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Geneviève Hone, collaboration à la dynamique de groupe

À l’École des sciences de la réadaptation de l’Université d’Ottawa, la professeure Anna Zumbansen dirige plusieurs projets de recherche visant à démontrer les effets du chant choral sur la santé et le bien-être (voir l'article d'A. Zumbasen dans le présent dossier). Elle y développe un protocole de chorale qui puisse être testé et reproduit dans des études, puis implanté dans les milieux qui pourraient en bénéficier. Elle a fait appel à deux experts en direction de chœur et en dynamique de groupe, Ludovic Dubé et moi-même, pour élaborer ce protocole d’approche pédagogique de chorale communautaire inclusive.  

chercheurs
De gauche à droite : Ludovic Dubé, Anna Zumbansen et Genevieve Hone. Source : Geneviève Hone.

 

Du gospel à la psychologie de l'apprentissage

Chanteur gospel, Ludovic Dubé est aussi musicothérapeute et éducateur. Il a conçu une pédagogie adaptée aux chorales inclusives de courte durée, telles les chorales participant aux Gospel ou Gospel Challenges. Il a démontré l’efficacité de son approche en mettant sur pied ces événements, en France et ailleurs, en partenariat avec des agences d’aide humanitaire. Si une personne sait émettre un son, elle sait chanter, et si une personne sait chanter, elle peut chanter dans une chorale : voilà qui résumerait parfaitement sa philosophie.

Pour ma part, j’ai enseigné les théories du développement de groupes et la psychologie de l’apprentissage au cours de ma carrière de professeure d’université. Dans ma perspective, trois personnes ou plus forment un groupe. Celui-ci, peu importe la raison de son existence, peut être considéré comme une entité qui a une vie propre : on pourrait parler d’un « individu/groupe ». Je m’intéresse ici à l’évolution d’un groupe particulier, soit une chorale formée pour les besoins d’une recherche clinique.  

Si une personne sait émettre un son, elle sait chanter, et si une personne sait chanter, elle peut chanter dans une chorale : voilà qui résumerait parfaitement la philosophie de Ludovic Dubé.

Définir le chant choral

Eduardo Lakschevitz, professeur d’histoire de la musique à l’Université de Rio de Janeiro, a tenté, comme plusieurs avant lui, de cerner avec précision ce qu’est le chant choral1. Sa conclusion se résume en une simple description : une chorale est un regroupement de personnes qui chantent ensemble. La professeure Zumbansen, au début de ses travaux, se retrouve donc devant « un groupe qui a la capacité de chanter » (selon la philosophie de Ludovic Dubé), mais elle devra quand même organiser le déroulement du projet de façon à répondre à des objectifs et des critères définis. C’est ce qu’elle fait en choisissant de former une chorale communautaire, inclusive et éphémère.

Pour mettre sur pied cette chorale, une série d’étapes ont été nécessaires : recrutement, choix des locaux, publicité, entrevues, formation des chercheur·euses, choix des instruments de mesure, etc., et surtout, élaboration d’une pédagogie chorale pour suivre l’évolution du groupe.

Une chorale pour la recherche

1. Une chorale communautaire

Une chorale communautaire se recrute dans « les environs » : dans un quartier, un immeuble locatif, une faculté d’université, un centre communautaire. Elle est à portée de main et de voix. C’est une chorale vers laquelle on se déplace facilement en transport public ou privé. Les personnes intéressées sont invitées à donner de leur temps et à prêter leur voix pour le plaisir de chanter ensemble tout en se pliant aux exigences d’une participation à un projet de recherche universitaire.  

2. Une chorale communautaire inclusive

La sélection s’effectue sans audition, sans test. Les participant·es n’ont pas besoin de connaître la musique ou d’avoir déjà chanté dans une chorale. Le répertoire sera varié, comprendra des chants de différents styles, provenances et époques, et pourra être aisément mémorisé. On n’exclura que certaines personnes pour qui ce projet présenterait des difficultés physiques ou mentales les empêchant de participer pleinement aux répétitions.

3. Une chorale communautaire inclusive éphémère

Formée explicitement pour répondre aux besoins d’un projet de recherche spécifique, la chorale ne durera pas au-delà des besoins déterminés par les chercheur·euses. Elle pourrait n’exister que le temps de deux répétitions par semaine et d’un concert, le tout se déroulant sur une période de 6 à 8 semaines.

4. Une chorale formée pour les besoins d’une expérience de recherche

En s’engageant dans une telle chorale, les participant·es consentiront à répondre à des questionnaires, certains concernant leur santé physique et mentale. On les informera de leurs droits : par exemple, celui de se retirer du projet ou encore celui de refuser que leur image ou leurs paroles soient reproduites. En tout temps, on assurera le respect de la confidentialité des dossiers et des notes de parcours, conservés de façon sécuritaire.

Chaque personne s’engage à être présente à un nombre préétabli de répétitions ou de concerts, et à se soumettre à des prises de mesure clairement expliquées.

