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Du 3 au 5 mai 2023, l’Institut de recherche en musique et santé a tenu sa première rencontre scientifique à l’Hôpital Royal d’Ottawa. S’y était rassemblée une diversité d’organisations intéressées par la relation « musique et santé » : établissements d’enseignement postsecondaires, hôpitaux, organismes communautaires étaient au rendez-vous. Parmi la variété de thèmes, les expériences musicales des personnes ayant un trouble auditif ont été abordées. Nous rendons compte ici de ces discussions.

L’expérience musicale des enfants ayant une perte auditive

La musique joue un rôle important dans la vie de tous les jours et plusieurs recherches confirment sa contribution au développement des enfants ayant une audition typique. Les recherches indiquent également que les bénéfices de la musique vont bien au-delà de l’expérience artistique : la musique a des effets positifs sur le bien-être social, physique et émotionnel. Cependant, on en sait moins sur ces bénéfices chez les enfants ayant une perte auditive.

Flora
Première rencontre scientifique de l’Institut de recherche en musique et santé (IRSM), tenu à l’Hôpital Royal d’Ottawa, du 3 au 5 mai 2023,. Source : IRSM

Chez ces enfants, les troubles auditifs ont des répercussions non seulement sur le développement de la communication, mais aussi sur la participation à des activités, telles celles liées à la musique. Lorsqu’ils bénéficient d’aides auditives ou d’implants cochléaires, et de thérapies spécialisées, ils ont l’accès auditif nécessaire pour se joindre aux activités. Par exemple, une étude1 a montré que malgré une habileté d’écoute non optimale, les enfants d’âge préscolaire et scolaire ayant un implant cochléaire apprécient les expériences musicales. De plus, Jorgensen et ses collègues (2019) ont affirmé que la perte auditive chez une cohorte d’enfants de 10-11 ans ne limitait pas leur participation à des activités musicales. Il y a peu d’études sur ce sujet au Canada, et des recherches sont résolument nécessaires afin d’approfondir les connaissances dans ce domaine.

C’est ici qu’entrent en jeu les travaux de Ryan Rourke, oto-rhino-laryngologiste au Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario (CHEO), et de son équipe de recherche sur la musique et la perte auditive pédiatrique. Les membres de ce groupe proviennent de la Faculté des arts (musique) et de l’École des sciences de la réadaptation (audiologie) de l’Université d’Ottawa ou sont des clinicien·nes du CHEO.

L’équipe a étudié la participation à des activités musicales d’une cohorte d’enfants canadiens recevant des services à la clinique d’audiologie du CHEO.  Elle a préparé un questionnaire afin de bien comprendre les enfants, leur intérêt pour la musique tout comme ce qui les caractérise : type de perte auditive, contexte familial, connaissance de la musique, participation à des activités (concert, cours de musique…).

Le sondage a été distribué aux parents d’enfants de 18 ans et moins avec une perte auditive permanente unilatérale ou bilatérale. Un total de 57 parents a répondu au questionnaire : 20 enfants avaient une perte unilatérale et 37 une perte bilatérale. Des analyses préliminaires ont révélé que 86 % des enfants étaient exposés à la musique tous les jours à l'âge préscolaire et 93% des enfants à l'âge scolaire. De plus, 30 % des enfants de 6 ans et plus suivaient des cours de musique en milieu privé.

Données
Figure 1 : Résultat des réponses des 57 parents à la questions Est-ce que la musique a été bénéfique à votre enfant?

Les parents ont affirmé que la musique est bénéfique pour leur enfant (voir la Figure 1). Leurs commentaires aux questions ouvertes suggèrent que les avantages incluent le développement de l’imagination, de l’expressivité et de la créativité, en plus de la joie et du plaisir procurés à l’enfant. Certains parents ont aussi mentionné l’effet positif sur la confiance, tel qu’illustré dans le commentaire suivant :

« Elle a développé sa confiance et semble vouloir s’exprimer à travers la musique. Elle n’a que 3 ans, mais je la retrouve souvent jouant du piano et chantant, et ça lui apporte beaucoup de joie. » - Parent d’une enfant ayant une perte auditive [traduction]

Des analyses plus avancées sont en cours afin de déterminer si des relations existent entre certaines caractéristiques des enfants (par ex., la sévérité de la perte auditive), d’une part, et leur intérêt pour la musique ou la participation à des activités musicales, d’autre part. Cette étude préliminaire fournira des données pour une recherche portant sur l’intervention musicale chez les enfants ayant un trouble auditif.

