et initialement destinées par Crémazie à être envoyées à ses frères comme des lettres, même s'il ne sait pas quand il les enverra, écrit-il. Ce sont ces notes, qui seront finalement envoyées en un seul colis et présentées à sa famille comme son « journal », qui furent publiées sous ce titre par Henri-Raymond Casgrain dans les Œuvres complètes de Crémazie. Ces notes possèdent plusieurs traits caractéristiques de la lettre : outre la date, elles mettent en scène des destinataires qui se trouvent présents en creux. Mais elles sont d'une facture différente des autres lettres envoyées par Crémazie à sa famille. Au croisement de la lettre familière, du journal intime et du journal de presse, ces « lettres » donnent sur Paris assiégé des informations de première main, Crémazie adoptant la posture du flâneur qui glane anecdotes, descriptions et petits faits lors de ses déambulations. Nous nous intéresserons à la triple appartenance générique de ces lettres et nous interrogerons sur la figure du lecteur qui s'y trouve doublement inscrite : Crémazie lecteur de Paris, ses destinataires lecteurs des lettres.