Le choix des chants tiendra compte, entre autres, de l’étendue vocale, du rythme, du mouvement, du tempo, de la respiration requise, du nombre de mots, de la complexité mélodique.

Et qui dirigera cette chorale communautaire, inclusive, éphémère, cette chorale « pas comme les autres »? Quelles qualités, quelles habiletés souhaite-t-on trouver chez le musicien, la musicienne qui osera relever les défis que présente la direction d’une chorale formée pour des fins de recherche? Afficherait-on ce poste ainsi :

Chef de choeur

 

Ludovic Dubé au travail

Que voit-on en observant le pédagogue?

On voit un « homme de confiance ». Une confiance en lui-même. Une confiance surtout dans le groupe de choristes avec qui il s’engage dans une belle aventure. Il est fermement convaincu que toute personne peut chanter si elle sait émettre un son! Toute voix mérite d’être entendue, et, dans les chorales qu’il dirige, on cherche moins l’unicité des voix que la richesse créée par un ensemble de voix différentes. Ses études en musicothérapie l’ont sensibilisé au potentiel de création de chaque individu et à la satisfaction que chacun peut ressentir en s’exprimant par la musique, afin que tous et toutes puissent s’abandonner au plaisir de chanter.

Ludovic Dubé a développé une « pédagogie active », qui accélère l’apprentissage du chant. La mélodie, le rythme, la mémorisation, la posture et l’intonation sont pris en compte. Tout l’enseignement se fait oralement, sans utiliser de partitions musicales. Par contre, on peut recourir à des outils pour favoriser la mémorisation des paroles, tels que la projection de mots sur un écran durant les répétitions.

Les études en musicothérapie de Ludovic Dubé l’ont sensibilisé au potentiel de création de chaque individu et à la satisfaction que chacun peut ressentir en s’exprimant par la musique, afin que tous et toutes puissent s’abandonner au plaisir de chanter.

Selon le pédagogue, n’importe quel obstacle devient abordable, « soluble », si on le déconstruit, si on le morcelle en blocs d’apprentissage réduits; fractionnées en petits exercices, les compétences deviennent faciles à assimiler. Il propose aussi des façons nouvelles d’enseigner. Par exemple : si une personne ne connaît pas le nom des notes, elle n’a qu’à compter! La gamme grimpe alors de 1 à 7 plutôt que de do à si! On chante 1-2-3-1… et tout à coup, on se rend compte que l’on vient de chanter Frère Jacques!  Les intervalles semblent faire peur à certains? Le pédagogue se sert encore des chiffres, et cela fonctionne : pour une raison ou l’autre, l’intervalle 1-5 semble plus facile à aborder que l’intervalle do-sol !

Ludovic Dubé base l’apprentissage du chant sur le rythme. C’est le rythme qui soutient la mémorisation de la mélodie et des mots. Alors, bien sûr, il fait bouger ses choristes : suivre la cadence en tapant des mains et des pieds, et se laisser aller, tout le corps happé par la musique, en dansant presque.

En tout temps, Ludovic encourage les choristes à poser des questions, à émettre des objections. Régulièrement, il leur demande : « Que remarquez-vous? Quels patterns observez-vous? Qu’avez-vous compris? »  

Car, finalement…

L’apprentissage fait appel à la créativité de tous et chacun, et il est basé sur la collaboration entre les choristes et le chef de chœur.

Que voit-on en observant l’animateur de groupe?

On voit un chef de chœur qui surveille constamment l’évolution du groupe dans son ensemble, et celle de chacun des membres.

La plupart du temps, le chœur suit un cours normal et assez harmonieux, et le chef n’a pas à intervenir. Les choristes semblent heureux de se retrouver à chaque séance, ils blaguent, ils s’entraident, ils s’inquiètent de l’absence d’un de leurs collègues. Mais parfois, on dirait que le groupe va moins bien : les choristes sont plus tendus, ils se plaignent de la difficulté des chants, ils arrivent en retard, ils semblent désintéressés, fatigués, mécontents ou méfiants.  Le chef de chœur ressent ce malaise. Il se pose des questions : a-t-il démarré la répétition plus rapidement que d’habitude, de sorte que ses choristes n’ont pas eu suffisamment de temps pour se saluer (gestion du groupe)? Ou serait-ce simplement l’apprentissage de tel ou tel élément qui est au-dessus de leurs forces (pédagogie)?

Pour ma part, dans le cadre de ma pratique, j’observe que la plupart des petits groupes de travail évoluent en passant à travers trois étapes prédictibles :

  1. l’inclusion : les participant·es font connaissance et se préparent à travailler ensemble;
  2. la réalisation de la tâche pour laquelle ils sont réunis;
  3. la conclusion : les évaluations et les au revoir.

