Katy Leduc
La tolérance foetale : l'énigme de la reproduction humaine
Notre système immunitaire nous protège des agents étrangers, et c’est là une tâche à temps plein. Aucun processus physiologique n’échappe à cette surveillance, ou presque... En effet, et heureusement, le système immunitaire maternel tolère la présence de l’embryon. Plus encore, il déjoue son propre fonctionnement pour permettre, au bout de neuf longs mois, l’arrivée d’un poupon. Heureux défaut ou savant dysfonctionnement?
Notre système immunitaire est composé d’une myriade d’éléments, dont les globules blancs, aussi appelés leucocytes. Parmi eux, les monocytes, une catégorie à part, sont, par leurs facultés quasi uniques, des plaques tournantes de tout processus immunitaire.
Véritables « bennes à ordures » en transit dans le sang, les monocytes passent la majeure partie de leur vie hors du système sanguin, soit dans les tissus, où ils s’infiltrent pour devenir macrophages. Tout comme dans le sang, ces macrophages patrouillent dans les tissus à la recherche d’agents pathogènes en vue de les éliminer.
Et la grossesse dans tout ça?
La déposition du sperme dans les voies reproductrices femelles entraîne la production de cytokines, des molécules servant à la communication entre les cellules. Ces cytokines provoquent l’infiltration des macrophages dans les tissus utérins lors des premiers jours de la grossesse. Au même moment arrive dans la cavité utérine, l’ovule fécondé sous une forme multicellulaire développée, le blastocyste. Découlant de la fusion de deux cellules, ovule et spermatozoïde, le blastocyste est génétiquement différent des cellules dont il origine. Ainsi, les éléments du système immunitaire maternel le reconnaissent comme étant à moitié identique à l’ovule, et donc aussi à moitié étranger. Ce sont les molécules à la surface du blastocyste, les antigènes, qui alertent le système immunitaire maternel. Puisque la composition des antigènes est déterminée par le bagage génétique d’un individu, les antigènes paternels sont reconnus par les éléments du système immunitaire maternel comme l’ennemi, ce qui devrait provoquer une inflammation.
Quant au rôle des macrophages…
Ailleurs dans l’organisme, les macrophages identifiant des antigènes étrangers favoriseraient la réaction inflammatoire en sécrétant des cytokines pro-inflammatoires. Ces dernières attirent habituellement les autres éléments cellulaires du système immunitaire, lesquels contribuent à éliminer les agents étrangers. L’embryon en développement devrait donc être attaqué. Or, c’est précisément ici que se trouve le paradoxe : dans le milieu utérin, les macrophages se font plutôt les acteurs principaux d’une réaction d’immunotolérance, en sécrétant des cytokines qui limitent l’inflammation. Contre toutes attentes, les macrophages sembleraient favoriser le développement et la survie embryonnaire.
Une piste vers l’élucidation de l’énigme
Les fonctions des macrophages dépendent essentiellement de leur environnement biologique. L’action des hormones gestationnelles sur le milieu utérin fait en sorte que celui-ci est plutôt du type anti-inflammatoire. Nécessairement, les macrophages s’adaptent à cet environnement, ce qui leur permet de participer à l’amplification du phénomène de tolérance immune. Ainsi, le milieu utérin s’adapte d’abord à l’arrivée de l’embryon en sécrétant des hormones spécifiques de la grossesse, lesquelles agissent sur les macrophages en vue de les rendre plus « coopératifs » au développement de l’embryon. Ces macrophages sécrètent alors des cytokines qui entraînent la participation à la fois du milieu utérin et des autres éléments du système immunitaire maternel au succès de la grossesse. Ainsi, la reproduction ne serait pas un simple défaut, mais bien un savant dysfonctionnement, finement régulé à travers un réseau complexe de cytokines et d’hormones.
C’est en élucidant le processus de communication entre l’embryon et les macrophages qu’il sera possible de traiter plusieurs complications associées à la grossesse, dont l’infertilité. Et la solution viendra pour tous ces couples en mal d’avoir un enfant… dans un avenir peut-être pas si lointain.