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Gilles Comeau, Université d’Ottawa

Place à la musique et au mieux-être en ce printemps 2024! Le présent dossier met en lumière des recherches documentant une belle diversité de pratiques musicales qui toutes mènent à un plus grand partage de cette puissante source de santé.

Ce dossier donnera lieu à des suites en mai au 91e Congrès de l’Acfas, à l’Université d’Ottawa :

  • Le samedi 11 mai à 19 h, une activité Science-moi!, offerte à tous, fera place au piano, au chant choral, aux tambours autochtones et au mouvement. L’écoute musicale et les propos de chercheur·euses seront en harmonie pour illustrer l’impact de la musique participative sur la santé et le mieux-être. L’activité est gratuite, il s’agit de s’inscrire tout simplement.
  • Le vendredi 17 mai, le colloque Les bienfaits de la musique sur la santé : vers une approche accessible et communautaire proposera « un espace de réflexion sur les façons de rendre les activités musicales plus accessibles à l’ensemble d’une collectivité pour mieux profiter de leurs bienfaits sur la santé et le bien-être ». Quatre présentations et une table ronde, sur place et en ligne, composeront cette rencontre accessible aux personnes inscrites au congrès.
    Gilles Comeau
    Gilles Comeau. Source : Gilles Comeau.

    Johanne Lebel : Bonjour Gilles! C’est un plaisir de publier ce dossier que nous avions imaginé lors d’un échange en 2021, au moment où l’on vous a remis le Prix Acfas Jacques-Rousseau, dédié à la recherche multidisciplinaire. Ce dossier qui aujourd'hui réuni plusieurs de vos collègues autour de cette alliance forte entre musique et santé; collègues que l'on retrouve aussi au sein du projet CRSH - Connexion que vous mené et qui vise à mobiliser les savoirs de recherche auprès d'une diversité de groupes et de personnes.

    Mais avant d'aller plus en détail dans ces études, j’aimerais d’abord vous inviter à nous faire part de votre parcours d’éducateur musical et de ce qui vous a mené à cet intérêt pour la relation entre musique et santé.

    Gilles Comeau : Je me suis très tôt passionné pour l’enseignement musical. J’étais même encore adolescent lorsque j’ai commencé à enseigner le piano à de jeunes enfants et à des adultes, et j’ai toujours continué avec quelques élèves chaque semaine.  Dès le début de mes études universitaires, j’ai offert des cours d’éveil musical à de petits groupes d’enfants d'âge préscolaire et j’ai établi ma propre petite école de musique. Un peu après, j’ai commencé à offrir aussi des cours de musique et mouvement à des personnes âgées. J’aimais beaucoup favoriser l’apprentissage musical et j’ai toujours été fasciné par l’acquisition de nouvelles habiletés musicales, par l’impact de l’apprentissage.

    À la maîtrise à l’Université d’Ottawa, puis au doctorat à l’Université de Montréal, je me suis spécialisé en psychoéducation et en éducation musicale. Parmi les principales approches explorées figuraient la méthode Jaques-Dalcroze, qui allie musique et mouvement, et la méthode Orff, qui combine voix, mouvement et instruments de percussion. L’initiation à ces méthodes d’enseignement musical a été très importante tout au long de ma carrière. En parallèle, j'ai continué à former des enfants d'âge préscolaire, toujours en cherchant à saisir comment les élèves apprenaient et développaient leur motivation pour la musique.

    Au postdoctorat, toujours à l’Université de Montréal, je me suis orienté vers la pédagogie du piano pour décortiquer l'apprentissage de cet instrument difficile, que l’on peut maîtriser même à un très jeune âge. À l'époque, on commençait à enseigner le piano à de jeunes enfants de 3 ans ou 4 ans. Cela m’intriguait qu’ils soient capables de développer des habiletés aussi complexes à un très jeune âge.

    J’ai travaillé dans cet axe pédagogique pendant plusieurs années. J’ai créé un laboratoire de recherche en pédagogie du piano à l'Université d'Ottawa, d’où quelques groupes se sont déployés pour explorer l'apprentissage et l'enseignement du piano. Le laboratoire a acquis une bonne réputation au niveau national et international.