Que la réunion soit de courte durée (le temps d’une séance de chorale) ou plus longue (une journée d’étude), ou encore plus longue (un cours de 45 heures donné en une semaine), on observe le même processus. Examinons brièvement ces étapes à partir du point de vue des participant·es.

  1.  L’inclusion

Les participant·es arrivent en milieu étranger. Ils ne se connaissent pas, mais ils veulent être là, tout en éprouvant sans doute des inquiétudes dont ils sont plus ou moins conscients. Réaction normale et saine de l’être humain dans ce genre de situation. Le fait de se trouver en milieu étranger suscitera toutes sortes de questions personnelles et parfois des doutes : « Comment me faire une place dans le groupe? » « Est-ce qu’on va m’accepter tel que je suis? » « Vais-je pouvoir surmonter ma gêne, aller parler aux autres, peut-être même me faire de nouveaux amis? »

Que fait Ludovic pour aider les participant.es à s’intégrer dans le groupe aussi harmonieusement que possible, à se préparer à travailler ensemble? Il réchauffe les cœurs en même temps que les voix; il organise des jeux (exercices brise-glace); il prend le temps d’annoncer le programme de la séance, tout en réservant quelques surprises; il vérifie s’il y a des questions, des objections; bref, il évite d’escamoter cette phase en accordant suffisamment de temps pour que tous et toutes soient bien « arrivés ».

  1. La réalisation de la tâche

C’est sur papier que ces phases se déroulent l’une après l’autre. Dans la réalité, elles vont nécessairement s’entremêler. Les questions reliées à l’appartenance, à l’inclusion dans le groupe, continueront de se poser pendant qu’on exécute la tâche. Si on a accordé suffisamment de temps et d’espace pour que les participant·es sentent qu’ils ont une place dans le groupe, ils se mettront au travail sans réticence. La question de la place de chacun continuera de se faire entendre, mais en sourdine. La question prioritaire sera maintenant : « Comment puis-je être à la hauteur de la tâche? »

« Vais-je pouvoir bien contribuer à la réussite du groupe? Les autres sont tellement meilleurs que moi. » « Pourquoi cet homme a-t-il été choisi comme soliste? J’aurais aimé être choisi. » « Je suis tanné de chanter à côté de X,  elle chante trop fort et sa voix enterre la mienne, et le chef de chœur ne s’en rend même pas compte! » « Le concert approche, et je sais que je vais avoir le trac, comme à la séance de Noël quand j’étais à l’école primaire. Je n’aurais jamais dû m’engager dans ce projet : je m’amuse moins que je pensais. »

Que fait l’animateur pour aider les choristes à réaliser leur apprentissage le plus harmonieusement possible? Il réserve du temps pour le feedback durant et après la séance. Son lien avec les choristes en est un de collaboration, de confiance. Alors, dès qu’il perçoit que quelque chose ne va pas, il s’informe, il vérifie, il questionne, il clarifie.

  1. La conclusion

C’est la fin de la séance ou du projet. Il faut se dire au revoir ou adieu. Mais avant, il faut s’assurer de faire ensemble une évaluation formelle ou informelle. Il faut donner aux participant·es l’occasion de « dire » : dire leur joie ou leur déception, dire leur mécontentement ou leur approbation. Quand il s’agit d’une simple répétition, il est utile de faire un résumé, d’offrir des recommandations en vue de la prochaine séance, de répondre aux questions qui ne peuvent attendre. Quand il s’agit de la fin du projet au complet, on accorde un peu plus de temps à cette étape et on prend tout le temps nécessaire pour se dire adieu cette fois-ci, plutôt qu’au revoir.

Le mot de la fin

La tâche de chef de chœur est exigeante, au point qu’il ou elle peut avoir parfois envie de laisser tomber son bâton. Cette personne soutient la chorale, mais qui soutient cette personne? La question est importante! Qu’est-ce qui lui fait du bien durant les périodes de stress? Je vous laisse avec cette dernière question : la survie du métier de chef de chœur en dépend!

  • 1Conducting Corporate Choirs in Brazil, dans The Oxford Handbook of Choral Pedagogy, Oxford University Press, 2017, p. 261 (When a group of people sings together simultaneously, either formally or informally, it is choral singing.)

  • Geneviève Hone
    collaboration à la dynamique de groupe

    Dans sa carrière comme professeure à l’Université Saint-Paul d’Ottawa, Geneviève Hone s’est intéressée particulièrement à la psychologie de l’apprentissage, au développement communautaire et à l’évolution des groupes de travail. Diplômée en travail social, elle a formé de nombreux professionnel·les à la thérapie conjugale et familiale, et publié cinq livres et maints articles à l’intention des professionnel·les et du grand public.  

    Maintenant à la retraite, elle aime partager ses connaissances et son expérience dans deux domaines qui lui tiennent à cœur : la musique et la santé. La recherche de l’influence du chant choral sur l’évolution de certaines pathologies telles que la maladie d’Alzheimer, le Parkinson et l’aphasie, l’intéresse particulièrement. 

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