Le prix Acfas Pierre-Dansereau 2019, pour l’engagement social, est remis à Marie-Thérèse Chicha, professeure à l’École de relations industrielles de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal.
La lauréate a toujours été guidée par la volonté de contribuer à réaliser l’égalité au travail sans discrimination. Tant ses recherches que ses actions attestent son indéfectible engagement intellectuel et social envers cet objectif. Ses travaux ont fait d’elle une experte recherchée en matière de politiques d’égalité et ont contribué de façon remarquable au développement de telles politiques au Québec, au Canada ainsi qu’à l’international. Elle a constamment été pionnière dans l’exploration des diverses facettes des inégalités en emploi.
Détentrice d’un doctorat en économie de l’Université McGill, Marie-Thérèse Chicha s’est d’abord intéressée, dans le cadre de sa thèse, au travail domestique gratuit réalisé par les femmes, dont elle a estimé la valeur annuelle à près de 50 % du PIB canadien – contribution énorme, mais non reconnue, au bien-être économique. Chercheuse à la Commission des droits de la personne du Québec dans les années 80, elle a poursuivi son œuvre de pionnière en définissant la discrimination dans sa dimension systémique à partir d’une approche multidisciplinaire alliant notamment économie, droit et sociologie. Cette définition fait autorité dans de nombreux domaines : recherches, jurisprudence, politiques. Professeure depuis 1992 à l’École de relations industrielles, elle a construit les premiers cours et séminaires portant sur l’équité en emploi et la diversité. Elle a parallèlement développé un programme de recherche sur la situation des travailleuses dans divers métiers non traditionnels. Les résultats de ces travaux ont été utilisés par des syndicats et des associations soutenant l’égalité des travailleuses.
Consciente du fait que l’on ne peut espérer améliorer la situation économique des travailleuses de façon durable tant que le marché les rémunérera à un taux inférieur à celui de leurs collègues masculins, elle a accepté de présider en 1995, à la demande du gouvernement du Québec, le comité chargé de proposer un modèle de loi proactive d’équité salariale. La loi qu’elle a conçue est considérée comme la plus achevée au monde. En 2001, le gouvernement canadien a nommé Marie-Thérèse Chicha membre du Groupe de travail chargé de proposer un nouveau modèle d’équité salariale pour la juridiction fédérale. Son rôle a été déterminant dans la rédaction du rapport final, qui constitue, de l’avis d’experts nationaux et internationaux, l’ouvrage de référence incontournable en équité salariale. En 2018, ses recommandations ont été reprises en partie dans la nouvelle loi proactive canadienne sur l’équité salariale. À cette occasion, elle a été consultée à plusieurs reprises par la Chambre des communes et le Sénat.
Au plan international, elle est considérée comme l’une des plus éminentes expertes en matière de politiques d’égalité. Entre 2006 et 2011, elle a rédigé plusieurs ouvrages à la demande du BIT (Bureau international du travail – agence des Nations-Unies) pour soutenir le développement de sa nouvelle stratégie de mise en œuvre de l’équité salariale à travers les 180 pays membres. L’un de ses livres a été traduit en 11 langues, allant du chinois à l’arabe, en passant par le portugais, le danois, l’anglais, l’espagnol, etc., ce qui est exceptionnel de la part du BIT et qui s’explique par la qualité pédagogique de l’ouvrage, celui-ci aidant notamment les travailleuses à comprendre les fondements de l’équité salariale. Il témoigne de la détermination de Marie-Thérèse Chicha à faire participer les travailleuses elles-mêmes à la transformation sociale émanant des politiques d’égalité. Au Québec, ses publications et ses formations ont touché plusieurs centaines d’étudiants, de gestionnaires, de syndiqués ainsi que de membres de groupes communautaires. À l’étranger, sur invitation du BIT et d’autres instances, elle a offert des formations sur les politiques d’égalité dans divers pays : Maroc, Danemark, Suisse, France, Belgique, Suède, Ukraine, etc. Au Portugal, elle a contribué à la mise sur pied d’un programme d’équité salariale dans le secteur de la restauration; en Allemagne, sur invitation du BIT et du gouvernement, elle a participé à un atelier d’experts qui a contribué à l’adoption de la première loi sur l’équité salariale dans ce pays, en janvier 2017.
Un autre champ de recherche et d’intervention majeur de Marie-Thérèse Chicha, où elle a joué également un rôle de pionnière, est celui des programmes d’accès à l’égalité, partie intégrante de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Ayant constaté leur faible impact, elle a réalisé en 2014 une étude (co-auteur Éric Charest) qui identifiait les facteurs explicatifs et recommandait des modifications majeures. Celles-ci ont suscité un intérêt marqué à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, et au sein des syndicats et des ONG.
Marie-Thérèse Chicha, elle-même immigrante née en Égypte et d’origine libanaise, s’est intéressée aussi aux politiques d’immigration. Elle a rédigé (co-auteur Éric Charest) la première et jusqu’ici la seule étude exhaustive des politiques d’immigration et d’intégration du Québec, étude que les organismes d’aide aux immigrants ont utilisée dans leurs revendications auprès des gouvernements. Dans une perspective intersectionnelle, elle s’est penchée sur la déqualification subie par les travailleuses immigrantes dans une étude intitulée Le mirage de l’égalité. Celle-ci a eu un retentissement important auprès des immigrantes, qui se sont reconnues dans cette analyse. Autre œuvre pionnière majeure, elle a fondé en 2015 l’École d’été sur l’immigration, l’intégration et la diversité sur le marché du travail, qui réunit annuellement des spécialistes nationaux et internationaux et permet aux participants de comprendre de grands enjeux contemporains.
Au-delà de son rayonnement dans des forums nationaux et internationaux, Marie-Thérèse Chicha a su sensibiliser le public en général aux questions d’égalité sans discrimination grâce aux quelque 120 entrevues accordées à des médias nationaux et internationaux.
Marie-Thérèse Chicha a reçu plusieurs prix : prix Hommage du Comité permanent sur le statut de la femme de l’Université de Montréal, trophée Femme arabe pour l’enseignement et la recherche attribué par l’Espace féminin arabe, prix Santé, recherche et éducation de la Chambre de commerce et d’industrie canado-libanaise. Enfin, en 2015, elle a été récipiendaire du prestigieux Prix du Gouverneur général du Canada, en commémoration de l’affaire « personne », pour sa contribution exceptionnelle à l’égalité des femmes au Canada.