    Au fil des années, je suis aussi devenu très sensible à l’état de santé des musicien·nes. Les blessures physiques chez les pianistes étaient fréquentes. On les savait très élevées chez les musicien·nes professionnel·les ou semi-professionnel·les, mais là, je les voyais apparaître chez des étudiant·es universitaires. Cela m’interpelait beaucoup. J’ai donc analysé les approches pouvant contribuer à identifier et à soigner ces blessures causées par une activité qui aurait dû être plaisante en principe, mais qui pouvait causer douleur et blessures.

    Mon intérêt pour la santé mentale s’est aussi développé à ce moment-là. L'anxiété de performance était visible, tant chez les musicien·nes professionnel·les que chez les élèves adolescent·es et les jeunes adultes à l’université. L’usage de médicaments, de bêtabloquants ou d'alcool avant chaque performance publique était une tendance inquiétante.

    Finalement, cette curiosité pour la santé physique et mentale des musicien·nes m’a mené à l’étude des effets de la musique sur la santé de la population générale.

    Johanne Lebel : Est-ce qu’il existe différentes pratiques alliant santé et musique?

    Gilles Comeau : La musique et la santé sont régulièrement associées, et ce, de multiples manières. Pensons à l’écoute musicale en milieu hospitalier, où l’on aide, entre autres,  les personnes recevant des traitements en oncologie, celles se préparant à leur chirurgie, ou encore, toutes celles patientant simplement longuement dans une salle d'attente.

    Il y a aussi tout le volet des musicothérapeutes, qui interviennent généralement dans un contexte d’un à un et qui établissent souvent une relation semblable à celle des psychothérapeutes avec leur clientèle. Les musicothérapeutes s’identifient comme des travailleur·ses de la santé utilisant la musique dans leur approche avec les patient·es. La musicothérapie a été bien étudiée dans de nombreux projets de recherche.

    De mon côté, je m’intéresse surtout aux musicien·nes communautaires et aux musicien·nes éducateur·trices, qui peuvent jouer un rôle significatif dans les milieux communautaires, hospitaliers et médicaux. Cette question, qui n’a pas encore beaucoup été analysée, est justement à la base de l'approche des membres fondateurs de l'Institut de recherche en musique et santé.

    Comment des musicien·nes formés pour enseigner travaillent-ils avec des groupes aux conditions de santé très diverses? Comment transmettent-ils leurs connaissances et leurs habiletés dans des milieux dédiés à la santé et au mieux-être? Notre objectif premier est de favoriser une plus grande interaction entre les musicien·nes éducateur·trices et les milieux communautaires ou de la santé. Nous tentons de mieux comprendre les retombées du travail de ces professionnel·les. Dans le cadre de divers partenariats, nous observons et étudions leur influence du côté communautaire ou hospitalier, comme en clinique médicale.

    Comment des musicien·nes formés pour enseigner travaillent-ils avec des groupes aux conditions de santé très diverses? Comment transmettent-ils leurs connaissances et leurs habiletés dans des milieux dédiés à la santé et au mieux-être? Notre objectif premier est de favoriser une plus grande interaction entre les musicien·nes éducateur·trices et les milieux communautaires ou de la santé. Nous tentons de mieux comprendre les retombées du travail de ces professionnel·les.

    Notre recherche a emprunté plusieurs avenues, dont celle de l'enseignement musical dans les écoles communautaires ou spécialisées. Celui-ci y est offert à des enfants ayant des problèmes d'attention, touchés par le spectre de l’autisme, portant des implants cochléaires, ou encore, fréquentant des écoles défavorisées tant socialement qu’économiquement. Ces cours sont gratuits, et les élèves profitent d'activités musicales tout en vivant une expérience collective. Appartenir à un groupe et tendre vers un objectif commun peut être une grande source de plaisir, tout en permettant de développer sa capacité de se sentir à l’aise dans le monde, et en public.

    Nous avons aussi des projets en collaboration avec des hôpitaux pour enfants, où l’on étudie les possibilités technologiques pouvant aider ceux et celles qui, jusqu'à tout récemment, auraient été considéré·es comme sourd·es, donc sans accès à la musique. Les implants cochléaires ont permis, par exemple, même chez des bébés, d’offrir une première expérience musicale; les parents ont réagi positivement, souhaitant assurer par la suite une éducation musicale pour leurs enfants. Dans le présent dossier, l’article « Un trouble auditif n’est pas un obstacle à l’apprentissage musical », de Flora Nassrallah et ses collègues, explore la question de ces implants.