Étude de cas : un violoniste ayant un implant cochléaire

La dimension intersectorielle de la rencontre à Ottawa convenait bien aux échanges autour de l’étude de cas portant sur Alexandre Sylvestre, menée par Marc Laplante2(2023). Une discussion avec la famille d’Alexandre et ses enseignant·es, qui a suivi les présentations, a révélé qu’Alexandre est un utilisateur exceptionnel d’un implant cochléaire. Il a atteint un haut niveau de perception musicale et d’habileté de performance au violon.

On a diagnostiqué chez Alexandre une perte bilatérale, de sévère à profonde, avant l’âge d’un an. La surdité était profonde dans l’oreille droite et dans l’oreille gauche, et une audition résiduelle demeurait. Sa famille a alors décidé de déménager à Ottawa afin de poursuivre les démarches en vue d’une implantation cochléaire, suivie de services de réadaptation telle la thérapie auditivoverbale. Il a reçu son implant à 16 mois pour l’oreille droite et a continué à utiliser une prothèse auditive pour l’oreille gauche.

Alexandre
On a diagnostiqué chez Alexandre Sylvestre une surdité profonde à son plus jeune âge. Grâce à une implantation cochléaire, il a été admis à 19 ans au programme de violon à l'Université d'Ottawa. Il est ici au coeur d'une étude de cas mené par Marc Laplante (voir référence).

Alexandre a été exposé à la musique dès la petite enfance, et il a commencé des cours de violon à l’âge de sept ans. En 2020, à l’âge de 19 ans, il a été admis au programme de violon à l’Université d’Ottawa, à la grande surprise de tous! Le violoniste surpasse toutes les attentes. Il démontre une perception et des habiletés comparables à celles d’un individu ayant une audition typique. Dans son étude de cas, Laplante (2023) a comparé les habiletés auditives d’Alexandre à celles de six violonistes avec une audition typique. Les musicien·nes ont été testés sur leur perception des tonalités, leur préférence de timbre et l’audiation (processus cognitif par lequel un sens est donné à ce qui est entendu). Les résultats d’Alexandre pour le rythme étaient semblables à ceux des musiciens « contrôles », et ceux relatifs à la perception tonale étaient légèrement inférieurs.

Les parents d’Alexandre ont toujours été très engagés dans sa réadaptation, qui visait à développer son audition et son langage oral. L’objectif était aussi de faciliter son intégration dans les activités sociales, communautaires et parascolaires. La mère d’Alexandre a suivi une approche très intuitive lors des interactions avec son fils, et ce, dès le très jeune âge du garçon. Elle lui chantait des chansons, vocalisait des patrons de sons, et utilisait une approche multisensorielle pour l’aider à développer ses habiletés musicales. Les professeur·es d’Alexandre ont raconté l’expérience incroyable vécue avec lui, et les techniques qu’ils avaient apprises au cours de ce processus d’enseignement.

À la fin de cette journée de rencontres enrichissantes sur la musique et les troubles auditifs, Alexandre a offert une performance émouvante devant un auditoire comprenant les participant·es de la conférence, en jouant une œuvre de Samuel Barber : Concerto pour violon, op. 14.

« Quant à mon expérience en tant que violoniste malentendant, je dois avouer que c’est une question assez particulière pour moi, car j’ai toujours porté un implant cochléaire, et je ne connais nul autre point de vue. […] Cela étant dit, je dois concéder que j’ai toujours été porté vers la musique surtout rythmique, telle les œuvres de Chostakovitch, Stravinsky, Reich et autres. Une des raisons – que j’ai découverte durant cette journée, d’ailleurs – est que l’implant cochléaire est très performant pour ce qui concerne le traitement du rythme. » - Citation tirée d’un entretien avec Alexandre Sylvestre pour un rapport suivant la conférence

Références
  • 2015 : Driscoll, V., Gfeller, K., Tan, X., See, R. L., Cheng, H. Y., & Kanemitsu, M. (2015). Family involvement in music impacts participation of children with cochlear implants in music education and music activities. Cochlear Implants International16(3), 137-146.
  • 2023 : Laplante, M. ( ). A Case Study of an Advanced Violinist with a Cochlear Implant: Assessing High-Level Pitch, Timbre, and Melodic Perception in a University Student with a Cochlear Implant [Thèse de maîtrise, Université d’Ottawa]. http://dx.doi.org/10.20381/ruor-29867.
  • 1Driscoll et collègues, 2015
  • 2Laplante, 2023

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