    D'autres chercheur·euses ont observé des chorales intégrant une grande variété de personnes. Les techniques employées pour guider tout ce monde vers une pratique inclusive du chant choral ont été documentées, analysées. On a vu des personnes ayant une démence chanter ou participer à une chorale avec leurs amis et parents, et des gens du quartier les rejoindre. Une chorale, donc, à la fois inclusive et communautaire. Une belle façon aussi de faire société. Il y a aussi des chorales intergénérationnelles unissant grands-parents, parents et enfants – les plus âgés ayant diverses conditions liées à la vieillesse, et les plus jeunes ayant parfois un trouble d’attention. Ce volet de chorale inclusive, important pour notre centre de recherche, est traité dans les articles de Geneviève Hone, « Pédagogie pour une chorale communautaire inclusive et éphémère », et d’Anna Zumbansen, « Quand le chant nous fait du bien ».

    Nous mesurons par ailleurs les effets de pratiques développées par des acteurs œuvrant dans les salles de concert ou qui sont au cœur de la production opératique. Ces intervenants visent, entre autres, à initier une plus grande diversité de publics au répertoire de musique classique, tout en expérimentant de nouvelles avenues alliant musique et mieux-être. Les articles « Opéra et santé », de Pierre Vachon, et « Place à la musique : des salles de concert adaptées pour les publics neurodivers », d’Erin Parkes, décrivent deux beaux exemples d’organisations diversifiant leurs manières de faire.

    Il y a bien sûr tout le volet touchant notre population vieillissante. Nous tenons à faire notre part pour relever cet important enjeu démographique. Comme nous vivons maintenant beaucoup plus longtemps, nous avons tout avantage à profiter d’une médecine aussi douce que la musique afin de contrer, par exemple, la surmédicalisation. Quelles sont les retombées des activités musicales sur les conditions reliées au vieillissement, telles les différentes formes de démences? Ici, on parle d'activités participatives, non liées à l’écoute de lmusique ou d’un concert, déjà largement documentée. On parle de « musique et mouvement ». Cela peut aller de l’usage d’instruments de percussion à la danse. L’idée est d’amener les personnes âgées à s’investir dans le geste musical.

    Il y a bien sûr tout le volet touchant notre population vieillissante. Nous tenons à faire notre part pour relever cet important enjeu démographique. Comme nous vivons maintenant beaucoup plus longtemps, nous avons tout avantage à profiter d’une médecine aussi douce que la musique afin de contrer, par exemple, la surmédicalisation.

    J'ai personnellement beaucoup travaillé sur ce volet, ayant offert pendant mes études universitaires de tels cours à des personnes âgées en faisant essentiellement appel aux approches Dalcroze et Orff. Présentement, j’utilise de nouveau ces approches, mais avec des personnes ayant des problèmes de démence, de dépression ou d'anxiété, et séjournant dans des hôpitaux, des centres dédiés à la santé mentale, des centres de réadaptation, des centres de jour, des centres pour individus ayant la démence, etc. Ces méthodes stimulent l’activité physique et incitent au mouvement, tout en intégrant une dimension sociale et, donc, en contrant l’isolement.

    Après tout ce parcours, c’est maintenant la diffusion du volet recherche de notre approche qui nous occupe. Pour ce, nous avons formé des groupes de recherche avec des collègues, soit des professeur·es en éducation musicale à Toronto, à Montréal et à Halifax, travaillant dans le même esprit. Nous avons aussi des partenariats avec des éducateur·trices de l’Europe et de l’Asie qui ont développé des programmes similaires. Cependant, comme ils n'ont pas mis en place de volet recherche, nous les soutenons de ce côté. Avec eux, nous mettons au point un partenariat international pour cumuler des données et établir les bases scientifiques de la recherche sur la relation entre musique et santé.

    Je m’en voudrais, en terminant, de ne pas faire mention des avenues empruntées par les étudiant·es qui font de la recherche au sein de l’Institut de recherche en musique et santé. Par exemple, Cheng Hu et son projet Explorer les effets d’une intervention musicale sur les personnes atteintes de démence légère et modérée, ou Aleksandra Olejar et son projet Mise en place d’un programme de musique et de mouvement dans l’unité de gériatrie psychiatrique. Dans l'article « De pianiste à chercheuse », Naoko Sakata nous raconte ici comment elle en est venue à faire un doctorat sur la question de l’anxiété de performance.

    Johanne Lebel : Ce que j’apprécie particulièrement de la musique, c’est qu’elle prend un tout autre chemin, dirais-je, que celui des mots. Comme une connexion directe avec notre système émotif, notre système limbique. Je suis fascinée de voir comment elle peut modifier notre humeur. Pourquoi, selon vous, la musique fait-elle tant de bien à la plupart d’entre nous?

    Gilles Comeau : C'est d’abord certainement le plaisir qu’elle apporte. Évidemment, on sait cela depuis longtemps, mais c’est assez récemment seulement qu'on a démontré scientifiquement les mécanismes neuronaux du plaisir qui s’activent lors d’une activité musicale.

    Robert Zatorre, ici, à Montréal, a été un des premiers à démontrer comment une activité musicale produisait une réaction neurochimique apportant un grand bien-être. En comparant cette activité neuronale à ce qui se passe chez les sportifs quand ils ressentent un high, il a trouvé des liens très forts entre la musique et la détente musculaire, le bien-être, la santé mentale et l'interaction sociale.

    Pourquoi la musique a-t-elle cette importance dans toutes les cultures? Pourquoi consacre-t-on tant d'énergie à préserver et à reproduire cette habilité? En termes évolutifs, on pense que la musique aurait favorisé les groupes parce qu’elle contribue fortement à la cohésion sociale. S'il y a des tensions, des frictions, la danse, par exemple, peut ressouder une collectivité. Lorsqu'il y a un effort commun à produire, qu’il faut remonter les voiles avant la tempête ou affronter d'autres groupes sociaux sur le champ de bataille, une très grande puissance de cohésion peut venir d’un chant qui rythme l’effort, d’une cornemuse qui accompagne les troupes.

    En termes évolutifs, on pense que la musique aurait favorisé les groupes parce qu’elle contribue fortement à la cohésion sociale. S'il y a des tensions, des frictions, la danse, par exemple, peut ressouder le collectif.

    Dans nos études, on observe chez les choristes que le bien-être vient autant du plaisir de chanter que de l’appartenance à ce groupe que l’on retrouve chaque semaine, avec qui on échange un peu avant, un peu après. On entend souvent des personnes dire qu'elles ont assisté à un concert et que, d’abord conscientes de se retrouver avec de parfaits inconnus, elles ont eu ensuite rapidement l'impression de ressentir une certaine familiarité avec les gens autour d’elles dès que la musique s’élançait, que tous écoutaient ensemble, que tous applaudissaient…

    Un autre facteur de bien-être associé à la musique, c’est le fait d’y ajouter le mouvement. En neurosciences, depuis une vingtaine d'années, un lien très particulier a été établi entre le cortex auditif et le cortex moteur. Émile Jaques-Dalcroze a eu cette intuition il y a une centaine d'années en intégrant l'éducation musicale aux activités de mouvement pour que la musique ne soit pas que cognition, qu'elle soit aussi vécue avec tout le corps. C'était assez audacieux à l'époque, mais aujourd'hui, on peut décrire concrètement les impacts de telles interactions. Dans l'esprit de Dalcroze, quand j’enseigne sa méthode, je veux que mes étudiant·es en viennent à dire non pas « je connais la musique », mais « je sens la musique ».

    Dans l'esprit de Dalcroze, quand j’enseigne sa méthode, je veux que mes étudiant·es en viennent à dire non pas « je connais la musique », mais « je sens la musique ».


    • Gilles Comeau
      Université d’Ottawa

      Gilles Comeau est membre de la Société royale du Canada, chercheur principal à l'Institut de recherche en santé mentale du Royal, directeur fondateur de l'Institut de recherche en musique et en santé de l'Université d'Ottawa, directeur et chercheur principal du Laboratoire de recherche en pédagogie du piano et professeur titulaire à l'École de musique de l'Université d'Ottawa. Il mène des recherches multidisciplinaires sur la musique et la santé, la musique et le bien-être des personnes atteintes de démence ou de maladie mentale, la santé des musiciens, l’apprentissage musical (motivation, lecture musicale). Les résultats de ses recherches ont été publiés dans diverses revues universitaires ainsi que dans les médias populaires (télévision et magazine).

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